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Marc Bresseel (Utiq) : "Nous voulons contribuer à rendre le marketing digital plus responsable et plus digne de confiance"

Samedi 18 Novembre 2023

Marc Bresseel (Utiq) :

En aout dernier, le magazine professionnel allemand Werben & Verkauffen publiait une liste des 10 experts data à connaître. Y figurait un Belge, Marc Bresseel, désormais CEO de Utiq après un brillant parcours chez IBM, Microsoft, IPG Mediabrands et Duval Union. Il sera sans conteste l'une des têtes d'affiche du BAM Marketing Congress

Nous l’avons rencontré au cours de l’été près de chez lui, à Anvers, où nous avons longuement échangé sur ses ambitions pour Utiq et sa croyance dans un écosystème digital qui replace l’utilisateur au centre de la proposition de valeur.

« Historiquement, les données ont été considérées par l'industrie du marketing digital comme une ressource destinée au ciblage et au profilage des audiences - bien trop souvent, sans obtenir le consentement approprié des utilisateurs. Aujourd'hui, nous nous trouvons au cœur d'une "tempête parfaite" : les individus ont peu de choix quant à la manière dont leurs données personnelles sont collectées et exploitées, alors que le secteur s'efforce de se conformer aux nouvelles réglementations en matière de protection de la vie privée et aux normes de consentement. Simultanément, les géants de la tech prennent des décisions technologiques arbitraires et gardent la main mise sur les investissements en matière de publicité », analyse Marc Bresseel.

Il estime qu’une révision en profondeur de notre industrie s'impose : « Ce qui importe avant tout, c’est d’engager un débat équilibré sur les méthodes à adopter pour préserver un Internet ouvert, dont le financement repose sur la publicité. Notre objectif doit être de forger un monde digital plus fiable et plus responsable pour tous, en accordant une priorité aux citoyens et en garantissant le respect de leur vie privée, tout en permettant des expériences de marketing personnalisées à grande échelle. Notre objectif consiste à accélérer le rythme du changement et de la transformation, plutôt que de les entraver. Le choix nous appartient. »

Marc Bresseel plante un décor dont il a une connaissance approfondie, particulièrement lorsqu'il aborde les domaines du marketing digital et des data. Fort de son rôle de pionnier dans l'Internet belge, il a contribué au succès des offres MSN, Hotmail et Messenger dans notre pays avant de prendre les commandes du marketing mondial de Microsoft Adveising. Depuis mars, il occupe le poste de CEO chez Utiq, une coentreprise créée par quatre des plus grands opérateurs telco européens - Vodafone (à l'initiative du projet), Deutsche Telekom, Telefonica et Orange. 

Utiq est dédiée à la gestion d'une plateforme technologique de publicité digitale. Son engagement majeur consiste à proposer une alternative aux cookies tiers, nativement compatibles avec les réglementations européennes en vigueur. C'est l'une des raisons pour lesquelles Utiq est basée à Bruxelles : « J'ai convaincu mes actionnaires de l'importance de la proximité avec les autorités et les régulateurs européens, avec qui nous sommes constamment en contact », confirme Marc Bresseel. Détenue à parts égales par les quatre groupes précités mais ouverte à tous les telcos, Utiq a d'ailleurs rapidement obtenu un blanc-seing de la CE, écartant toute problématique antitrust. 

« C'est un moment historique », se réjouit Marc Bresseel. « C'est la première fois que des grandes entreprises de télécommunications, chacune avec sa propre culture, coopèrent et travaillent ensemble. » Pour lui, la force du projet réside aussi dans la gouvernance d'Utiq, qui dispose de son propre management team, de sa propre stratégie et d'un budget sur cinq ans au moins, comme il l'a déclaré dans Handelsblatt (le capital social d'Utiq est de 14 millions d'euros, divisé en 1,4 million d'actions nominatives réparties équitablement entre les quatre actionnaires).

Le CEO évoque une solution qui devrait bénéficier tant aux annonceurs qu'aux éditeurs, tout en prenant en compte les intérêts des consommateurs, en plaçant ces derniers au centre de la réflexion : « Le contrôle reviendra enfin aux mains de l’utilisateur »martèle-t-il. « Nous voulons lui proposer un modèle plus vertueux qui lui redonne le contrôle sur sa vie numérique. Depuis un portail dédié, il pourra donner et retirer son consentement à tout moment à une marque ou à un média en un clic. »
« Utiq veut remettre l’utilisateur au centre de la proposition de valeur. C’est pourquoi nos solutions ont été construites privacy by design, et c’est en cela que Utiq sera un game changer. »
Le nom d’Utiq - créé par l'agence belge Berlin Creative Studio, en charge également du branding - est un mot-valise, mêlant "you" et "tick", du verbe "cocher"… comme cocher une case. La plateforme nécessite donc un opt-in du consommateur pour autoriser les marques à réaliser leurs communications via les éditeurs. « La seule donnée partagée est un jeton numérique pseudo-anonymisé et non réversible. Les consommateurs sont libres de donner ou de refuser leur consentement en un seul clic, ainsi que de révoquer tout autre consentement préalablement donné. Ils peuvent le gérer soit directement sur le site web de la marque ou de l'éditeur, soit via un portail dédié à la protection de la vie privée, facilement accessible. »

