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Jo-ann Robertson (Ketchum) : "La publicité n'est plus le moyen le plus rentable pour atteindre les gens"

Dimanche 12 Mars 2023

Jo-ann Robertson (Ketchum) :

À l'occasion de son 100e anniversaire, Ketchum, le réseau Public Relations et Public Affairs d'Omnicom, s'offre un rebranding, porté avec énergie par Jo-ann Robertson, CEO Global Markets. Accessoirement, cette dernière présidera le jury PR Lions à Cannes cette année.

Nous avons sorti notre meilleur scotch et l'avons rencontrée en compagnie de Jeroen Fermie, Managing Director de la filiale bruxelloise de Ketchum. "And yes, wur tearin’ the tartan" - autrement dit, la conversation fut passionnante !

Pour commencer, pouvez-vous nous rappeler brièvement votre parcours ?

J'ai un parcours atypique pour le secteur, venant d'un milieu ouvrier. Mes parents n'étaient pas très fortunés, mais nous étions vraiment encouragés et entourés de beaucoup d’amour dans notre famille. Alors que nous étions encore très jeunes, ma mère a fait des choix éducatifs importants pour moi et mes frères : elle nous a envoyés dans une école secondaire en dehors de notre quartier, où nous côtoyions des enfants de la classe moyenne qui devaient donner le meilleur d’eux-mêmes. Ce changement a orienté ma vie dans une direction complètement différente. J'ai été la première de ma famille à aller à l'université, et ce fut une formidable expérience.

Qu’avez-vous étudié ?

La politique et l'anglais. J’étais encore aux études quand j'ai adhéré au parti travailliste et j'ai participé activement à la vie politique estudiantine. Au cours de ma dernière année à l’université, on m'a demandé de réaliser une émission pour la télévision écossaise. À la fin de mes études, j'avais donc déjà de l'expérience dans les domaines de la politique et des médias, mais je ne voulais faire carrière ni dans l'un ni dans l'autre. C'est en parlant à des amis que je me suis intéressée aux affaires publiques. Mon premier emploi, c’était un stage dans une petite agence londonienne. J'ai ensuite travaillé chez Weber Shandwick pendant neuf ans. Bien que je sois très loyale, vint un jour le moment de changer de culture d'entreprise et j'ai rejoint Ketchum. En 2018, j'ai été nommée CEO UK et depuis l'année dernière, je suis CEO Global Markets. 

Ketchum célèbre son centenaire cette année et s’offre un rebranding pour l’occasion. En quoi consiste-t-il exactement ?

Nous sommes l’une des plus anciennes agences du secteur. Nous voulions donc vraiment montrer ce que le changement peut signifier et nous concentrer sur les progrès que nous souhaitons accomplir dans les années à venir. C’est ce que nous exprimons avec notre nouvelle tagline : "We are Ketchum. Progress at Work". 

Ces avancées permanentes que nous visons concernent plusieurs domaines. À commencer par nos clients, bien entendu, mais aussi nos collaborateurs. Et la société. Peu importe l’ampleur des étapes franchies, notre mission est de progresser. L’empathie et l’intelligence restent les principes directeurs de notre approche et de notre façon de travailler.

Jeroen Fermie : Nous nous appuyons sur notre longue expérience pour créer un nouvel avenir pour nos collaborateurs, nos clients et le secteur des RP. Chez Ketchum Brussels, cela se traduit par une foi plus forte que jamais en notre modèle de consultance intégré et notre manière de nous différencier grâce à notre expertise en matière d’analyse, de stratégie et de créativité. Pour ce faire, nous continuons à réinventer notre organisation, tant en termes de capacités intégrées que d'expertise spécifique en communication.

Jo-ann Robertson : L'un de mes chevaux de bataille pour atteindre tous ces objectifs, c’est de considérer la diversité et l'inclusion comme une priorité business absolue, parce que nous sommes convaincus que le travail le plus progressif et le plus exceptionnel ne peut être effectué que lorsque des équipes diverses collaborent dans une culture inclusive. On parle beaucoup de DEI et la plupart des organisations ou des personnes se concentrent sur la diversité au sein de l'organisation, alors que tout repose sur l'inclusion.

C’est-à-dire ?

