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Cinquante et plus, si affinité, par Bruno Liesse

Samedi 25 Novembre 2023

Cinquante et plus, si affinité, par Bruno Liesse

J’ai vu à New York une affichette défendant la cause des LGBTZ+. Suggérant d’avance qu’il se trouve peut-être quelque part cachés dans le métro des LGBTZ-, pas fières ou fiers d’être dans le négatif et revendiquant ne pas avoir de préférences sexuelles, ni pour leur propre compte ni pour ceux qu’ils ou elles tentent de séduire. En expliquant que le monde est plus compliqué que vous le pensez, jusqu’à ce qu’on les rencontre, surtout. Déjà que la dernière lettre de l’alphabet a perdu du chrome depuis la sortie de la Génération Alpha qui va nous remettre de l’ordre dans le calendrier. 

Je ne veux pas faire le malin avec le côté pseudo-scientifique du statisticien (en marketing) qui peut faire dire aux chiffres ce qu’il veut, paraît-il. Notez au passage que si c’était vrai, je me serais évité quelques dizaines d’engueulades de mon père à mes bulletins, j’aurais solidement gonflé mes factures, gagné plus de pitches, voire des élections. Mais la politique ce n’est pas pour moi, et le politiquement correct non plus : l’intersexuation - voulant dire en résumé, les incertains du pantalon - concerne 0,018% de la population et l’on peut dire que les médias, les réseaux sociaux et nous, en parlons beaucoup. De façon non représentative, comme on dit quand on critique mes sondages parce que les résultats étonnent ou ennuient. J’ai mis un peu le foutoir récemment avec une petite étude sur le nucléaire qui le donne gagnant à 80% ; je ne vous dis pas combien d’experts en méthodologie quanti j’ai rencontré depuis deux semaines : ça me fait peur pour mon avenir de consultant. Un peu comme les deux millions d’experts en épidémiologie qui s’étaient exprimés en 2020 : il fallait bien tout ça pour s’en sortir. Bref.

Moi je voulais vous parler d’une communauté pas si restreinte et même énorme, pourtant mise à l’index de la quasi-totalité des plans de marketing. Des parias pour lesquels je vous demande une pensée généreuse en cette période de fin d’année, la Noël et tout ça, ou les plaisirs d’hiver parce qu’avec le bonhomme rouge, il faut éviter d’effrayer les autres cultures et éviter de vexer les fans de Coca qui le préféraient en bleu. L’inclusivité, quelle affaire (et quel business) : the segment of one, c’est cher, mais à la fin de la journée, vous avez fait plaisir à tout le monde. 

Après, ce même tout le monde va râler parce que l’inclusivité contient ce paradoxe : chacun de nous appartient à au moins une micro-communauté, mais nous voulons tous être considérés à l’équivalence. Tu fais comment pour mettre les deux trucs ensemble ? Là, avec mes statistiques, je démissionne. Comme dans La vie de Brian (Monty Python’s), quand petit Jésus harangue la foule prétendant que « nous sommes tous différents ». « Pas moi ! », répond un type en pointant son doigt. 

Les cinquante ans et plus, car il s’agit d’eux, font précisément 40,8% de la population belge (source Statbel, vous pouvez aller vérifier). Ce qui vous fait un peu plus de 4,6 millions de personnes susceptibles de descendre dans la rue. Ça vous fait du monde et ça n’arrangera pas le Good Move à Bruxelles en cas de manif. Pourquoi, au fait ? Parce qu’elles sont zappées de vos ciblages et stratégies associées. Avouez-le, vous êtes sur les 18-54 ou les 25-54, si pas capés à 45 ans. Jamais au-delà. Il faut rajeunir les marques, paraît-il. 

Et les mediors dans tout ça ? Le désert du Kalahari, Henri. Ils sont presque morts, d’après les publicitaires ou les media planners, et au premier plan, les annonceurs. Ils ont presque un cancer si ce n’est pas le cas, sont presque à la pension et ne consomment presque pas de digital. Vraiment ? Non, pas en vrai. Ils surconsomment un peu de tout, représentant 50% du pouvoir d’achat belge, car les autres Belges te font du volume d’audience et des coût contact low cost (bravo), mais rament dans le sable. Ces pauvres gens ont encore leurs gosses à la maison, ou pire, des ados voire des étudiants qui te font des Erasmus et prennent des kots. Qui mangent votre argent, quoi. Le reste part dans votre interminable crédit hypothécaire et les charges en tous genres. Du coup c’est bien d’avoir de la pub économique si ta cible n’a pas de fric. 

Les mediors n’ont pas ou plus tous ces problèmes, et ils s’emmerdent un peu car ils ont déjà tout : de l’argent qui dort (les 250 milliards, ce sont eux), une seconde résidence, moins de boulot et rien à voir sur Netflix ou la VOD belge dont les applications primaires et les vieux films à la con sont pourtant faits pour eux. Et les enfants sont partis. Alors ils en bouffent, du digital - entre autres pour préparer leurs innombrables minitrips ou maxi- weekends - mais pas ses publicités : petit souci neuroscientifique. Ces messages ne les concernent pas. A part les soucis de prostate, les escaliers élévateurs et les clubs de rencontre premium de la seconde chance grisonnante, le marketing ne s’intéresse pas à la cible la plus intéressante qui soit, surtout en temps de crise, que dis-je, de récession.

La récession, vous la mesurez avant tout dans les esprits et la philosophie. Selon Margaret Mead que personne ne connaît (moi non plus, mais je connais Google), le premier pas vers l’humanité a été effectué le jour où « un groupe de personnes a décidé de s’organiser pour prendre soin de la plus faible d’entre elles ». Un fémur réparé. Un philosophe français a ajouté, pour décrire une civilisation, « la façon dont une société traite ses minorités ». Déjà que notre majorité reste mal traitée (les femmes font 51% de la population) ! Reste les vieux qui ne sont pas vieux. Nous avons la faculté un peu désastreuse d’oublier que nous avons été de jeunes emmerdeurs, nous avons aussi la difficulté à assumer que demain, nous aurons ces cheveux blancs. Ou plutôt, argentés. Cela secoue de savoir que Jésus, dont je parlais plus haut, était noir, juif, peut-être schizophrène et certainement vegan. Dans le détail de sa segmentation, l’humanité est un grand Muppets’ Show. Et si toutes les femmes sont belles comme le répète Dove depuis si longtemps, nous aurons tous soixante ans. Nicolas Lambert qui est une connaissance amicale de longue date, titrait son livre "Le marketing peut-il sauver le monde ?". Probablement pas, mais il peut y contribuer fortement. Live young, die hard.

Les points de vue exprimés dans ce texte sont ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.

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