Nl

BLUE

Diane Munyeshuli (OSL) et Petra De Roos (LDV United) : "La diversité est un fait, l'inclusion est un choix"

Jeudi 30 Mars 2023

Diane Munyeshuli (OSL) et Petra De Roos (LDV United) :

WPP Belgium a récemment convié ses employés à un événement pour les encourager à œuvrer en faveur de l’inclusion au travail. Au programme : une conférence de Shada Islam (New Horizons Project), suivie d’un débat avec Diane Munyeshuli, Account Manager chez Ogilvy Social.Lab, et Petra De Roos, Managing Director de LDV United. 
 
Nous avons prolongé cette réflexion lors d’un entretien croisé avec elles. 

Diane, en quoi la diversité et l’inclusion jouent-elles un rôle dans votre vie ?

Cela fait maintenant six ans que je travaille dans le marketing et la communication, et je dois malheureusement constater que je suis souvent la seule personne noire au sein de mon équipe. Pourtant, je connais de nombreuses personnes de couleur ayant fait les mêmes études que moi et possédant des compétences similaires. Mais elles préfèrent travailler dans d’autres secteurs parce qu’elles estiment que la communication ne leur offre pas d’opportunités. Par ailleurs, cette thématique a toujours beaucoup compté dans ma vie privée. 

Vous êtes membre de la section belge de Roots, un groupe de réflexion qui se penche sur les aspects culturels et ethniques dans la stratégie DEI de WPP…

En effet. Nous nous réunissons une fois par mois pour examiner les actions à entreprendre pour sensibiliser les collaborateurs de WPP à cette thématique. Un autre groupe de réflexion, Unite, se concentre quant à lui sur l’identité, l’égalité hommes-femmes et la sexualité. Nous avons récemment lancé de concert une première campagne interne intitulée "Words matter". Son objectif consistait à encourager l’emploi d’un langage inclusif. 

Petra De Roos : Fatima Llouh, Strategic Planner chez LDV United, fait également partie du groupe. Il ne faut pas sous-estimer ce genre d’initiatives. C’est déjà beaucoup de savoir que l’on accorde de l’attention à ces thèmes et que l’on écoute ce que les collaborateurs ont à dire en la matière.

En quoi ce sujet vous préoccupe-t-il dans votre vie privée et en tant que patronne d’une agence de publicité ?

Je pense que c’est grâce à mes parents que j’ai appris plusieurs leçons importantes, surtout en matière d’égalité hommes-femmes. J’ai grandi dans une famille où ma mère gagnait plus que mon père. Ma sœur a animé dans sa jeunesse une émission de radio libre intitulée "Verzet in het korset". Moi-même, je suis coprésidente des Mediamadammen qui rassemble quelque 80 cheffes d’entreprise. Il y une quinzaine d’années, un homme dont je ne citerai pas le nom avait prétendu que les femmes n’y connaissaient rien en réseautage. Quelques femmes ont alors décidé de créer ce groupe, qui s’est entre-temps converti en vaste réseau avec quatre à six réunions par an. Ce n’est pas un club d’affaires, mais plutôt une communauté de femmes qui s’entraident et s’inspirent mutuellement pour aller de l’avant.

Force est de constater que des problèmes subsistent en matière d’égalité entre les hommes et les femmes. Ma génération a grandi avec l’exemple de Karen Corrigan, qui a été la première femme à prendre les commandes d’une agence de publicité (Happiness, ndlr.). Dans l’intervalle, nous sommes trois femmes à occuper une telle fonction. C’est encore beaucoup trop peu ! Parmi les salariés, les femmes et les hommes sont également représentés, et cet équilibre est également satisfaisant chez les cadres intermédiaires. En revanche, la répartition entre les sexes laisse encore à désirer au niveau de la direction générale. D’ailleurs, cela ne vaut pas uniquement pour la communication, mais pour tous les secteurs. De nombreuses femmes sont capables de diriger une entreprise, mais nous continuons à afficher des idées rétrogrades dans ce domaine.
 
Vous reconnaissez-vous dans l’expression de "leadership féministe" employée lors de la conférence ?

Je pense que le féminisme est encore perçu comme un militantisme, alors qu’il s’agit simplement de promouvoir l’égalité entre les sexes, ni plus ni moins. Sur ce plan, il y a encore du pain sur la planche. Je suis tout à fait d’accord avec Shada Islam lorsqu’elle affirme que les femmes dirigeantes ne doivent pas tenter d’imiter les hommes. Il n’y a rien de mal à s’y prendre autrement. Au contraire, on doit tirer parti de cette diversité, car elle débouchera sur de meilleurs résultats. 

Diane, quelle est la principale idée que vous retenez de la conférence et du débat avec Shada Islam ?

L’importance de faire entendre sa voix. En tant que femme, et qui plus est noire, je suis souvent victime de micro-agressions verbales. Si je laisse faire sans réagir, ce genre d’incidents va se multiplier. Mais il faut savoir doser, car on a vite fait de vous coller l’étiquette de personne trop exigeante ou irascible…

Avez-vous été témoins ou victimes de pratiques que vous considérez aujourd’hui comme inadmissibles ?