Imaginons que vous rejoigniez une agence et que vous soyez totalement différent(e) des autres personnes - c'est-à-dire que vous ne soyez pas un homme blanc mais plutôt une jeune femme de la classe moyenne, pour prendre un cliché RP comme exemple… En tant que nouvelle venue, vous risquez de vous sentir immédiatement exclue, vous ne nouerez pas d’emblée des relations avec les autres et vous ne travaillerez pas longtemps dans cette agence. Nous devons être conscients que notre culture d'entreprise fonctionne de manière exclusive à bien des égards. Pour sortir de ce mode de fonctionnement, nous devons travailler sur les préjugés et les abattre. Vous pouvez modifier les éléments fondamentaux de votre culture d’entreprise pour favoriser le sentiment d’appartenance, qu’ils soient très concrets ou plus abstraits.

L'écoute est également essentielle, je pense, et il faut laisser la place à d'autres points de vue pour qu'une culture du débat puisse émerger. Si vous mettez tous ces efforts au service de l'inclusion, la diversité viendra naturellement. 

Et c'est possible. 

Comme vous le savez peut-être, l'appartenance ethnique est très importante en Grande-Bretagne. Dans le même temps, il y a quelques années, à peine 8% de notre personnel n'était pas blanc ; aujourd'hui, nous sommes à 30%. Nous avons donc progressé et nous y sommes parvenus en démantelant beaucoup de choses au sein de notre agence, notamment avec l'aide de consultants indépendants : nos procédures de recrutement, la rémunération, notre politique de promotion. Nous devons réunir ce melting pot culturel pour en faire quelque chose de grand. La DEI devient alors un énorme atout pour générer des idées culturellement ancrées, qui ont un impact à long terme.

Un autre pilier de cette volonté de progrès est notre engagement en faveur du changement : lorsque les gens ont le sentiment de contribuer au changement, cela crée un engagement, y compris sur le long terme. Ce qui est motivant.

Jeroen Fermie : L'avantage d'appartenir à un réseau international, c’est que nous pouvons appliquer ses meilleures pratiques. C'est un argument qui incite les jeunes à postuler chez nous.

Quels sont les autres grands défis et/ou opportunités pour les RP dans les prochaines années ?

Jo-ann Robertson : L’effacement des frontières qui se produit depuis cinq ans est une grande opportunité pour les RP. Aujourd'hui, les clients cherchent quelle pourrait être la meilleure idée et ne décident de la discipline qui l'exécutera qu'une fois qu'ils l'ont trouvée. La publicité n'est plus le moyen le plus rentable pour atteindre les gens. Les conseils d'administration ont besoin des spécialistes RP à leurs côtés en ces temps de crise : il s'agit de comprendre certains groupes-cibles pour pouvoir communiquer. La pandémie en est l'exemple parfait. Notre discipline est alors passée au niveau supérieur. Les RP se hissent au sommet de la communication marketing, notamment en misant sur la créativité.

Ce sont les plateformes créatives et le leadership qui nous distinguent des autres agences. Ces deux piliers constituent en outre un moyen très puissant d'attirer nos employés, mais aussi nos clients, en leur proposant un travail inattendu, cohérent et innovant, ancré dans la culture environnante. Pour y parvenir, il nous faut des gens qui font preuve de curiosité. 

Qu’est-ce qui attise votre curiosité ?

C’est parce que j’aime les gens que j’aime les RP. Dans mon métier, je suis très curieuse de tout ce que nous avons en commun en tant de personnes et en même temps, je suis curieuse des choses dont nous sommes fiers. C’est sur cette fierté que Ketchum doit miser. 

D’un autre côté, j’attends avec curiosité de savoir ce que la politique nous réserve en 2024 : en termes de conflits géopolitiques, mais aussi en ce qui concerne la polarisation croissante. Celle-ci permet aux minorités de s'exprimer et de faire entendre leur voix. Parce que les voix parlent haut et fort, on a l'impression qu’il s’agit de la majorité, alors qu'en fait, les masses silencieuses ne sont pas polarisées. Les médias alimentent la polarisation pour augmenter leur audience : c'est irresponsable et frustrant. En réaction, on constate que les gens délaissent les médias et s'informent sur les réseaux sociaux. L'éducation peut faire partie de la solution. L’éducation est en effet l'un des principaux moteurs du progrès.

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