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Ben sans Jerry : et maintenant?, par Fons Van Dyck

Mardi 30 Septembre 2025

Ben sans Jerry : et maintenant?, par Fons Van Dyck

Le départ de Jerry Greenfield, co-fondateur de la marque de glaces Ben & Jerry's, illustre la pression croissante exercée sur les marques qui, pendant des décennies, ont symbolisé l’idéalisme et l’activisme. À une époque où les actionnaires exigent des résultats à court terme et où les politiques interviennent de plus en plus brutalement, Ben & Jerry’s reste une référence pour les marques qui osent placer leurs valeurs au-dessus du profit. Même si cela va à contre-courant de la société.

En 1978 à Burlington (Vermont), dans une station-service reconvertie, Ben Cohen et Jerry Greenfield ont créé une marque qui associait crème glacée et engament. Dès le début, Ben & Jerry's était plus qu'un produit : c'était un manifeste. Les parfums ont reçu des noms pleins d'humour à double sens, souvent porteurs de messages. Et, sans cesse, la cuillère plongée dans le pot de glace servait à alimenter les débats de société.

Lorsqu’Unilever a racheté la marque en 2000, il a été convenu que Ben & Jerry’s conserverait un conseil d’administration indépendant pour garantir sa mission sociale. Ce n’était pas un luxe inutile. Tandis qu’Unilever était confrontée à la pression des actionnaires et aux fluctuation du purpose marketing, Ben & Jerry’s a toujours suivi la voie de l’activisme.

Après la mort de George Floyd en 2020, la marque a utilisé un langage particulièrement virulent : « Démantelez la suprématie blanche ». Et pendant le premier mandat présidentiel de Trump, elle a lancé la saveur "PeCan Resist". Cet activisme n'a jamais été facultatif. Il était ancré dans la gestion de l'entreprise par le biais de la Fondation Ben & Jerry's, qui consacre 7,5% de ses bénéfices à des projets sociaux.

Conflit et controverse

Cette autonomie a souvent été source de friction avec Unilever et ses actionnaires. Ainsi, un conflit a éclaté au début de l'année lorsque le CEO d'Unilever, Hein Schumacher, a licencié celui de Ben & Jerry's, David Stever. Selon le conseil d'administration indépendant, cette décision était motivée par le soutien affiché de ce dernier à la ligne militante de la marque. Peu après, ce même conseil d'administration a qualifié l'action israélienne à Gaza de « génocide ». Une prise de position bien en avance sur les déclarations des experts de l’ONU, qui n’ont pris cette position que récemment.

Pour Unilever, cela allait clairement trop loin. La multinationale a tenté d'apaiser le conflit et de limiter les dégâts, à un moment où la scission prévue de l'ensemble de la division glaces (y compris Magnum) était à l'ordre du jour. Cela a alimenté les spéculations selon lesquelles Ben & Jerry's serait également vendue dans le cadre de cette opération. Pour les fondateurs et leur conseil d'administration, en revanche, il s'agissait de la conséquence logique de leurs valeurs : une marque ne peut pas être crédible si elle ferme les yeux sur des violations flagrantes des droits humains.

Ben & Jerry’s après Greenfield ?

Contrairement à Jerry Greenfield, son "partner in crime" Ben Cohen reste impliqué dans la marque et soutient sa décision. Il  a aussi lancé un appel public à le soutenir sous le hashtag #FreeBenandJerrys, insistant pour que la marque retrouve son indépendance, c'est-à-dire qu'elle se détache d'Unilever et puisse à nouveau fonctionner librement, conformément à la mission sociale qui était à la base de sa création.

Il a souligné que, malgré les divergences avec Unilever sur la mise en œuvre et la liberté d'expression, il estime important que la marque reste fidèle à ses valeurs fondamentales : justice, égalité et activisme, même si cela implique des choix difficiles en interne.

La question se pose toutefois de savoir ce qu'il restera de Ben & Jerry's. L'histoire nous enseigne que les marques fortes peuvent survivre à leurs fondateurs, à condition qu'elles ne sacrifient pas leurs valeurs fondamentales au profit d'intérêts à court terme.

Le départ de Greenfield intervient dans une période de turbulences et d’incertitude. Dans un tel contexte, les gens aspirent non seulement à un réconfort sucré, mais aussi à un repère moral. La glace seule peut être remplacée. La glace avec une mission, beaucoup moins.

Ben & Jerry’s montre que l’activisme de marque n’est pas un luxe, mais un cap stratégique. Pour les marques qui hésitent à s’exprimer, la réponse est claire : on ne peut pas se taire. L’avenir appartient à celles qui traduisent leurs valeurs en actions.

Cinq leçons pour les autres marques

Dans mon nouveau livre, "Marketing in tijden van Trump", je décris Ben & Jerry's comme l'un des exemples les plus purs d'activisme de marque. Cinq leçons s'imposent pour les autres marques :

1. Commencez par vous-même. L'activisme doit être ancré dans la politique et la culture, et non dans des campagnes isolées. Ben & Jerry's a lié la lutte pour l'égalité raciale à des mesures concrètes en matière de politique du personnel et de gestion de la chaîne d'approvisionnement.

2. Soyez cohérent. La marque défend depuis des décennies des thèmes progressistes, même lorsque le vent politique souffle dans la mauvaise direction. Cette constance renforce sa crédibilité.

3. Choisissez votre combat. Vous n'êtes pas obligé de vous engager dans tous les combats. Chez Ben & Jerry's, le changement climatique est un thème qui leur tient à cœur, car il touche directement les ingrédients et les fournisseurs.

4. Osez prendre des risques. L'activisme entraîne des boycotts et des critiques. Pourtant, Ben & Jerry's est resté fidèle à ses principes. C'est précisément ce courage qui renforce la confiance de ses partisans.

5. Faites de l'activisme une façon de faire des affaires. Il s'agit de faire des choix en matière d'approvisionnement, de partenariats et même de poursuites judiciaires contre sa propre société mère lorsque les valeurs sont mises à mal.

Mon livre "Marketing in tijden van Trump" paraîtra fin octobre. Il est déjà disponible à la commande ici sur le site lannoocampus.be.

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