Nl

MEDIA

Comment RMB accélère sa mutation

Dimanche 26 Octobre 2025

Comment RMB accélère sa mutation

À l’occasion des 40 ans de RMB, Yves Gérard et Massimo Papa, respectivement CEO et Deputy General Director, reviennent sur la profonde transformation d’une régie née dans le linéaire en une "entreprise de communication" engagée dans les défis du digital. 
 
Face à une concurrence globalisée, à la pression technologique et à l’évolution des usages, RMB mise sur la diversification, l’innovation et le collectif pour défendre la valeur des médias locaux. Une interview entre convictions stratégiques et lucidité sur les enjeux du marché.
 
En 40 ans, RMB est passée d’une régie TV/cinéma à un écosystème média, data & tech. Quel regard portez-vous sur cette transformation ?
 
Yves Gérard
 : En 40 ans, RMB a toujours su s'adapter aux évolutions de notre écosystème, passant du linéaire traditionnel à l'ère digitale. C’était une nécessité business, mais aussi une nouvelle manière d’envisager la communication. Aujourd’hui, le marketing repose sur la valeur digitale. En tant que société défendant des éditeurs et des contenus locaux, RMB se doit de réunir toutes les conditions pour exister dans cet environnement, voire en définir les codes.
 
Massimo Papa : Les médias ont toujours évolué en lien avec les technologies, notamment celles de diffusion, qui transforment profondément les modèles de monétisation. Ce qui complique les choses aujourd’hui, c’est la vitesse de ces transformations. Pour une régie comme la nôtre, suivre ce rythme est un défi quotidien. 
 
Nous devons répondre à des attentes clients de plus en plus court-termistes tout en conservant une logique de construction durable. L’enjeu est de trouver l’équilibre entre la puissance technologique d’un discours individualisé et une narration porteuse de sens, plus émotionnelle.
 
Être à la tête d’une régie aujourd’hui, c’est faire preuve d’équilibrisme dans un environnement constamment instable. Surtout quand on commercialise des médias régulés qui incarnent, d’une certaine manière, des enjeux démocratiques dans un univers dominé par des plateformes non régulées - et très honnêtement, je m’interroge aussi en tant que citoyen : vers quoi tend la consommation média ? Quelles conséquences sur les sociétés de demain ?
 
Cette transformation est à la fois stimulante et préoccupante. Elle touche à la technologie, au développement durable, à la data, au comportement des consommateurs, au marketing inversé... Elle soulève aussi la question de la place de la Belgique, et en particulier de la Belgique francophone, dans cet écosystème.
 
Nous ne sommes que des porteurs de parole : notre rôle est d’adapter la stratégie de l’entreprise à ce que nos clients attendent. Et, modestement, je pense que nous nous en sommes plutôt bien sortis jusqu’à présent.
 
Vous êtes l’une des dernières régies "externes". Cette position est-elle un avantage ou une contrainte ?
 
Yves Gérard
 : Les deux. C’est une opportunité dans la mesure où cette indépendance nous donne accès à des terrains d’expérimentation qu’une régie intégrée ne peut pas forcément explorer. Cela nous permet une plus large diversification, mais c’est aussi plus exigeant : lorsque vous êtes indépendant, vous n’avez pas nécessairement un soutien plein et entier de vos actionnaires. 
 
C'est-à-dire ?
 
Un moment charnière de l’histoire de RMB a été la cession de notre activité cinéma, RMB International. Nous sommes passés d’un équilibre privé-public à un actionnariat exclusivement public. Malgré une belle liberté laissée par notre actionnaire, cela a induit une certaine schizophrénie : nous évoluons dans un environnement économique libéral, tout en subissant des influences de type service public, voire politiques. Cela nous oblige à constamment arbitrer entre dynamiques commerciales et contraintes institutionnelles. Le dossier France TV en est sans doute la dernière illustration. TF1 l’a été aussi à un moment, en 2017… C’est ce qui est compliqué. 
 
