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CREATIONS

"Barbie" sur toutes les lèvres, par Fred Bouchar (MM)

Jeudi 3 Août 2023

Je vous propose un pari pour l'an prochain : celui de voir "Barbie" remporter non pas un Oscar, mais le Grand Prix Entertainment aux Cannes Lions 2024. 
 
Co-produit par Mattel et Warner Bros., ce film assez génial de Greta Gerwig et Noah Baumbach n'est en effet rien d'autre qu'une longue pub de deux heures qui remet au goût du jour le "purpose" de Barbie - osons le mot - en activant (absolument) tous les leviers du marketing moderne. Une pub tout à la fois acidulée et pimentée qui renouvelle son statut d'icône absolu de la pop culture, en séduisant aussi bien les boomers nostalgiques que la Gen Z critique (pour l’anecdote, lorsque j’ai vu le film au Stockel, c’était surtout dans les rangs de ces derniers que le dress code rose était de rigueur).
 
On l'a suffisamment écrit ces jours-ci : "Barbie" est en effet une masterclass de marketing. Et si l’on parle d'un budget de production de $150 millions pour une enveloppe marketing de $100 millions (hors partenariats), en réalité, il s'agit bien d'une campagne de $250 millions avec une répartition 60/40 entre branding et activation. 
 
Dans "Barbie", Mattel s'amuse tout autant que nous des clichés historiques qui entourent l'entreprise elle-même (non sans cynisme) et sa poupée taille mannequin au motif qu'elle a longtemps perpétué les stéréotypes sexuels et, accessoirement, le consumérisme des golden sixties.
 
Dans le même temps, et c'est le côté redoutable du message, Mattel tord le cou à tous ces clichés et critiques en nous faisant accroire qu'en réalité, Barbie a toujours prôné l'empowerment au féminin. 
 
Sur l'air du Zarathoustra de Strauss qui ouvre "2001 a Space Odyssey" de Kubrick, la stupéfiante apparition de Barbie à l'écran nous rappelle d'ailleurs que la créature de Ruth Handler était la première "poupée non-bébé" de l'histoire (nonobstant son modèle allemand, Bild Lilli, née quelques années plus tôt), suggérant aux petites filles de s'affranchir de l'image de la femme au foyer. 
 
De la même façon que « le coup le plus rusé que le diable ait réussi, est de nous convaincre qu'il n'existe pas », Mattel opère une satanique scission entre la "vraie Barbie" et l'exégèse que l'entreprise en donne : l'image antiféministe de Barbie dans le monde réel est une erreur de Mattel (mea culpa) et une mauvaise interprétation de ce qu'elle est vraiment. La réalité étant le monde fantasmé de "Barbie Land". Un monde inclusif, plein de diversité, où les femmes sont aux commandes et où le patriarcat est finalement perçu comme une erreur.
 
Ce qui n'empêchera pas Barbie de quitter son nid rose pour embrasser ce fameux monde réel. La dernière scène (géoù elle se rend chez le gyné, symbolise en quelque sorte sa volonté de reprendre le contrôle de son corps - à replacer dans le contexte que l'on connait aux USA, on dira que c'est assez "couillou" comme final - et mettre définitivement fin à l'image de la poupée stéréotypées des débuts. 
 
Mattel se propose ainsi d'ouvrir un nième nouveau chapitre de son purpose. Car "Barbie" le film s'apparente au climax d'une stratégie long terme. Depuis le "We, girls, can do anything" qui signait toutes les pubs dans les années 80, en passant par la plateforme "You can be anything" jusqu'à la récente campagne "A doll can help change the World", le marketing de Mattel a constamment cherché à extraire Barbie du rayon jouets pour lui permettre de s'immiscer dans l'évolution des valeurs sociétales. En cela, et sans doute mieux que toutes les agences de Mattel réunies, les créatrices du film ont vraiment fait le job !

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