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L'avenir de la publicité et pourquoi l'affichage est de retour, par Andy Flemming (Group Creative Director, M&C Saatchi)

Jeudi 6 Décembre 2018

L'avenir de la publicité et pourquoi l'affichage est de retour, par Andy Flemming (Group Creative Director, M&C Saatchi)

Apparemment, on est tous baisés. La pub est morte.

Plus personne n’est capable de raconter l’histoire d’une marque, les grandes entreprises de réseaux sociaux sont devenues des conglomérats de médias moralisateurs, le digital ne marche pas et les cabinets de conseil achètent des agences comme des enfants achèteraient des appareils de dialyse rénale. Ils n’ont pas la moindre idée de la façon dont elles travaillent, de ce qu’elles font, ni même de savoir par où commencer, mais ils affichent un air décontracté et brassent du vent en parlant d’avenir.

Certes, c’est en partie vrai. Peut-être même que tout cela est vrai en fait, mais la première affirmation, qui prétend que la pub est morte, ne l’est pas. Tout ne se passe pas aussi mal que les commentateurs médias voudraient le faire croire. La peur, après tout, est plus facile à vendre que l’espoir et rend la lecture plus intéressante et provocante. De notre point de vue, voici pourquoi notre position est en réalité plus forte que nous ne le pensions, comment la publicité numérique va se transformer et gagner en profondeur, et pourquoi du bel et grand affichage va tous nous sauver. Donnez-moi la main. Tout va bien se passer. Faites-moi confiance, je sais où l’on va. Et, oh - posez votre téléphone. Vous n’en aurez pas besoin.
 
Jusqu’au milieu des années 1990, l’affichage était considéré comme la prouesse créative suprême. En un clin d’œil, il fallait attirer l’attention, communiquer un message et s’en aller. Vous pouviez utiliser n’importe quelle image, n’importe quel photographe et n’importe quelle association de mots. Vous n’étiez entravé par aucun guideline corporate, aucun budget, ni par Getty Images ni les attentes du client. Votre seul obstacle était votre directeur de création. À l’époque, votre concept devait recevoir l’approbation singulière de quelqu’un d’aussi redoutablement talentueux que David Abbott, Dave Trott ou Trevor Beattie.
 
Une affiche géniale pouvait construire une marque, bâtir une carrière, former une agence et même renverser un gouvernement du jour au lendemain. C’est ce qu’ont fait "Hello Boys" et "Labour isn’t Working". Et ces affiches ont remporté des prix dans les festivals publicitaires du monde entier. Bien sûr, ces festivals ne comptaient alors que trois ou quatre catégories. En 2018, il y en avait 26, ce qui reflète la myriade de façons dont nous devons maintenant nous emparer de ce consommateur insaisissable. Quelque part en cours de route, nous avons oublié comment créer de grandes affiches et nous nous sommes concentrés sur le contenu programmatique, hyper local, basé sur des micro-moments, au lieu de nous focaliser sur le storytelling.
 
Ce qui nous amène à parler d’Apple et de Samsung. Si l’on laisse de côté les entrepreneurs militaires et l’exploration spatiale, on peut dire qu’il s’agit là de deux des entreprises les plus à la pointe de la technologie de la planète. Mise à part une publicité occasionnelle sur Twitter, ces deux sociétés utilisent l’affichage pour lancer leurs produits les plus onéreux. Je ne sais pratiquement rien de Reebok, Thai Airways et Adidas, mais je peux vous parler de toutes les caractéristiques du Samsung Galaxy S9 de l’an dernier. Pourquoi ? Parce que je suis passé en voiture devant une succession d’affiches tous les jours pendant au moins un mois. Je sais que l’appareil photo de l’iPhone est l’un des meilleurs du marché parce que "Shot on iPhone" s’affichait sur des panneaux publicitaires partout dans le monde. Ils utilisent l’affichage parce que ça marche. C’est simple. C’est rapide. C’est efficace. Une affiche n’exige pas de moi de cliquer sur un banner ou de regarder une pub digitale. Elle ne me demande pas mon adresse e-mail, elle ne tente pas de me faire jouer à un jeu dont le héros est le produit. Ces annonceurs ne veulent pas de mes données. Ils communiquent leurs principaux arguments de vente mieux que quiconque, surtout ceux des téléphones portables.
 
