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Se heurte-t-on aux limites de la pub hyper personnalisée ?

Mercredi 21 Décembre 2022

Se heurte-t-on aux limites de la pub hyper personnalisée ?

Depuis quelques années, il se dit que les données valent de l’or, et que la pub ne peut fonctionner que si les messages sont hyper ciblés et personnalisés. Cette tendance se traduit par des solutions de plus en plus high-techs dans tous les segments média via l’audience tracking, le programmatic buying, l'addressable TV, le digital out of home, etc.

Entretemps, les annonceurs se sont cependant peu à peu rendu compte que l’utilisation intensive de campagnes d’activation hyper ciblées se faisait parfois au détriment de la brand building, parce qu’elles n’atteignent plus suffisamment le grand public et que les messages personnalisés irritent les groupes-cibles. Faut-il y mettre un frein en nous montrant plus circonspects et responsables dans l’utilisation des données, des outils de tracking et autres mesures si l’on ne veut pas se heurter aux limites de la publicité ciblée ? 

Nous avons posé cette question pertinente et difficile à un duo complémentaire, composé de Bart De Pauw, Chief Business Intelligence chez GroupM, en tant que spécialiste du Media Mix Modeling, et de Steven De Deyne, Lead Brand, Communication & Media Central chez Proximus, un annonceur à la vision pragmatique qui joue à la fois le rôle de marque média et de fournisseur de données au sein de l’écosystème.
Les données sont de l'or, et l’or ne perd pas de sa valeur
« Il est vrai que les données sont cruciales pour l’avenir de la communication commerciale », commence Steven De Deyne. « Grâce aux données, nous comprenons ce qui fonctionne ou ce qui plaît. Mais la personnalisation ne doit pas devenir une fin en soi :  ce qui l’est, c’est la pertinence des messages. Il est possible de l’augmenter considérablement en utilisant les données, mais pour cela, nous devons nous concentrer sur les profils spécifiques des personnes, mais également sur le momentum, le choix du canal et le contexte. Ce n’est qu’à cette condition que nos campagnes réussiront à avoir de l’impact sur la perception, l’efficacité et l’efficience de la marque. » 

Des chiffres d’audience précis ont toujours été le fondement d’une pub plus efficace. Disposer de plus de données, c’est pouvoir adresser ses messages avec davantage de précision. « L’addressability est souvent considérée comme un élément essentiel de l’optimisation de la présence physique des marques par le biais de l’offre e-commerce, sur les sites internet et les médias shoppable », explique Bart De Pauw. « Les marques peuvent ainsi s’assurer d’être disponibles et accessibles à tous les moments d’achat possibles, en transformant les signaux provenant des données en actions favorisant la conversion, en diffusant le bon contenu dans le bon contexte. Pour ce faire, on ne doit pas nécessairement créer des interactions jusqu’au niveau de la personne, on peut travailler par groupe-cible. Cette couche digitale dans la stratégie des ressources peut se révéler très efficace en combinant personnalisation extrême et ‘triggers tactiques’, ainsi que des expériences immersives. Au final, il s’agit d’évaluer le coût d’une personnalisation poussée par rapport au retour sur investissement, en tenant également compte des limites des plateformes. »
L’addressability est une bénédiction, et parfois une malédiction
« Une bonne utilisation des données permet à l’annonceur de faire de la pub de manière plus sélective auprès de son groupe-cible et d’éliminer le ‘waste’ de ses campagnes », indique Steven De Deyne. « Dans notre secteur, il paraît un peu trop comme allant de soi que les marques utilisent les ressources médias pour accumuler des GRP sur de larges cibles qu’elles ne souhaitent pas réellement atteindre. Nous pourrions encore mieux minimiser ce gaspillage avec un ciblage plus précis. »  

L’addressability est certainement une bénédiction pour la publicité, sauf si les marketers tombent dans le court-termisme, où l’efficience l’emporte sur l’efficacité. « Le danger d’une vision tunnel à court terme réside dans l’enregistrement fréquent de mesures trop unilatérales parce que disponibles gratuitement », prévient Bart De Pauw. « Il s’agit trop souvent de mesures qui n’ont absolument aucune importance, voire d’indicateurs absurdes et erronés comme le ‘last click’. Cette approche est dangereuse pour les marques, car la maximisation du ROI va à l’encontre de la croissance. Avec un hyper ciblage mal utilisé, les marques se contractent au lieu de se développer, mais avec un ROI plus élevé. Ce qui est particulièrement problématique ici, c’est que l’on remarque une érosion de la marque après un certain temps, alors que les pics de vente à court terme donnent de bons résultats. » 

Le danger de cette approche tactique axée sur le ROI mesuré à court terme réside dans le fait que les marketers pensent qu’ils font du bon travail, alors qu’à long terme, ils scient en réalité la branche sur laquelle s’assiéra leur successeur.
Du storytelling au storyselling
N’a-t-on alors vraiment pas besoin d’hyper targeting pour une marque saine et en pleine croissance ? Les adeptes de Byron Sharp (auteur de “How brands grow?” ndlr.) ont largement prouvé qu’une marque ne peut se développer qu’en communiquant auprès d’un large public, et mettent ainsi en garde contre le fait d’ignorer les médias de masse au profit d’une activation personnalisée poussée. 

