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Tout bon marketer est un praticien des sciences comportementales, par Florian Linclau (Head of Analytics & Insight, Wavemaker)

Vendredi 12 Mars 2021

Tout bon marketer est un praticien des sciences comportementales, par Florian Linclau (Head of Analytics & Insight, Wavemaker)

Cette affirmation peut vous paraître étrange car ce domaine vous semble éloigné de votre champ d'expertise. En réalité, la science du comportement, c'est l'étude des activités et des interactions entre différents organismes dans la nature. Avec cette définition, le lien avec le marketing devient plus clair : nous tentons de comprendre comment les activités des consommateurs évoluent afin de faire évoluer nos produits en fonction de leurs besoins, nous tentons également de comprendre leurs différentes interactions avec le monde qui les entoure afin d'optimaliser la façon dont nous entrons en contact avec eux. 

Inutile de rappeler à quel point le nombre de points de contact a fortement évolué au cours de ces vingt dernières années. Ce nombre ne cessera d'évoluer avec les nouvelles technologies ou encore au travers les smart cities, ce qui rend l'étude du comportement encore plus indispensable.   

Qu'entend-t-on par science du comportement ?

L'être humain est irrationnel mais prévisible, écrivait Dan Ariely en 2010. 

95% de ce que nous faisons, nous le faisons de façon non consciente. Nous sommes la plupart du temps en mode automatique pour une simple raison : notre cerveau consomme 20% de notre énergie alors qu'il ne représente que 2% de notre masse corporelle. Le passage en mode automatique est plus une question de survie que de confort. 

Lorsque l'on se penche sur la question, nous sommes conscients de ce que nous demandons à notre corps, mais nous ne sommes pas en charge de la réalisation. Si je veux prendre un objet sur la table, je ne vais pas contrôler l'afflux sanguin dans mon bras afin d'en activer les muscles. C'est un procédé automatique qui prend ces éléments en charge. 

Cet état de fait concerne également nos prises de décisions. Daniel Kahneman, psychologue et prix Nobel d'économie en 2002, l'évoque dans son livre "Thinking, fast and slow". Notre système 1 concerne les prises de décision rapides de l'ordre de la pensée automatique, que l'on appelle également heuristique de jugement et qui concerne, pour la plupart, des décisions qui nous semblent peu lourdes de conséquence. En fait il s'agit de raccourcis cognitifs que nous utilisons afin de simplifier les opérations mentales (à nouveau) pour préserver notre énergie et répondre aux exigences de notre environnements - ce qui ouvre la porte aux biais cognitifs dont nous parlerons plus bas. A l'inverse, il y a notre système 2, lequel concerne toutes les décisions qui demandent de la réflexion et où les conséquences de ces décisions nous semblent importantes. 

Par exemple, notre système 1 s'activera lors du choix entre deux paquets de pâtes, alors que notre système 2 s'activera lors du choix d'une assurance. 

Quelques concepts clés pour comprendre la science du comportement 

Nous sommes des animaux sociaux, voulant dire que nous vivons dans une société codifiée où chaque individu est supposé avoir un rôle et a tendance à s'identifier et identifier l'autre à l'aune de ses propres valeurs sociales. On peut illustrer ceci par le vieil exemple du cadre qui s'achète une Rolex afin de faire correspondre son nouveau statut à l'image mentale qu'il en a. A côté de cela, en tant qu'animal social, nous ressentons le besoin de vivre et d'interagir avec nos pairs - un fait qui a résonné tout au long de cette pandémie.  

Le deuxième concept est lié à la notion de rationalité limitée. C'est Herbert Simon qui en fit la démonstration en 1978 : les prises de décisions se font sous la contrainte. Soit d'information, soit de temps ou de biais cognitif. 

En d'autres termes, face à un choix nous nous arrêterons la plupart du temps sur la première option qui nous semble satisfaisante : si vous vous rendez dans un magasin afin d'acheter un paquet de pâtes, mais la marque que vous recherchez est en rupture de stock, vous choisirez vraisemblablement une autre marque plutôt que de vous rendre dans un autre magasin pour y acheter la marque initialement souhaitée.

Le troisième et dernier concept que nous parcourrons dans cet article c'est l'aversion au risque, défini par Kahneman et Tversky dans leur théorie des perspectives. Il s'agit-là de l'idée maîtresse à l'application des sciences comportementales au domaine de l'économie, de la finance et de la santé.  

Cette aversion au risque décrit la manière dont nous percevons de manière asymétrique les perspectives de gain et de perte. Par exemple, la douleur ressentie à la perte de 50 euros sera plus forte que la joie d'en gagner 50. Autre exemple, les services de streaming diminuent la perception du risque lié à l'abonnement en vous offrant un mois gratuit et la possibilité de l'annuler à tout moment. 

Les champs d'application 

On retrouve énormément de science du comportement au sein des e-commerces, des réseaux sociaux et des services de streaming. D'une part, parce qu'ils détiennent énormément de données comportementales et d'autre part, parce que leur métier principal consiste à garder les utilisateurs le plus longtemps possible sur leurs plateformes et faire en sorte qu'ils y reviennent le plus souvent possible. Pour l'e-commerce, il faut également ajouter la notion de motiver l'achat tout en diminuant les contraintes liées. 

Pour ce faire, les développeurs font appel à des Behavioural Scientists, tels que BJ Fogg ou encore Dan Ariely qui rendront leurs applications irrésistibles. 

Le dernier exemple en date concerne TikTok. Pourquoi cette app a-t-elle autant de succès et pourquoi est-elle tellement addictive ? 