Soyons honnêtes. Le portable est une invention grossière mais nécessaire, qui nous apprend à avoir peur de la publicité. Nous passons outre des milliers d’annonces par an pour accéder à ce que nous voulons réellement voir et nous utilisons des programmes ad hoc pour littéralement effacer la pub de nos navigateurs. Les page takeovers interrompent nos actualités et notre mémoire musculaire nous incite à baisser le volume de nos téléphones quand nous consultons de nouveaux sites pour le cas où une putain de pub pour fast-food démarrerait sans notre permission. Les consommateurs savent comment le marketing fonctionne et ils ne s’y laissent pas prendre. Nous les avons poursuivis à la seconde où nous avons mis la main sur leurs données et les avons bombardés sans merci. C’est envahissant et ça ne marche pas. Le mobile était censé être l’avenir. Ce n’est pas le cas, à moins que nous ne revoyions notre copie de fond en comble et nous réalisions que nous foutons un énorme bazar assommant sur le très petit écran de nos consommateurs.
 
L’avenir, comme tant d’autres choses, est difficile à prévoir. Sauf si l’on se contente de suivre l’argent. Ces dernières années, j’ai suivi la piste de l’argent. J’ai parcouru des demandes de brevet, lu des documents techniques nébuleux et vu des milliards et des milliards de dollars se déverser de Chine, Google et Apple dans d’obscures entreprises dirigées par des hommes à longues barbes portant des T-shirts Nirvana. Ces énormes sommes d’argent veulent dire que c’est maintenant qu’on investit dans le futur. L’affaire, c’est que peu de gens ont fait les liens leur permettant de comprendre de quoi il retourne. L’année dernière, j’ai donc décidé de rencontrer l’une de ces entreprises. Ils m’ont littéralement époustouflé.
 
Magic Leap est une start-up de "mixed reality" basée en Floride ; elle dispose d’un investissement très sérieux et reçoit la visite de gens tout aussi sérieux. Tim Cook d’Apple a passé de très, très nombreuses heures avec eux et des journalistes ont fait de même, à signer des accords de confidentialité épais comme des annuaires téléphoniques. Ce qu’ils font va tout changer. Cela va changer ce que nous faisons et notre manière de le faire. Leur prototype initial était encombrant, laid et nécessitait un bloc d’alimentation de la taille d’un livre de poche pour démarrer. Cependant, il préfigure quelque chose de très particulier. Mais revenons brièvement à ce fichu téléphone portable pour comprendre le contexte.
 
Nous vivons dans deux univers. L’un réel, l’autre digital. Le portable est notre moyen de communication avec nos amis, notre famille, nos divertissements, le sport, les films et nos rendez-vous. Voilà un matériel extrêmement addictif, doté d’un seul gigantesque défaut. Il tient dans la main et ne mesure que quelques centimètres de large. Ce portail vers notre seconde vie sera un jour considéré comme un amusant pépin technologique. Nous nous pencherons sur le passé et nous nous souviendrons de la façon dont des générations ont marché tout au long de leur vie en regardant un écran de la taille d’un paquet de cigarettes. C’est antisocial. C’est cher et - en tout cas pour les entreprises de technologie - c’est en voie de disparition. Comme le noir et blanc a cédé la place à la couleur, à la 3D, à la 4K, les générations suivantes sont planifiées des années à l’avance. Ce matériel-ci nécessite simplement un peu plus de puissance que la plupart des autres. La loi de Moore stipule que le nombre de transistors dans un circuit intégré dense double environ tous les deux ans. Ce qui veut dire que la technologie devient plus petite, plus rapide, plus cool et dure plus longtemps. La technologie est à la fois prévisible et inévitable. Les experts prédisent que tout changera d’ici trois à cinq ans.
 
C’est logique, en fait. Nous tenons en main un objet qui coûte dans la plupart des cas plus de $2.000. Nous le laissons tomber. Nous le rayons et une visite chez l’opticien sur quatre concerne une fatigue oculaire causée par ces minuscules écrans. Socialement parlant, c’est embarrassant. Plutôt que de profiter de ce que nous propose le monde réel, nous existons virtuellement. Notre corps bouge, mais notre esprit joue, discute et regarde.
 
Alors, à quoi ressemblera l’avenir ? 
 
