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Des intelligences démentielles, par Bruno Liesse

Dimanche 29 Juin 2025

Des intelligences démentielles, par Bruno Liesse

J’ai testé le Veo 3. Vous pas ? Vous êtes largué. Vous ne voyez pas ce dont il s’agit ? C’est pire, vous êtes vraiment loin. La seule bonne nouvelle, c’est que vous lisez encore Media Marketing. N’importe qui peut produire des vidéos pour 7 euros par mois, à partir de rien. Ou pas tout à fait : à partir de bases de données énormes et libres de droits parce que truandées, innombrables, non traçables. Alors que l’Europe ne produit pas mais légifère, même dans son cœur d’activités inutiles, elle est aussi larguée. Revenons sur notre core business, et la question qui vous préoccupe au premier plan depuis quelques mois : est-ce que ce machin risque de bouffer votre boulot dans les prochaines années ? Vous qui êtes stratège, créatif, média planner, journaliste (hello !), producteur de quelque chose, comptable, réceptionniste, commercial, ou boss, tiens. Non. Pas dans les prochaines années. En 2025. Même la planète se réchauffe moins vite que votre ordi.

On commence par qui ? En fait, l’IA, ce n’est pas très compliqué. Vous l’alimentez en lui donnant des contenus qu’elle va screener. Si vous tapez ‘demain aprem’ sur votre smartphone plutôt que ‘après-midi’, à partir de maintenant, ce sera ‘aprem’ dès que vous tapez 'ap'. Je simplifie un peu, d’accord. Ceci alors que vous ne voulez pas nécessairement que ce soit ‘aprem’ tout le temps mais elle s’en fout, l’IA : elle modélise, elle reproduit ce que vous faites – et parfois avec quelques millions d’individus qu’elle va tracer – parce dans votre genre, vous n’êtes pas forcément représentatif desbest practices. Comme champagne à la place de campagne, elle m’arrive souvent, celle-là. 

L’intelligence de Google ne s’emmerde pas, elle donne les réponses sur lesquelles les chercheurs précédents ont passé le plus de temps. Quand ce ne sont pas des adwords sponsorisés aux enchères : là, ce n’est pas de l’intelligence, c’est du business. L’organique, c’est sûrement mieux. Vous savez, les gens qui font la file chez le glacier ou le restau qui est bondé. Le monde attire le monde. Les idiots aussi s’attirent entre eux, et cela vous fait des algorithmes : ça ne réfléchit pas un algo, ça reproduit, ça duplique, ça vous fait une vie sans surprise, sans inattendu, sans découverte. Un truc démentiel, pas intelligent du tout. Définition de départ de l’intelligence : « La faculté de connaître, de comprendre. La qualité de l'esprit qui comprend et s'adapte facilement. » Et un algorithme ? « Ensemble des règles opératoires propres à un calcul ; suite de règles formelles. » Même si vous n’êtes plus habitué à réfléchir, vous sentez la différence, j’en suis sûr.

Donc tout y passe. Les enregistrements de réunions. Les synthèses des enregistrements. Les traductions de ces synthèses. Les présentations des traductions des synthèses. Les résumés des présentations des synthèses et l’ordre du jour de la réunion suivante sur base des outcomes. Le briefing à partir des outcomes. La création de vos personnages pour une vidéo. Le scénario de votre vidéo, adaptatif par cible. La production de votre vidéo. Les traductions de vos productions de vidéo. Et l’adaptation en format court ou long de votre vidéo. Le planning de diffusion de vos vidéos. Le bilan et l’optimisation du planning en question – Marc vous l’a dit, plus besoin d’agence média. Et suite à votre campagne, par exemple, l’analyse sémiologique des conversations sur les réseaux sociaux. La synthèse et les recommandations pour votre marque sur base de cette analyse. Et si vous voulez en faire une réunion ou une vidéo, vous reprenez le paragraphe au début et vous recommencez. Vous avez 80 tableaux excel ? Elle vous produit autant de graphiques ou directement un digest, des conclusions, des recommandations. De toutes façons les jeunes et les vieux n’ont plus le temps ni l’envie de se taper vos statistiques. Allons-en au fait principal, s’il vous plaît. Et le fait principal, c’est que bientôt, vous ne servirez plus à rien. Aïe. Non, prononcer "a-i".
 
C’est d’elle dont je parle. L’intelligence démentielle, celle du type bourré qui donne l’impression d’être plus censé qu’à son habitude. Celle du psychopathe, Nicholson ou Hopkins, ou comme Houellebecq vivant à côté d’un cimetière. Les images et vidéos AI montrent toutes un côté ténébreux, artificiel, effrayant dans leur pureté et leur mensonge : dans ce petit pourcent d’étrange et d’erreur qui nous permet encore de les identifier, les contenus IA ont quelque chose de fantomatique. De l’irréel que nous prenons pour du réel.

Et je n’ai pas abordé le pire, l’intelligence proactive. Il ne s’agit plus de ce que l’humain peut en faire de moche : des deep fakes, du fishing et du cyber hacking en tous genres, du détournement d’œuvres et de contenus éditoriaux, ou du mauvais boulot en général à la place des fonctions citées plus haut, qui rime avec plan Renault. Non. L'intelligence proactive, ce sont les cas d’IA qui prennent des initiatives, sans l’humain, et sans que ce soit nécessairement pour le bien de l’humain. Les exemples commencent à apparaître, et comme tous les développements en la matière, ils vont se démultiplier, s’amplifier, se développer. Palisade Research a effectué le mois passé des tests dont ordre de s’éteindre après le boulot. Tous les modèles, à l'exception de Grok, ont tenté d’échapper à la désactivation. Le modèle OpenAI o3 l’aurait fait dans près de 4 cas sur 5. L’ordi qui refuse de s’éteindre, oui, comme dans "2001 l'Odyssée de l’espace". Ici, nous ne sommes pas au ciné. Le fait d’autonomie prise par l’outil a été relayé par tous les médias du monde, comme pour ce robot chinois ayant pété les plombs en pleine démo d’un salon, prêt à démonter le premier humain qui s’en approchait. 

La réflexion complète à mener doit prendre en compte que les serveurs disposent de groupes électrogènes si nous voulons les débrancher. Et que grâce à l’Internet of things, tous les devices supportant l’IA sont connectés, au Web bien sûr, mais aussi entre eux. Et à Google, qui en gros, recense tous les jours toutes les questions que nous nous posons, et les réponses qui transitent par la toile. Genre, est-ce que l’homme ne serait pas en train de détruire la planète ? ça alimente les plateaux TV et les discussions de comptoir, mais une IA un peu parano quant à sa survie ne devrait surtout pas recevoir cette question. La suite ChatGPT et toutes les autres font partie d’un grand réseau interconnecté qui s’auto-analyse. Dont un effet exponentiel en cours, tendant vers la "singularité", le moment où elle nous dépassera. D’ailleurs je lui ai posé cette fameuse question, et la réponse était claire - derrière un long développement contre les climato-sceptiques. Non l’être humain ne va pas détruire la planète mais va rendre impossible sa propre survie. On ne doit donc pas craindre que les robots nous flinguent : ils ont déjà compris qu’on gère notre sortie tout seuls.

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