Outre l'effet confinement qui a probablement boosté son adoption, nous pouvons y retrouver quatre éléments dans son fonctionnement qui appartiennent au champ des recherches comportementales : 
 
1. TikTok nous propose une interface très simple à utiliser. Une vidéo en full screen sur laquelle le swipe est possible à n'importe quel endroit sur l'écran, très peu d'options d'interactions, à part des fonctions déjà connues (like, share, comment). De plus il n'y a aucun frein à son utilisation : il n'est pas nécessaire de créer un compte pour voir les vidéos. 

2. TikTok va très vite transformer votre comportement (easy swipe) en habitude, il vous pousse à la répétition de par ses vidéos au format très court (maximum 60") et l'obligation de swiper, sinon la vidéo tourne en boucle.

3. TikTok fonctionne sur un système de récompense variable, qu'on appelle en psychologie "conditionnement opérant". En effet, l'algorithme vous montrera la plupart du temps des vidéos que vous êtes supposé aimer (la récompense) ainsi que des vidéos que vous n'aimez pas (la punition).

Ce mécanisme tend à renforcer votre comportement (le swipe) en alternant récompense (vidéo qu'on aime) et punition (vidéo qu'on n'aime pas). Car lorsque vous aimez une vidéo, cela va faire en sorte que vous restiez sur TikTok et lorsque vous n'aimez pas la vidéo, cela va renforcer votre comportement en vous forçant à répéter votre comportement (le swipe) jusqu'à l'obtention d'une récompense (vidéo que vous aimez).

4. TikTok est un univers de scroll infini. En effet, vous ne retomberez normalement jamais deux fois sur la même vidéo, ce qui fait que votre comportement ne sera jamais "frustré". Cette impression d'infini nous immerge dans l'application et nous plonge dans un effet de flow qui nous fait perdre la notion du temps (effet existant dans les jeux immersifs tel que World of Warcraft). 

Comment la science du comportement s'applique au marketing aujourd'hui ? 

Outre la gamification dont il est beaucoup question en ce moment, la behavioural science tend à utiliser des failles de notre cerveaux appelées biais cognitifs. Ces biais sont des distorsions cognitives qui se produisent lorsque nous traitons une information. 

Parcourons quelques-uns de ces biais, avec des exemples d'applications marketing. 

1.     L'effet Barnum

Nous avons une forte tendance à accepter des déclarations vagues, ambiguës et généralisées lorsque nous pensons qu'elles ont été faites pour nous. C'est sur ce biais cognitif que s'appuie notamment les horoscopes. 

Au sein de toutes les plateformes de streaming, il existe ces fameuses playlists faites pour vous (exemple de Spotify). Bien entendu, ce n'est qu'une playlist construite sur base de vos écoutes précédentes ou sur base d'informations que vous avez fournies à la plateforme ; pour autant, nous avons réellement le sentiment qu'elle nous est personnelle.
2. L'effet d'ancrage 

C'est un effet bien connu dans le marketing. Il s'illustre au travers des promotions, en affichant un prix barré qui biaise notre perception des alternatives possibles et devient notre seule référence. Cet effet s'appuie sur le concept selon lequel nous ne sommes pas des "Ideal Decision Makers" : nous ne comprenons pas tout, nous ne connaissons pas tout et il y a beaucoup trop de choix.  

L'ancrage peut également concerner notre perception de la valeur d'un prix acceptable. Par exemple avant 2018, un smartphone était considéré comme cher lorsqu'il avoisinait les 800 euros. En 2018, Apple est arrivé sur le marché avec l'iPhone XS à plus de 1000 euros, dépassant une barrière psychologique. Ce qui créa un nouvel ancrage sur le marché en rendant dès lors les téléphones à 800 euros relativement abordables. 

3. L'effet de mode (ou pression sociale) 

Il définit un comportement nous poussant à nous mêler dans la masse (mouton de Panurge).  Il s'agit de cet effet grégaire nous poussant à préférer un restaurant dans lequel il y a du monde à celui qui est vide, en reposant notre prise de décision sur le comportement de nos semblables.  

Souvent utilisé par les sociétés technologiques (exemple Babel.fr) en combinaison avec le système d'ancrage (le premier prix de 9,95 euros servant uniquement de valeur de référence). La référence Best-Seller génère un sentiment de confiance à l'égard de notre prise de décision. Elle nous rassure sur le fait que nous ferons le bon choix. 
4. Les heuristiques de disponibilités

Il s'agit d'un mode de raisonnement se basant sur les informations immédiatement disponibles dans notre mémoire. Ce biais cognitif est très utilisé en e-commerce afin d'aider les clients/consommateurs/visiteurs à prendre des décisions dans un environnement virtuel qui ne permet pas d'évaluer soi même un produit. Par exemple, le fait de voir 5 étoiles attribuées à un produit va directement vous rassurer dans votre choix et vous ne lirez certainement pas tous les commentaires associés. Ou encore des termes tels que "éco-responsabilité", "coup de coeur" ou encore "offre à durée limitée" vont diriger vos décisions. 

Conclusions

Comme vous avez pu le constater, la science du comportement est déjà fortement présente dans le monde du marketing, et principalement dans le domaine digital. La raison étant vraisemblablement que le nombre et le détail des données disponibles, permet à ces plateformes de comprendre plus rapidement ce qui pousse ou freine un comportement. Il faut donc s'attendre à ce que ce phénomène s'accentue au rythme des nouvelles données disponibles générées aujourd'hui tant par les smart devices et leurs sensors qu'au travers des smart cities dans un futur proche. 

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