Et si le monde réel et le virtuel ne faisaient plus qu’un ? C’est le concept de "mixed reality" et les investissements de dizaines de milliards indiquent que cette voie est inévitable. La "mixed reality" est très, très éloignée de la réalité augmentée, qui intègre de simples objets animés dans le monde réel, généralement via un écran mobile. La mixed reality comprend parfaitement où se trouvent les surfaces et les sources lumineuses. Du coup, les objets ont l’air d’être à leur juste place. Imaginez un jeu d’échecs virtuel qui réfléchit la lumière avec précision lorsque vous tournez autour. C’est ce qui se passe actuellement, mais dans quelques années, ces objets virtuels seront presque impossibles à distinguer de leurs équivalents réels. Un jour, les lentilles de contact créeront ce nouveau monde digital. D’ici là, nous utiliserons de simples lunettes sur ordonnance.
 
Nous nous rendrons toujours à l’Apple Store. Nous continuerons à acheter des portables. Mais on achètera aussi ces lunettes. Je ne parle pas de ces lunettes steampunk ridiculement grandes que Microsoft (et Magic Lead, en effet) utilise comme démos technologiques. Elle seront fines, tendance, et produites par Chanel, Tom Ford, Ray Ban et Versace. Elles puiseront leur énergie et leur mémoire dans votre téléphone portable. Un grand nombre de personnes choisiront bien sûr de continuer à utiliser leur portable, et en le tenant en l’air, elles auront la chance de découvrir ce nouveau monde passionnant, mais pas avec les qualités totalement immersives des lunettes.
 
Les lunettes vous serviront d’affichage heads-up. Vous verrez vos e-mails et les textes apparaître comme s’il s’agissait de petites bulles flottant dans l’air. Le GPS superposera les itinéraires à la route. Les langues étrangères seront instantanément traduites et intégrées harmonieusement à votre vision. Si vous voulez regarder un grand match, vous pourrez l’étirer avec vos doigts à la taille d’un écran de cinéma et le placer sur la surface de votre choix. Vos présentations seront simples comme bonjour. Il suffira de télécharger un téléprompteur et celui-ci apparaîtra virtuellement devant vous, invisible pour votre public. À l’heure actuelle, Magic Leap examine la façon dont nous vivons et trouve les moyens d’améliorer notre vie. L’une de leurs idées est un système simple de reconnaissance faciale qui place virtuellement dans l’air des renseignements pratiques et intéressants à propos des gens. Pour quelqu’un qui ne se souvient jamais des noms et des visages, ce sera une bénédiction. 
 
Comme vous pouvez l’imaginer, les applications possibles sont infinies. Deux mondes ne feront plus qu’un et ce sera à nous de décider à quel point le digital se superposera à notre réalité. C’est là que nous intervenons. Les univers de mixed reality voient toutes les surfaces que nous pouvons imaginer. Y compris les voitures, les bus, les panneaux d’affichage, et même les gratte-ciel. On pourra se saisir de toutes ces surfaces et choisir celle sur laquelle placer des images en mouvement, des films et des personnages animés. Et comme seul l’utilisateur pourra les voir, ils pourront être ciblés avec précision.
 
Qu’en est-il de la pub dans ce nouveau monde ? 
 
Plutôt que de faire de la pub pour le dernier film Godzilla, nous créerons une patte de lézard réaliste qui semblera se frayer un chemin à travers le bâtiment juste devant. Plutôt que d’afficher des annonces automobiles, nous projetterons la nouvelle Lexus sur votre propre voiture. Vous pourrez l’examiner sous tous les angles, et même monter à bord car la mixed reality en projettera l’habitacle sur le vôtre.
 
Les campagnes touristiques vous emmèneront dans les rues de Paris, Tokyo ou New York, chaque voiture, chaque bâtiment étant remplacés de manière parfaitement fluide.
 
Et bien sûr, tous les panneaux publicitaires, tous les abribus, n’importe quelle surface imaginable pourront afficher des images statiques ou animées qui s’adresseront directement à vous.
 
Ceci comporte évidemment des implications tant pour les entreprises médias que pour celles qui gèrent les médias traditionnels. A qui achèterons-nous cet espace ? Est-ce que je recevrai une commission si mon bâtiment est utilisé comme panneau publicitaire virtuel ?
 
Le futur sera un monde de publicité outdoor qui utilisera toutes les compétences et techniques que nous avons apprises depuis des décennies. Mais cette fois, il n’y aura pas d’excuse pour faire usage d’images de stock ou d’imbécillités lifestyle. Il ne s’agira pas d’un monde de surfaces planes, mais de tout un univers aux possibilités illimitées. Et au fur et à mesure que les consommateurs changeront de monde au gré de leur imagination, nous devrons suivre le rythme, en produisant un travail passionnant, provocateur et créatif.
 
Comme c’était le cas avant.
 
A l’époque.
 
(Le texte original a été publié ici.)

 

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