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Celebration : de l'importance croissante du Talent Management

Lundi 19 Septembre 2022

Celebration : de l'importance croissante du Talent Management

Recherche jeunes talents motivés en Belgique. Car en effet, les RH s’essoufflent quelque peu dans leurs efforts pour détecter, séduire mais aussi retenir les générations montantes dans le secteur de la communication et du marketing. Outre les difficultés à les faire venir en villes ou à passer la frontière linguistique, les nouvelles recrues issues des études commerciales ou liées à nos métiers sont tentées par de nombreuses autres options que nos entreprises, y compris dans des pays lointains. Analyse du sujet et options de réactions.
 
Objectivement, la problématique ne provient pas d’un déclin de nos activités. Même si les investissements sont challengés depuis 2020 - les raisons exogènes en sont connues, les étudiants ou starters n’en ont d’ailleurs pas forcément conscience. Le flottement des budgets pub n’a pas de connexion directe avec un fléchissement des recrutements, au contraire vu qu’il s’agit de plus petits salaires que la moyenne. Nous serions au global « en croissance avec de nombreux postes ouverts », selon Hugues Rey, CEO de Havas Media et président de l’UMA (l’association des agences médias belges). En fait, nous trouvons à la base un changement de paradigme : le continuum entre les études et l’emploi balisé par le diplôme n’est plus une évidence. De même que rester sur notre territoire. « Nous étions la première génération à avoir connu les Erasmus (les cinquantenaires, ndlr.), qui n’étaient pas une obsession à l’époque. C’était nouveau, et plutôt rares étaient les partants. Aujourd’hui, c’est devenu la norme. Pas uniquement pour une année de transition ou un stage, mais pour aller bosser un an ou deux. » Voire comme une option définitive. De quoi grever le réservoir des ressources. 

Alors pourquoi pas la Belgique, et pourquoi pas la pub au sens large ? Philippe Jaumain, Brand Communication Director de RTL Belgium, donne un premier élément de réponse génétique : « Il faut proposer du contenu attractif. A savoir, le sens et l’utilité de la fonction mais aussi de l’activité de l’entreprise. En quoi, ce que je vais faire aura un impact positif ? En quoi l’entreprise a-t-elle un impact positif ? Ce sont des questions auxquelles nous devons répondre pour attirer les jeunes talents. » Plus cette dimension sera confortée, plus l’attractivité sera forte. Le pire selon Jaumain, serait un miroir aux alouettes pour les diplômés, qu’on leur survende un job et une entreprise avec un peu de maquillage : « Certains arrivent avec des étoiles plein les yeux et sont parfois vite déçus par la réalité. On ne doit pas jeter de la poudre aux yeux des talents. Il est beaucoup question d’employer branding, mais dans ma vision des choses, c’est une vision globale de l’entreprise déclinée concrètement dans toutes ses composantes au quotidien. » Disons que les employeurs ont les idées claires. Et les employés ?

Des crises et des séquelles

Ils sont à la fois un peu perdus et très critiques. « Au départ, les millennials ont vécu une transformation de leur rapports au travail, un nouvel équilibre entre vie privée et professionnelle », constate Isabelle Indekeu, Chief Talent Officer chez Space. Ensuite, les lockdowns, les crises financières, les ruptures de confiance dans des institutions diverses et aussi la prise de conscience morale d’une société de surconsommation en parallèle à un climat qui se dégrade de façon accélérée, ne sont pas sans effet sur l’état d’esprit des candidats à la publicité et au marketing. « Les métiers marcom et médias véhiculent même des éléments contraires à certaines tendances. Nous sommes comme dans les années 1930 avec une mise en cause des valeurs et référence de base. Le monde s’arrête. Et la position de la publicité est difficile à assumer avec tout ce qu’on entend », selon Hugues Rey qui s’empresse de souligner qu’il s’agit bien d’une perception. « Car nous avons par ailleurs de nombreux signes prouvant la préoccupation des agences et autres par rapport aux sujets de la durabilité, de l’écologie et de l’inclusion. » Isabelle Indekeu confirme : « Ils recherchent du sens, et peut être en trouvent-ils moins dans notre secteur. Le digital les intéresse plus, mais ils veulent retrouver de l’humain - ce qui n’est pas sans un léger paradoxe. »

