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Luc Suykens (UBA) : "Le débat sur les GAFA doit être plus nuancé"

Dimanche 19 Septembre 2021

Luc Suykens (UBA) :

Doit-on encore présenter Luc Suykens ? Souvent plébiscité par ses pairs tout au long de sa carrière - il a notamment été Marketer of the Year et Master Marketer -, il a également porté les titres très convoités de Harley Procter Brand Director et Harley Procter Brand Vice President chez P&G, et à ce titre, en charge du marketing de trois pays - France, Belgique et Pays-Bas. Depuis avril, il a repris les rênes de l’UBA en tant que CEO de la nouvelle United Brands Association.

Dans l’entretien qu’il nous a accordé, ce fin connaisseur du monde des médias et de la publicité nous dévoile les grands axes du nouveau plan stratégique qu’il est en train de mettre en place avec son équipe ; il nous parle aussi du nécessaire équilibre à trouver entre le court et le long terme dans les stratégies, et de l’importance qu’il accorde à l’écosystème local à côté de celui des GAFA. 

Voici quelques extraits de cet interview, dont l’intégralité est publiée dans notre dernier magazine (à paraître ce 20 septembre).

Vous êtes à la tête de l’UBA depuis bientôt 100 jour... Quel regard portez-vous sur le legs de Chris Van Roey ?

Je connaissais évidemment très bien l’association et ces dernières années, en tant que vice-président, j’ai été étroitement impliqué dans le développement de son plan stratégique actuel. Chris Van Roey est parti au terme d’un parcours formidable, au cours duquel il a pu faire prendre un véritable tournant à l’organisation. Sous sa direction, l’équipe de l’UBA a considérablement augmenté la valeur apportée aux membres.

J’ai également succédé à Chris au sein du comité exécutif de la WFA, et cela m’a permis de constater la force que représente l’UBA, perçue aujourd’hui comme un modèle d’association nationale forte, dont d’autres se sont inspirés, avec une présence très marquée dans son marché. A titre de comparaison, en France, l’Union des Marques compte 110 membres seulement, alors qu’en Belgique nous en sommes à 350. 

Quel est le prochain défi à relever pour l’UBA ?

C’est le nouveau plan stratégique qui s’appuie sur deux grands axes. Le premier c’est le développement de l’Académie et l’autre l’accent mis sur la diversité et l’inclusion, ainsi que sur la durabilité.

L’Académie, un des points forts de l’UBA, a évolué récemment. Auparavant, tout se passait uniquement dans cette salle de 30 personnes, mais au cours de cette période de covid nos activités en ligne sont devenues primordiales. Au lieu de nous adresser à 30 personnes, c’est à présent 50 personnes par session. Nous allons maintenir cette formule des Master Class online ou offline pour les workshops. 

Par ailleurs, nous avons commencé à développer un autre format, en ligne, qui concerne la formation. Si par exemple quelqu’un, dans sa fonction, doit se perfectionner en digital, il ne peut pas attendre que soit programmée une master class de l’UBA.. Nous avons donc lancé la formation 24/7. Ce sont des modules vidéo, dont plusieurs sont déjà disponibles sur notre site : marketing programmatique, écosystème d’agence efficace, sélectionner une agence, intelligence artificielle, construire une publicité réussie. Nous sommes en train de développer ce digital boot camp de 40 sessions, qui aborderont les thèmes les plus divers, tous ceux nécessaires au renforcement du know how des annonceurs. Ces modules d’environ une heure sont accessibles à tout moment et sont donnés par des gens qui font autorité dans le marché.

Ces formations 24/7 pourront être combinées avec des workshops, des master classes. C’est une nouvelle plateforme à côté de ceux-ci. Elle démarre avec un panorama du digital,  mais cela va s’élargir vers tout ce qui constitue les bases de la communication et du marketing. Cette complémentarité vient encore renforcer les services offerts aux membres, dont les besoins en matière de training digital on demand sont de plus en plus grands. 

Vous évoquiez aussi le focus mis sur la D&I et la durabilité ?

Plusieurs dimensions sont essentielles pour nous : d’une part, la diversité et l’inclusion, et d’autre part la durabilité. Nous travaillons depuis un moment au renforcement de la diversité́ et de l’inclusion dans la communication. C’est indispensable : un Belge sur cinq est issu de l’immigration, la part des femmes hautement qualifiées dépasse petit à petit celle des hommes et la pyramide des âges s’inverse... Notre société́ a profondément changé, mais ces évolutions ne sont pourtant pas encore suffisamment visibles dans les messages publicitaires. En 2019, l’UBA avait lancé sa charte de la communication non stéréotypée, qui incitait à éviter les stéréotypes et à traiter chacun sur un pied d’égalité́, indépendamment du genre, de l’origine, de l’âge, des orientations sexuelles, du handicap ou des convictions.

