Lors de l'événement organisé le 22 mai dernier à l'occasion du
lancement de Belgian Publishing Experience (BPX) sous l’impulsion des cinq éditeurs membres - DPG Media, Mediahuis, Roularta, Rossel et IPM - et de son Managing Director, Gauthier Elslander, les participants ont pu suivre un vaste tour de table réunissant rédacteurs en chef et éditorialistes, animé par Danny Devriendt (IPG Dynamics) dont nous reprenons ici quelques contenus-clés.
Ce débat réunissait plusieurs ténors du journalisme belge : Karel Verhoeven (De Standaard), Béatrice Delvaux (Le Soir), Dorian de Meeûs (La Libre), Anne-Sophie Bailly (Le Vif) et Remy Amkreutz (De Morgen). L’accent était clairement mis sur la partie éditoriale et la mise en avant de ce qui crée la différence avec les plateformes et les agrégateurs.
Le groupe de journalistes s’est tout d’abord entendu pour reconnaître que le monde a changé depuis la période Covid. Celle-ci a vu se renforcer l’usage débridé des réseaux sociaux et pour véhiculer de la pseudo-information : pas de chance, ceci devait coïncider avec l’émergence accentuée du complotisme, devenu tendance sociologique généralisée. Et les responsables de rédaction, qui seraient autant de sociologues de circonstance, de constater que les fonctions statutaires se sont toutes écroulées sur le plan de la réputation. Ceci des notaires aux professeurs en passant par les fonctions médicales, les magistrats… et sans oublier les journalistes ! Le monde doutait de tout « mais les gens avaient plus que jamais besoin de contenus fiables et d’une information de qualité, il fallait un balancier compensatoire », précise Anne-Sophie Bailly. Et la crédibilité des professionnels de l’information reste challengée aujourd’hui, relève Béatrice Delvaux : « Trump insulte et menace personnellement les journalistes, les attaquant pour incompétence alors qu’il s’agit bien sûr de tout autre chose. Mais il travaille pour nous ! Il nous fait réagir et nous avions besoin de ce wake up call ». A savoir la réaffirmation des qualités essentielles de ce métier : « la qualité, l’éthique et l’indépendance », entend-t-on dans la discussion. « Bienvenue dans le monde des faits », conclut Delvaux sur un applaudissement spontané de la salle. Les CEO des groupes de presse sont heureux (du moins ceux qui se sont déplacés) et les hauts représentants de l’UBA ont le sourire.
Il est encore mentionné que le travail de presse produit « une denrée rare », à savoir des contenus contrôlés, certifiés et cadrés par des rédactions, dans un sens positif et non restrictif. Mais cette rareté n’est pas en lien avec le volume d’audience, ce que ne manque pas d’évoquer Dorian de Meeûs : « Nous n’avons jamais eu autant de lecteurs de la Libre, prenant en compte bien évidemment tous les modes d’accès. » Un élément confirmé par Remy Amkreutz parlant de DPG Media en large : « Nous avons beaucoup investi pour garder toutes les audiences dans la mouvance digitale et pour recruter les jeunes. Cette stratégie est aujourd’hui payante. »
Car in fine, et comme le précise l’ensemble des intervenants, le plus important est la matière produite. Les canaux de diffusion viennent ensuite, et il appartient à chaque éditeur de s’adapter. « Les articles peuvent se décliner en format audio ou video courts, dans le modèle Tik Tok. Il ne faut pas lutter contre ces réseaux sociaux qui nous submergent, il faut en adopter des pratiques », selon de Meeûs. Sa consoeur du Soir ne dit pas autre chose et résume la situation en rappelant que « les médias belges sont tous sur les réseaux sociaux et sur Facebook. Il n’y a pas deux mondes avec un mur au milieu. Nous sommes dans un écosystème que nous devons maîtriser. Et certains contenus sont à considérer aussi sur les réseaux sociaux. » Et Karel Verhoeven de rebondir sur ce point : « C’est une partie complexe du métier, il n’est pas évident de suivre tous les sujets et de déterminer ce qui est important. Le stream des infos est continu et énorme, et le fast checking est difficile surtout avec la masse des contenus vides de sens. » Son confrère Remy Amkreutz complète le propos : « Il faut malgré tout rester positif et constructif, avoir des solutions et ne pas être naïfs. Si les contextes sont si négatifs, c’est un choix des médias aussi. » "Bad news sell better", paraît-il. Ici, il est question d’audience, mais à propos de ventes, qu’en est-il de l’évolution des recettes publicitaires ?
Il nous a fallu poser la question sur le côté, car pour le lancement de BPX, le sujet n’était pas à l’ordre du jour - priorité au produit. Catherine Ducamp, Media Manager chez BNP Paribas Fortis était dans la salle et nous l'avons interrogée sur la valeur des éditeurs locaux dans les plans médias : « Il s’agit avant tout de confiance. Celle qu’on doit avoir dans les contenus environnant nos publicités, et dans le secteur bancaire, est particulièrement sensible. Nous sommes aussi sur les réseaux sociaux, et en effet, ils font plus ou moins ce qu’ils veulent. Mais c’est un canal incontournable pour les campagne à la performance. Dans notre logique d’investissement, nous sommes attentifs à bien représenter les médias locaux. En tant que leader de marché, c’est une responsabilité que nous pensons avoir ».
Dernier point de vue complémentaire, celui de la récente COO de Rossel (pour la Belgique et la France) : Sabina Gros. Cette dernière détient une longue expérience en agence média également, et pointe trois raisons stimulant les Gafam dans les stratégies : « Le reach, le ciblage et la simplicité d’achat. Et si leur couverture et la capacité à cibler fin sont des principes évidents, il ne faut pas sous-estimer le point de la facilité de planning et d’achat. Comme d’autres aspects, les médias locaux devraient s’en inspirer. » Plus intéressant encore, les trois axes sur lesquels ces médias feraient bien de s’aligner pour maintenir ou développer leur position selon elle : « Valoriser l’efficacité pub via les études sur l’attention qui nous donnent gagnants. Produire des formats de qualité ou créatifs. Et travailler sur la data dans toutes les limites possibles, avec une optique de performance. » Ce qui ne serait pas sans devoir éduquer les annonceurs, « mais sans doute que les agences médias prennent cela bien en mains », conclut l’ancienne CEO de Carat France. Nous laisserons le soin à BPX de le vérifier.