Selon le président de l’UMA, cela dépasse les initiatives des sociétés et serait visible de l’ensemble de notre industrie : tout le monde va dans cette tendance verte ou bleue. Le sens d’une activité non pas pour le profit uniquement mais aussi pour le bienfait de la société est devenu un enjeu collectif, vis-à-vis duquel les étudiants ou jeunes collaborateurs sont très sensibles. L’on pourrait dire que dans la continuité de l’évanouissement économique de 2009 et la montée de Greta Thunberg dans les médias, le Covid et plus récemment la guerre en Europe n’ont fait qu’attiser la recherche d’un emploi à valeur ajoutée sociétale comme condition. Ce qui n’est pas forcément incompatible avec notre secteur. La formule de Morgane Borms, Coordinatrice recrutement à la RTBF, est forte : « On parle d’une guerre des talents, mais aujourd’hui, les talents ont gagné : ils ont le choix et peuvent donc se diriger facilement vers des sociétés qui offrent un maximum de flexibilité, de diversité, de développement de leurs compétences. » Elle souligne également que la Génération Z recherche avant tout des valeurs fortes et en ligne avec leurs préoccupations actuelles : écologie, diversité, transparence, etc.

CommCareers : les agences se mobilisent

Il n’est pas courant que l’ACC et l’UMA fédèrent leurs efforts. C’est le cas au travers de la plateforme CommCareers qui met en contact les étudiants et les demandeurs d’emploi avec les agences de com’ et les agences médias. Ce qui laisse croire à l’importance du sujet. « Ce sont en effet les ressources humaines qui font la qualité d’une agence, et les nouveaux venus doivent en garantir la stabilité », rappelle Hugues Rey. « D’autant que la demande est plus importante que l’offre », précise François Chaudoir, CEO de Space. Marc Fauconnier, président de l’ACC, pointe une autre problématique : « Nous ne voyons plus de demandes spontanées pour la publicité au sens classique. C’est une problématique générationnelle, et une question de perception. Nous devons donc aller à leur rencontre pour leur montrer concrètement de quoi se compose le quotidien des agences. Des explications lors d’un cours théorique en dernière année d’étude, ce n’est pas efficace. » L’ACC avait activé un centre d’expertise Young Talent, mais il fallait compléter le travail… C’est l’objet de la plateforme précitée.

Quant à savoir s’il n’y a pas opposition entre les fondamentaux de la communication commerciale et les valeurs sociétales portées par la nouvelle génération, Marc Fauconnier nuance : « Advertising is for the good as for the bad. Il est tout à fait possible de pratiquer la publicité dans un sens positif. » Il est rejoint en cela par Stéphane Buisseret, CEO de Air : « Clairement, les jeunes sont devenus très sensibles à des pratiques publicitaires constructives - donner du sens à leur rôle. Nous amplifions ces prédispositions, et chacun y met du sien. Aujourd’hui, tout le monde est dans le durable - agences et annonceurs. Et ils ont raison, notamment pour capter les talents. »

« Nous devons en effet sortir de l’ancienne perception de la pub, et voir notre métier dans ses angles durables », ajoute Marc Fauconnier. « Les notions de content marketing et de branding s’inscrivent pleinement dans cette tendance comme zone de travail importante. Notre métier ne doit pas être perçu comme la production des spot TV pour des émissions que cette GenZ ne regardent plus. Ils ne sont ni concernés par ces messages ni par ces médias. » Johan Vandepoel, CEO de l’ACC, va dans le même sens : « La mise en avant de nos métiers est un travail à moyen ou long terme, et cela commence aux études. Mais il faut le faire correctement. Nous avons créé un pont entre de nombreux établissements du supérieur et nos deux associations afin de connecter l’offre et la demande, que ce soit pour les stages, les offres d’emploi ou même du speed dating, l’intervention de guest speakers à certains cours du supérieur, et des visites d’agences pour de la sensibilisation en amont. » Ce « missing link » comme le dénomme le duo aux commandes de l’ACC parlant de CommCareers, sera libre d’accès. Souhaitons-lui beaucoup de trafic !