Les deux fondements de la croissance des marques résident dans l’importance de la catégorie des consommateurs à faible fréquence d’achat, combinée au facteur d’imprévisibilité de la fidélité à la marque. « Il est donc essentiel pour les marques de miser sur la disponibilité mentale de leurs consommateurs au moment où ils entrent dans une certaine catégorie de consommateurs potentiels, ou lorsqu’ils envisagent un achat », explique Bart De Pauw. Le ‘single minded message’ des marques doit donc être suffisamment large pour séduire les masses. 

On aborde aussi souvent dans la foulée la question du branding opposé à l’activation, où la règle 60-40 serait celle des bonnes proportions des investissements marketing, mais cette règle n’a pas valeur universelle. Les conclusions de Les Binet montrent que les catégories ‘low interest’ ou les produits ‘commodity’ doivent investir davantage dans le branding que ces 60 %. Les spots de storytelling sont rois : des récits émotionnels puissants, qui partent d’un ‘consumer benefit’, qui sont pertinents et clairement distinctifs. L’efficacité des campagnes repose sur le bon rapport entre brand building et activation combinées, où l’addressability est appliquée dans la bonne proportion. Et c’est là où le bât blesse : le court-termisme n’est jamais bien loin.
Trouver le juste milieu et s’adapter à la complexité du monde
Toute marque doit avoir l’ambition de pouvoir dire à un large public-cible ce qu’elle représente de manière pertinente pour le groupe-cible en question. Une fois les besoins des consommateurs connus, il faut également s'adresser directement et précisément à ses clients. « Il existe une stratégie de ‘movable middle’, une sorte de moyen terme entre large audience pour un gros budget et une approche ROI étroite où on joue la carte de la performance », dit Bart De Pauw. « Il s’agit d’assurer une croissance à court terme, tout en se constituant une tirelire pour conserver du budget afin de mener des campagnes plus larges de temps à autre. Byron Sharp ne croit pas à cette approche parce que les moyens consacrés à la construction de la marque dépendent alors de stratégies à court terme. »  

Les marketers doivent veiller à ne pas pousser à l’extrême l’utilisation du targeting. « La notion de ‘Minimal Viable Audience’ de Seth Godin est souvent mal utilisée », affirme Steven De Deyne. « Il est évident qu'un produit, un message ou une publicité ne s’adresse pas à tout le monde. C'est bien, mais chaque marque peut trouver une ‘viable audience’ et, sur cette base, personnaliser davantage sa communication avec tous les partenaires de la chaîne de communication. Nos modèles n’ont en effet rien à voir avec l’hyper targeting ou la micro-optimisation de la portée et des messages créatifs, qui mettent davantage sous pression les performances et le ROI des campagnes. Parce qu’alors, le business case ne fonctionne pas et cela devient une ‘non-viable audience’. 

L'évolution rapide des technologies de collecte et de ciblage des données pose des défis à tout l'écosystème. Les broadcasters locaux doivent essayer d'être compétitifs dans la bataille des investissements qu'entraînent les nouvelles technologies, l'accroissement des données et les nouveaux services. « Certains devront revoir leurs ambitions et passer à des opérations plus rentables, ou chercheront des collaborations par le biais de fusions ou d’acquisitions locales et internationales », prédit Bart De Pauw. « Les régies locales essaieront d’avoir des acteurs internationaux dans leur portefeuille, afin de commercialiser de nouveaux produits et inventaires tels que des partenariats de données médias. Les acteurs locaux s'adapteront comme ils l'ont toujours fait, mais dans un monde de plus en plus complexe. Les agences médias verront un monde de nouvelles opportunités s'ouvrir aux plateformes et aux flux de données tels que le retail media ou les métavers. »

Les agences médias doivent continuer à se réinventer et à transformer leur expertise, leur talent et leur positionnement sur un terrain de jeu concurrentiel plus complexe. « La fin du cookie tiers ne signifie certainement pas la fin de l'addressability », explique Steven De Deyne. « De plus, le cookie mettait trop l'accent sur la ‘consumer centricity’ unilatérale, ignorant ainsi les fondamentaux de l'efficacité de la publicité comme le contenu du message, le contexte et la communauté. »   

Ces éléments regagnent aujourd'hui en importance grâce au ciblage sémantique et contextuel, aux mesures de confiance dans la plateforme et de l'attention. Le cookie tiers, qui n'était pas infaillible et pas toujours de la meilleure qualité, est de plus en plus remplacé par des first party data, qui améliorent en soi la qualité du ciblage. Bart De Pauw : « Le plus grand défi pour les acteurs locaux réside dans la structure du marché qui fait que le contenu et la distribution ne sont pas logés sous le même toit, sans parler du ‘link and loop’ avec les résultats de leurs campagnes en termes de chiffres de vente. Ce qui est cependant le cas d’Amazon, par exemple. Les broadcasters et les telcos sont à la merci les uns des autres, mais cela ne veut pas dire qu’ils veuillent travailler de manière transparente. Et c’est là le hic. » Et de conclure : « Par conséquent, nous sommes confrontés à un manque de confiance, à de l’incompréhension, à des querelles politiques, à une apathie et à une bataille pour la plus grosse part du gâteau. Je constate qu’il y a progrès, mais ils sont lents. »

Max B. Brouns

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