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CREATIONS

On peut rire de tout, mais de moins en moins avec la pub, par Fred Bouchar (MM)

Dimanche 7 Avril 2024

On peut rire de tout, mais de moins en moins avec la pub, par Fred Bouchar (MM)

La saison de la chasse aux awards est ouverte : préparez vos filets, les trophées commencent à migrer vers les meilleurs... Vous l’avez sans doute lu dans nos colonnes, en juin, les Cannes Lions vont gonfler leur déjà imposante collection de trophées avec une catégorie "humour". Apparemment, les œuvres en compétition devront « user d'esprit et de satire pour tisser des liens hilarants avec l'auditoire », selon les mots hyper drôles des organisateurs. 
 
L'an dernier, à Cannes toujours, le patron de BBDO Worldwide, Andrew Robertson, lançait un appel désespéré aux marketers pour réinjecter une dose d'humour dans leurs campagnes : « Si les marques cherchent vraiment à rendre le monde meilleur, nous pourrions faire bien pire que de faire rire les gens. » Il citait au passage une étude de Kantar faisant état d'une diminution constante de la place de l'humour dans la pub depuis 2002, avec une accélération notable lors de la crise financière de 2008/2009 et de la pandémie.
 
Mais accrochez-vous, il paraît que le vent tourne : en début d’année, en écho à l’oracle du grand manitou de BBDO, la plupart des rapports de tendances créatives nous prédisaient le grand retour de l'humour. 
 
Cette brise hilarante, vous l'avez sentie ? Pas chez nous en tout cas. C'est une réflexion qui m'a à nouveau frappée en passant en revue la sélection du prochain Milky Way : à l'exception de la livraison annuelle d’Equal Pay Day, voire du Giant de Quick, c'était comme un long dimanche sans fin. 
 
Pour le dire plus platement, on s'emm… un peu dans la pub belge actuelle.  
 
Cela ne date pas d'hier. Les hagiographes font remonter le début de cette crise de l'humour aux années Covid, avec leur cocon de résilience et de bienveillance qui a encapsulé toutes les campagnes de l'époque. Depuis, le contexte économique, géopolitique et climatique n'a pas non plus franchement incité les marques à oser se la jouer "Don't look up". Sans compter ce fameux brand purpose. 
 
Parlons-en. Dans la cartographie du déclin de l'humour dans la pub, le brand purpose arrive en bonne place. Non pas le brand purpose en soi, tel que l'appréhendent les entreprises, mais la manière dont les agences l'ont phagocyté. Comme le soulignait le créatif Eric Kallman dans The Drum, c'est devenu plus facile et gratifiant de prétendre sauver le monde avec sa marque que de faire rire. « Et ça attire plus les prix », confiait-il dans un élan de lucidité rare.
 
Mais au fond, "pourquoi faire de l'humour ?", s'interrogeait déjà le gourou de l'agence d'Octave dans le film "99 francs", tiré du roman éponyme de Beigbeder. 
 
La réponse est simple : parce que ça marche ! « L'humour est ce qui fait que les gens se souviennent d'une marque et l'apprécient », dixit Robertson dans son plaidoyer cannois. Ce que démontrent quantité d’études. 
 
Sorti il y a deux ans, The Happiness Report d’Oracle indique notamment que 88% des personnes sont en demande de nouvelles expériences pour les faire rire ou sourire, 91% préfèrent que les marques soient drôles et 72% font de l’humour un critère de choix lors de leurs achats. L'étude Ad Reactions de Kantar va dans le même sens : l'humour est l'amplificateur créatif le plus puissant pour la réceptivité des publicités, toutes générations confondues. Plus près de chez nous, une thèse sur "l'impact de l'utilisation de l'humour dans la communication sociétale des entreprises" publiée par l'école de management de Louvain, indique également que « l’utilisation de l’humour dans les publicités responsables peut avoir un impact significativement positif sur le consommateur et se répercuter sur l’entreprise ».
 
« Vous pouvez avoir un objectif très noble et en parler d'une manière amusante et divertissante. Utiliser l'humour, c'est comme ouvrir en grand les portes de la communication », résume Robertson.
 
Le paradoxe, autre enseignement du rapport d'Oracle, c’est que 95% des dirigeants d'entreprise craignent d'utiliser l'humour dans les interactions avec leurs clients. Cherchez l’erreur… Est-ce parce que,  comme l’avance l’institut spécialisé dans l’analyse des publicités System 1, « au-delà leur bulle, l'humour qui fait rire les marketers parvient rarement à toucher les gens » ? 
 
Une chose est sûre : lorsqu'il s'agit de se moquer d'elle-même et de ses travers, la pub reste redoutablement… drôle. En témoigne cette vidéo de BBDO pour l'Association des producteurs de films pub. 

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