Un amour qui doit durer

Tout ce qui précède n’a de sens que si les talents engagés le sont au propre comme au figuré et restent dans l’entreprise : convaincre pour un an ou deux, comme souvent, n’est pas rentable. Ce qui témoigne d’un certain cynisme organisé de la part des employés. La rotation du personnel - qui serait à un niveau acceptable à 15% annuel dépasserait allègrement les 20% auprès de la GenZ d’après les personnes consultées. En cause, selon les sources, l’impatience d’évoluer rapidement sur le plan des conditions salariales (un changement d’employeur occasionnant assez facilement un boost à plus de 10%), ou d’évoluer dans sa « learning curve ». Une attitude que l’on ne peut pas trop reprocher aux employés, dans la mesure où ceci leur est demandé. Philippe Jaumain aborde aussi la partie moins rationnelle de la collaboration, mais qui compte pour beaucoup : « L’enthousiasme de la boîte, son ambiance, l’écoute des collaborateurs, la culture des idées, la transparence, la confiance, l’inclusion, les managers inspirants, les feedbacks… Tout ceci n’est pas secondaire. »

Au bout du compte, selon le cadre de RTL, le travail est une vie en groupe, ce qui implique la nécessité pour les managers de l’animer et de faire preuve de créativité : « Une petite activité de team building une fois par an ne suffit pas ! C’est au quotidien que cela se passe, touchant à la culture globale de l’entreprise. » Isabelle Indekeu ne dit pas autre chose, et voit une solution claire dans le but d’augmenter le sentiment d’appartenance : « Du bien-être ! Nous nous définissons comme une famille chez Space, ce qui revêt plusieurs dimensions. Des chouettes bureaux, de la mobilité… Proposer d’autres options que la voiture comme des trottinettes et des vélos ; avoir une vraie politique RSE et établir un programme de formation à long terme, entre autres. » 

Les formations seraient un sujet en soi et prennent différentes formes : trainings, coaching, partage d’expertise, etc. Ceci pour les faire évoluer bien sûr, mais aussi parce que les jeunes apprécient terriblement être pris en charge dans leurs connaissances techniques. François Chaudoir : « La GenZ a terriblement envie d’apprendre, non seulement sur le plan technologique mais aussi pour tout ce qui concerne les pratiques professionnelles. Ce qui est pour nous un outil de fidélisation ». « Il faut viser trois ans minimum », estime Hugues Rey. Et par programme de formation, Morgane Borms évoque un « dispositif complet permettant de prendre en main sa carrière et son développement. De l’onboarding aux formations continues, avec un accompagnement de carrière, des trajets de développement et de la mobilité interne. »

Avec un peu de légèreté « en contrepoids aux réponses sérieuses », Philippe Jaumain mentionne que RTL a des arguments de poids : « Nous sommes partenaires de plein de concerts dont Coldplay, Ed Sheeran, Orelsan, Harry Styles, Tomorrowland, et ça, c’est imbattable. » Hugues Rey finit par cette réflexion : « En fait, ils veulent tout, et ils ont raison ». La réponse exigeante à un monde devenu très difficile. En tentant de trouver l’équilibre entre quelques principes contradictoires : les suivre constamment tout en leur laissant prendre leurs responsabilités , les faire grandir sans leur donner l’idée de partir, leur laisser la parole sans pouvoir y répondre toujours, faire en sorte qu’il s’amusent et prennent du plaisir au travail et aux afterworks tout en restant efficaces et productifs… Une dualité qui n’est pas sans rappeler le rôle parental. Ne faudrait-il pas en premier lieu les aimer, ces jeunes qui nous font la leçon tandis que nous leur donnons des devoirs ?

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