Vous restez néanmoins une société privée ?
 
Tout à fait. Une société privée avec un actionnaire public majoritaire, la RTBF, mais toujours ouverte à des partenariats capitalistiques privés. Cela entraîne parfois une confusion, certains allant jusqu’à nous assimiler au service public, et peut alimenter des critiques, notamment de la part de concurrents qui veulent limiter notre périmètre d’action. Qu’ils souhaitent limiter celui de l’éditeur public est une chose, mais viser notre régie commerciale - qui travaille aussi pour de nombreux éditeurs privés - est une erreur stratégique. Ils se trompent de combat. Nos adversaires sont à l’international. Plutôt que de s’opposer entre acteurs locaux, mieux vaut unir nos forces pour défendre la valeur des médias que nous représentons.
 
Massimo Papa : Ce n’est pas le monde politique en tant que tel qui influe sur la gouvernance de RMB, mais plutôt certains jeux de lobbying privé. RMB est un garant du pluralisme : nous avons permis l’émergence de marques privées comme AB3 ou NRJ, et plus récemment investi dans LN24. Nous sommes une régie indépendante, dont une grande partie du chiffre d’affaires provient du privé.
 
On peut rêver d’un monde sans concurrence, mais ce serait un monde sans marché. L’épisode France TV est symptomatique d’une concurrence saine : elle crée du benchmark, empêche le monopole et donne du pouvoir de négociation aux annonceurs.
 
Yves Gérard : Comme je l'ai déjà dit dans le cadre de ce dossier, ce que nous développons vise à renforcer globalement le média télévision et à offrir au marché davantage de solutions publicitaires. Du reste, nous n’avons jamais reçu de subvention ni fait appel à notre actionnaire ou à l’État pour financer notre développement. Tout a été réalisé sur fonds propres depuis 40 ans. 
 
Vous parliez de la nécessité d’une union pour valoriser davantage la télévision... On en est loin, non ? 
 
On en est loin. Il existe néanmoins une prise de conscience croissante chez les acteurs locaux de l’audiovisuel : comment s’entendre pour être plus fort. Je pense que les choses sont en train de mûrir. Il s’agit de conserver une autonomie économique tout en consolidant une vitrine commune pour les médias locaux. 
 
Massimo Papa : L’enjeu tient aussi à la diversité des membres de VIA, au vécu et aux réalités économiques très différentes de nos entreprises. Mais en effet, il nous faut un référentiel marché pour mutualiser et simplifier l’accès aux inventaires publicitaires locaux. C'est une nécessité. Parce qu’en face de nous, il y a des Gafa qui ont des moyens technologiques démesurés. L’avenir des médias locaux dépendra de notre capacité à nous fédérer et à simplifier l’accès à nos solutions. Le succès de Google, Facebook ou TikTok repose sur cette simplicité d’accès. Nous devons suivre cette voie.
 
Qui pourrait porter un tel projet ?
 
Il faut des dirigeants écosystémiques, capables de sortir de leur zone de confort, d’accepter l’échec, l’expérimentation, la redéfinition des normes. Il faut réécrire l’histoire collectivement.
 
Vous avez déclaré que le 16 octobre 2025 - date de votre anniversaire - coïncidait avec l'an zéro de RMB…
 
Je fais le parallèle avec l’invention du feu, que l’on peut considérer comme l’an zéro de l’humanité, et la manière dont les technologies ont permis d’en transformer l’usage. Pour RMB, la question est : comment utiliser la technologie au service de nos clients, de la démocratie et de la société ?
 
Nous sommes à un moment clé. Il existe une demande du marché à laquelle il nous faut répondre. La place de la Belgique francophone dans cet échiquier est minime, et les investissements médias dans le sud du pays diminuent. Ce n’est pas du défaitisme, nous avons beaucoup d’idées, mais certains leviers sont de moins en moins à notre portée. 
 