Pour Marc Bresseel, toutes les planètes sont alignées pour faire d’Utiq un succès commercial. A ses yeux, cette ad tech européenne qui semble aussi taillée sur mesure pour faire face à l’hémogénie des géants US, répond aux grands enjeux du moment : la privacy qui devient un enjeu incontournable, la disparition des cookies tiers, l'ad fraud, la survie d'un écosystème média européen, etc.

Plus efficace et fiable que les solutions de type "walled garden"

Concrètement, Utiq génère un token pseudonymisé et sécurisé lié à l’abonnement telco d’un utilisateur. Celui-ci voit alors s’afficher sur la page qu’il visite le pop-in de consentement d’Utiq, assorti du logo de son opérateur (sans doute mieux connu que celui d'Utiq à ce stade). S’il donne son accord, ce ConsentPass se scinde en deux identifiants uniques cryptés : le MartechPass, d’une durée de vie 90 jours, s’adresse à l’éditeur qui peut l’enrichir avec sa propre data, tandis que l’AdtechPass, qui expire au bout de 24 heures, est destiné aux annonceurs.

« Nos solutions reposent sur trois assets fondamentaux : l’approche privacy by design, le niveau de reach élevé issu du mapping de la population par les opérateurs ainsi que la capacité de faire du cross sites et du cross devices. Seuls les opérateurs telcos sont capables de proposer une solution aussi puissante. »

Si Google entend proposer une solution centrée autour de son navigateur pour redéfinir à sa manière le mode de fonctionnement de la pub en ligne tel que nous le connaissons, Utiq s’inscrit résolument dans les schémas actuels, sans remettre en cause les rôles des différents acteurs - DSP, SSP, CDP, etc. -, mais en fournissant une brique tech permettant l’identification et la préservation de la vie privée des utilisateurs. De plus, Utiq permet d’adresser à nouveau des publics perdus comme les utilisateurs de Safari et Firefox. « Ce qui signifie entre 30 et 40% d’inventaires adressables supplémentaires pour les publishers et les annonceurs. Le modèle crée aussi d'autres grands avantages pour ces derniers, car derrière les identifiants que nous créons, il n'y aura pas de bots. Nous éliminons ainsi le problème majeur de l'ad fraud. Selon les études, de 20% à 35 % du trafic actuel peut être généré par du trafic non humain. »

Après une phase de tests positifs (plus de 80% de consentement) sur ce marché, la plateforme a été lancée en Allemagne ; la France et l'Espagne ont suivi cet été, avant d'activer le Royaume Uni et l'Italie. 

Pour l'heure, la priorité est toutefois de négocier un maximum d'accords commerciaux avec les autres opérateurs. Viennent ensuite les publishers et les DSP, mais aussi les SSP, les data clean rooms… « Nous discutons avec tout le monde ». Voulant dire sans exclusive, même si pour son lancement, Utiq a noué un partenariat européen avec Adform, très présente en Allemagne où cette SSP s'octroie 30% de parts de marché.

« Bien sûr, nous ne sommes pas une organisation à but non lucratif », nous répond Marc Bresseel lorsque nous l'interrogeons sur son business model. « Nous payons pour que les telcos nous donnent les identifiants pseudonymisés de leurs clients, et les annonceurs nous paient à leur tour pour l'utilisation de ces identifiants. Cela relève du business habituel de l'ad tech. »

« Les telcos prennent au sérieux leur responsabilité vis-à-vis des clients et s'engagent pour un traitement équitable et sûr des données », conclut-il. « C'est une mission sociétale. Ils veulent aussi œuvrer à une transformation éthique du secteur de la publicité digitale, étant donné que la majeure partie des investissements actuels profite à un petit nombre d’acteurs mondiaux. Ce qui est une menace à la fois pour le paysage média mais aussi pour les citoyens européens… Seules les entreprises de télécommunications peuvent susciter un changement aussi radical, car elles disposent des ressources nécessaires pour le faire. En unissant leurs efforts, les opérateurs télécoms parviendront à couvrir la totalité de la population présente sur Internet. »

 Le BAM Marketing Congress se tiendra les 7 et 8 décembre à Brussels Gate. Pour le programme complet et le formule d’inscription, c’est ici.

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