Nous continuons à travailler sur ces matières avec la WFA, mais aussi l’ACC et l’UMA. Nous nous battons avec d’autres pour que cette industrie soit plus diversifiée et inclusive. Pour le secteur et pour qu’il soit aussi un modèle pour les autres. Dans ma carrière, partout, j’ai constaté que la diversité ne relève pas du politiquement correct, c’est un point d’efficacité. J’y crois beaucoup. C’est essentiel pour la vitalité. Pour moi ce n’est pas nouveau, j’ai été témoin pendant 30 ans de la diversité des équipes de P&G. Et mes quatre premiers patrons étaient des femmes. Je l’ai vu, je l’ai vécu et j’y crois personnellement énormément.

L’autre thème essentiel est la durabilité. Lors de la Global Marketer Week 2021 de la WFA, David Attenborough a souligné que la durabilité était un défi pour la communication. Beaucoup de gens en sont convaincus, mais il est urgent de faire encore évoluer les mentalités. Nous agissons pour cela au sein du Centre de la Communication. Nous ne voulons évidemment pas que la durabilité soit perçue comme du greenwashing. Avec l’aide de l’ensemble des secteurs - au sein du Centre de la Communication je le répète -, je crois que nous pouvons remplir notre rôle, non seulement d’un point de vue défensif, via l’auto-régulation, mais également d’un point de vue offensif, à travers la communication. Aider à faire évoluer les habitudes des gens. Via les agences, les annonceurs et les médias, qui sont les experts en la matière. A nous de prendre nos responsabilités et de jouer notre rôle d’un point de vue positif. On dit trop facilement que le marketing et la communication sont la cause du problème de la surconsommation.

C’est quand même en partie le cas ?

Oui, mais nous pouvons aussi être des instruments de la solution, avec nos partenaires. C’est essentiel. Si nous ne le faisons pas, cela peut avoir des conséquences néfastes. Il ne faut pas regarder très loin. En France ils pensent à une loi pour taxer la publicité... Nous voulons promouvoir une communication qui aide à changer les habitudes des consommateurs sur les différentes catégories de produits. Je pense que chaque annonceur réfléchit à la question et cherche des modèles, des manières de procéder. Là, nous jouons un rôle d’inspiration et de stimulation en Belgique. Nous allons lancer plusieurs initiatives en ce sens, mais il est un peu tôt pour parler. Quoi qu’il en soit, le succès sera là quand les gens diront que la publicité joue un grand rôle dans la transformation écologique.

Le Conseil économique et social européen recommande lui aussi de mettre à profit les ressources de l’industrie publicitaire pour faire en sorte que la publicité devienne un réel levier pour la transition écologique... 

C’est essentiel. Quand je parle avec mes collègue du secteur, que ce soit des médias, des agences ou des annonceurs, tout le monde est positif. A nous de créer tous ensemble l’environnement idoine. 

Un autre sujet que vous évoquez fréquemment est l’importance de médias locaux forts. L’UBA a-t-elle une démarche par rapport à cela ?

Certainement ! En tant qu’annonceurs, nous voulons toucher les consommateurs dans des environnements de qualité. Et heureusement nous avons en Belgique des groupes médias très forts. 

Alors oui, il y a les GAFA, mais nous les respectons, ils ont développé des business modèles formidables, ils proposent aussi des services qu’aucun média local ne propose, notamment le search ou des médias sociaux de grande envergure. Ils jouent très bien leur rôle. Pour autant - et c’est tout aussi important pour l’UBA, leur modèle n’est pas belge, mais global. Au sein de la WFA, nous participons aux négociations sur le Digital Markets Act qui devrait changer la donne et répondre aux attentes des médias locaux. Mais, je le répète, nous avons besoin des deux, les médias locaux forts et les GAFA.

Votre étude sur les investissements online montre que 60% des dépenses digitales des annonceurs belges vont aux GAFA. C’est beaucoup non ?

Il faut garder à l’esprit ce que représentent les budgets médias. Dans ce chiffre, quelle part va vers le search et quelle part vont vers les médias sociaux ? Pas mal, mais ce sont des choses que les médias locaux n’offrent pas. En revanche la part des GAFA en vidéo par rapport à celle des médias locaux n’est pas aussi forte. Il n’est donc pas exact de dire qu’ils partent avec tout l’argent. Non, ils offrent certains produits que nous n’offrons pas. Les médias locaux sont heureusement très forts et très compétitifs par rapport aux GAFA sur certains produits. Ils offrent une bonne concurrence aux GAFA, ils investissent fortement en Belgique et développent des produits compétitifs.

Prétendre que tout part vers les GAFA est donc excessif. Dans les investissements des annonceurs, il y a le court terme - le performance marketing - et le long terme - le brand building : il faut un équilibre entre les deux. Le performance marketing est effectivement profitable aux GAFA. Mais tous les investissements ne sont pas passés du long terme au court terme. C’est un sujet qui sera largement évoqué lors du Media Day. Les annonceurs savent très bien qu’il faut faire les deux. L’essentiel est de bien répartir ses budgets. 

Le débat sur les GAFA doit être plus nuancé. Je ne fais pas partie de ceux qui ont un avis négatif à leur égard, mais en même temps, nous sommes là également pour défendre les médias locaux. Et heureusement, ce sont des groupes dont les business modèles sont à la pointe, même au niveau européen.  

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