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CREATIONS

Readymade up, par Griet Byl (MM)

Dimanche 24 Mars 2024

Readymade up, par Griet Byl (MM)

« L'artiste de renom Damien Hirst antidate ses créations. Le Britannique a situé trois œuvres créées en 2017 dans les années 1990, époque de son apogée », lisait-on il y a quelques jours dans The Guardian.
 
Hirst n’est pas le premier artiste dans l’histoire de l’art à antidater ses créations, d’autres comme Theo Van Doesburg et Ernst Ludwig Kirchner l'ont précédé afin de pouvoir se qualifier de précurseurs de tel ou tel courant. 
 
Hirst lui-même avait d’ailleurs déjà été assez créatif avec la notion de temps, lors de son incroyable exposition à Venise en 2017, "Treasures from the Wreck of the Unbelievable". A cette occasion, l’artiste (et ses collaborateurs) avaient rassemblé un trésor et des vestiges issus du naufrage d'un vaisseau romain appartenant à un collectionneur de l'époque antique dans une mise en scène tout aussi fascinante que fake, où passé et présent se fondaient harmonieusement. Le visiteur était d'ailleurs accueilli avec cette mention : "Somewhere between lies et truth lies the truth".
 
Sept ans plus tard, il se joue à nouveau de notre perception chronologique et explique son geste : bien que les œuvres en question aient été produites récemment, il les avait "imaginées" dès 1999, c’est-à-dire la période au cours de laquelle où il a créé ses premiers animaux conservés dans du formol, qui lui ont valu le prestigieux prix Turner. 
 
Histoire de devancer les critiques, ses avocats ont déjà préparé une explication astucieuse : « La datation des œuvres d'art, et en particulier des œuvres d'art conceptuel, n'est régie par aucune norme industrielle. Les artistes ont parfaitement le droit d'être (et sont souvent) incohérents dans la datation de leurs œuvres. » Ils ajoutent que Hirst affirme depuis des années que ce qui compte dans l'art conceptuel, ce n'est pas la production physique ou le remplacement éventuel de pièces, mais plutôt l'intention et l'idée qui se cachent derrière l'œuvre d'art. 
 
A vous de décider s'il s'agit d'une manœuvre commerciale intelligemment conçue par une star sur le retour ou pas. Ce qui est sûr, c’est qu’en tant que dispositif de RP dans notre monde virtualisé à l’excès, l'affaire peut servir d’exemple à tout professionnel à la recherche de buzz assuré. De plus, l’histoire joue habilement sur tous les registres du reputation management et de la communication de crise. Elle pourrait même faire mouche dans les festivals qui récompensent le ROI et l’effectiveness, en raison de l'impact sur le chiffre d'affaires de l'artiste, qui est déjà l'un des mieux payés au monde. Ce qui, soit dit en passant, n'enlèverait rien à la valeur de l'œuvre en tant que création ou boutade sur les codes de l'art.
 
À cet égard, Marcel Duchamp était bien sûr bien en avance sur Hirst avec ses expériences badines autour du readymade, mais l'histoire de Hirst ne pourrait être issue de notre temps, cette époque où toute vérité semble ouverte à interprétation ou révision. Où l'on doit apprendre à jongler avec la désinformation et les hallucinations de l'IA. A tenir pied face à l'impact des théories du complot et la démocratie chancelante. A s’affirmer contre la raison technologique et l'empathie humaine. Et à trouver une nouvelle définition à des concepts tels que la créativité et la pertinence.
 
C'est peut-être aussi le moment où l'art et l'histoire, tout comme les principes de base de l'éthique, de la communication et de l'information, devraient être plus que jamais à l'ordre du jour des écoles, des familles et des employeurs. On ne peut quand même pas laisser ChatGPT faire tout ?

Illu: "50 cc of Paris Air", a readymade work by Marcel Duchamp. Displayed at the Philadelphia Museum of Art (Wikimedia Commons)
 

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