Yves Gérard : D’où la nécessité de diversifier nos activités au-delà des écrans publicitaires. C’est l’objectif que nous poursuivons. Nous l'avons démontré avec la création de Flash et Slice : nous proposons de nouvelles solutions marketing aux annonceurs. Le monde du marketing et de la communication s’est fragmenté, et les marques investissent dans de nouveaux canaux alternatifs - influenceurs, créateurs de contenu, plateformes - que nous devons également intégrer à notre offre. Cela exige des investissements importants, notamment dans la technologie.
 
Massimo Papa : L’enjeu n’est pas uniquement technologique. La technologie permet d’accéder aux inventaires, mais nous ne disposons pas encore d’une chaîne de valeur totalement automatisée pour les médias TV et radio. Il est temps d’avancer vers des modèles en self-service. C’est une attente du marché. Nous devons donc proposer des outils accessibles aux annonceurs et agences, ce qui implique des investissements structurels.
 
Par ailleurs, nous devons investir dans la mesure et l’analyse. Aujourd’hui, les outils proposés par les Gafa sont extrêmement puissants. Le CIM One va améliorer notre compréhension du parcours client, mais il reste des angles morts - notamment sur les créateurs de contenu - qu’il faudra combler avec de nouveaux indicateurs.
 
Le marketing évolue. Il ne suffit plus de toucher une cible : il faut comprendre l’impact de ce contact. Le contexte, le moment, le canal sont désormais essentiels. Il existe un véritable rejet publicitaire lorsque ces paramètres ne sont pas respectés. Nous devons donc aller plus loin dans la création de métriques liées à l’attention et à l’engagement, ce qui suppose des investissements lourds, impossibles à assumer seuls.
 
C’est aussi ce qui rend cette période si excitante : nous basculons vers de nouveaux modèles. Il faudra veiller à ne pas tomber dans un hyper-ciblage algorithmique trop intrusif. Les fondamentaux de la publicité - création et construction de marque - restent valables. La technologie doit renforcer ces principes, non les effacer.
 
Vous évoquiez la diversification à tout prix… A n'importe quel prix ? 
 
Yves Gérard
 : La diversification est stratégique, tant pour l’équilibre économique que pour répondre à une demande croissante de diversité des canaux. Notre métier est d’offrir des audiences aux annonceurs. Dès lors, tout levier d’audience mérite d’être exploré. C’est notamment pour cela que nous sommes revenus vers le cinéma : ce média conserve une forte puissance émotionnelle et un pouvoir d’impact unique.

Notre stratégie repose sur trois piliers : la couverture de tous les écrans - du plus petit au plus grand -, la variété des cibles pour maximiser la couverture, et l’intégration des nouvelles technologies. 
 
Massimo Papa : Le terme "diversification" prend chez nous une dimension complexe. Avant tout, il s’agit de consolider ce que nous avons mis en place depuis le repositionnement de 2022. Côté médias, nous avons élargi notre offre radio avec Fun Radio et investi dans LN24. Nous avons également renforcé notre capacité d’analyse data avec une équipe dédiée, nous développons notre propre ERP pour automatiser les transactions, et nous lançons un nouveau site web connecté à un CRM, en route vers une plateforme e-commerce prévue pour fin 2025.
 
Autre pilier : le développement durable. Ce n’est pas une posture, mais un axe structurant, porteur de business, avec notamment nos nouvelle offres Blue ou notre prise participation dans Balnz, qui milite pour une consommation plus raisonnée des écrans. Un positionnement contre-intuitif, mais porteur.
 
Enfin, nous avons développé l'axe Content & Creativity avec Slice qui permet de produire des émissions, du contenu de marque, de l’influence marketing… C’est un terrain sans limites réglementaires, ouvert à toutes les collaborations.
 
Nous sommes multiples, comme les couleurs de notre logo. Nous créons une entreprise de communication. Nous sommes bien plus qu'une régie publicitaire. C'est aussi le sens de notre slogan, "Move Ahead" : un questionnement permanent. Nous allons mener avec les équipes un exercice stratégique pour voir comment continuer à nous déployer dans un monde globalisé, hyper technologique, où le consommateur est volatile dans ce qu’il croit et dans son attachement aux marques. Nous sommes dans ce questionnement permanent pour répondre aux problématiques de nos clients. 
 
Vous avez aussi évoqué un recul de 15% pour cette année ?
 
Yves Gérard
 : Nous enregistrons un recul de 15 % cette année sur la télévision, comparé à une année "sportive" (JO et Coupe du monde de foot, ndlr). Ce déclin du linéaire est partiellement compensé par une relative stabilité de la radio, et surtout par la croissance de nos activités de diversification, y compris le digital, qui représentent aujourd’hui près de 20 % de notre chiffre d’affaires. Cela doit encore augmenter. Parce que nous savons que les revenus de la TV linéaire ne vont plus trop augmenter et qu'à un moment ou l’autre, la radio risque d’avoir le même problème. 
 
Massimo Papa : L’audio digital - podcasts et streaming - sera notre prochain chantier. Le marché n’existe pas encore vraiment, mais nous avons les éditeurs pour le créer. Mieux vaut anticiper que se laisser disrupter, comme nous l’avons été en vidéo.
 
Yves Gérard : Vu la position qu'occupent les chaînes publique dans l'Audio On Demand du CIM, nous sommes tout à fait légitimes pour prendre le lead sur ce dossier. 
 
Où en êtes-vous sur l'offre France TV ?
 
L’offre n’est pas encore finalisée, mais elle est en cours de préparation.
 
Et concernant votre investissement dans LN24, êtes-vous satisfait des changements opérés ? 
 
Il s’agit d’un engagement en faveur du pluralisme. Derrière le nouveau LN24, il y a un vrai projet stratégique porté par IPM et Freddy Tacheny. Le modèle est encore modeste, faute de moyens, mais s’il rencontre son public, nous pourrons envisager un projet plus ambitieux d'ici deux ou trois ans.
 
Dernière question, quel regard portez-vous sur l'évolution des agences médias ? 
 
Les agences médias doivent se réinventer. Les modèles d’achat deviennent de plus en plus data-driven et technologiques. Cela implique une évolution de leur métier, et de notre relation avec elles. Nous devons nous assurer d’être bien connectés à leurs outils pour ne pas disparaître des radars. Il existe un risque réel que les décisions se prennent de plus en plus à Londres ou Amsterdam, plutôt qu’à Bruxelles.
 
Nous devons donc renforcer notre visibilité auprès des agences via des connexions technologiques solides. Le fonctionnement change, et le danger pour l’écosystème belge francophone est de ne pas suivre.
 
Massimo Papa : Les agences font face à une double pression : celle des Gafa qui offrent un accès direct aux inventaires avec des métriques fortes, et celle des annonceurs, dont la demande devient de plus en plus internationale. Les agences doivent donc évoluer, et la vraie question devient : comment nos médias locaux seront-ils référencés dans ce nouveau contexte ?
 
Finalement, vos concurrents ne sont plus belges, mais mondiaux.
 
Yves Gérard
 : La concurrence est démultipliée - formats, acteurs, échelles - mais nous avons une carte à jouer. Nous sommes David face à plusieurs Goliath. Nous connaissons notre marché et nous défendons des médias locaux, et je crois qu'en particulier ceux liés au service public continueront d’exister. Pour autant qu’il y ait une publicité libéralisée sur ces supports, nous resterons actifs et pertinents.

Pour en revenir à ce que je disais au début de cet entretien, ce qui peut paraître schizophrénique aujourd’hui pourrait bien devenir un atout demain.

Archive / MEDIA