Petra De Roos : J’ai commencé à travailler dans la publicité en 1997. Il a fallu beaucoup de temps pour que des femmes se mettent à assister aux réunions du board. En règle générale, celui-ci était composé d’hommes uniquement. Je pense aussi à un autre cas typique : une bonne idée lancée par une femme mais volée par un homme. Cela arrive encore très souvent. Parfois, nous les femmes contribuons aussi à perpétuer ce genre de pratiques parce que nous osons moins nous affirmer. Bien sûr, j’ai aussi vu des choses évoluer dans le bon sens, notamment la façon dont les clients parlent ou interagissent avec les femmes…

Diane Munyeshuli : J’entends encore des collègues comparer la couleur de ma peau à la leur en été ou s’étonner que je parle le néerlandais. On me lance parfois : « Vous êtes belle, pour une noire ! » Ou on suppose que je parle toutes sortes de langues africaines qui n’ont rien à voir avec mes origines… Souvent, le problème réside dans la manière dont une question est formulée. Cela ne me dérange pas que l’on me demande quelque chose par curiosité ou par désir d’apprendre, mais il en va tout autrement s’il s’agit de réflexions fondées sur des stéréotypes ou des préjugés…

Petra De Roos : Je constate chez mes enfants une évolution intéressante qui me donne de l’espoir. En secondaire, ma meilleure amie s’appelait Fatma et était d’origine turque. Pour moi et pour mes parents, c’était « ma copine turque ». C’est ce qui la différenciait de mes autres camarades. Aujourd’hui, l’origine n’a plus aucune importance pour les enfants. 

Les annonceurs accordent-ils une importance suffisante à la diversité et à l’inclusion ?

Diane Munyeshuli : J’ai remarqué que le mouvement Black Lives Matter et d’autres faits relayés par les médias ont incité les marques à s’attaquer plus sérieusement au problème. Mais j’ai parfois l’impression qu’ils se limitent à cocher des cases. Il nous faut quelqu’un de couleur, une personne handicapée, etc. Certains annonceurs se sentent tout simplement obligés de suivre le mouvement. On obtient alors des campagnes et des initiatives qui n’ont ni queue ni tête et passent tout à fait à côté des attentes des communautés visées. 

La spontanéité est-elle un facteur important ? N’est-il pas préjudiciable de donner aux gens l’impression qu’ils sont sélectionnés sur la base de critères comme la couleur de la peau, l’origine ou le sexe ?
 

Petra De Roos : Nous en avons discuté en interne lors de la sélection de nos stagiaires. J’étais d’avis que nous devions de toute façon qualifier pour le deuxième tour les candidats issus d’autres cultures. Il s’agit de recruter des personnes qui ont une qualité dont notre secteur a actuellement grand besoin. Cette qualité ne se résume pas à une ligne dans leur CV, mais consiste en leur vision de la société. Nous devons combler certaines lacunes. C’est de la discrimination positive, pas de la charité. 

Diane Munyeshuli : Peut-on parler de discrimination positive quand on sait que l’inverse a prévalu pendant si longtemps ? Je n’y vois aucun inconvénient, tant qu’il s’agit pour une agence de dénicher les qualités dont elle a besoin.

Petra De Roos : Je suis à peu près sûre que chez LDV United, nous n’avons jamais pratiqué de discrimination négative. Je regarde simplement ce qui peut être utile. Les images véhiculées par la pub et les médias ont un impact immense sur les gens. Or, le blanc y domine encore trop souvent. Notre secteur doit encore fournir de sérieux efforts pour faire changer les choses. 

Dans le monde culturel et artistique en particulier, on entend parfois des hommes blancs dire qu’ils passent à côté d’emplois ou de subventions parce que les organisations accordent aujourd’hui la priorité aux personnes de couleur…

Peut-être que ces mêmes personnes ont décroché des postes dans le passé au détriment de ceux qui profitent des opportunités actuelles… 

Diane Munyeshuli : Le système a été conçu pour favoriser les Blancs. On le constate même dans le domaine de l’intelligence artificielle, où l’on persiste à se baser sur les comportements humains. Ces modèles sont biaisés en faveur des hommes blancs. Il y a là un problème systémique.

Petra De Roos : Je pense que nous devrions tous suivre l’exemple de la société de travail intérimaire Accent. Elle supprime les informations relatives au nom et à l’âge sur les CV avant de les transmettre à ses clients. 

Est-il encore pertinent de miser sur stratégie de diversité à partir de caractéristiques externes dans notre société hyperdiversifiée ou faudrait-il tenir davantage compte du milieu social ? 

La diversité est un fait, l’inclusion est un choix. J’ai longtemps cru que j’étais insensible aux différences raciales, mais je me rends compte maintenant que ce n’est pas le cas. Si nous voulons rendre notre secteur accessible à tous, nous devons tenir compte des différences. C’est la seule façon de mettre en œuvre une politique d’inclusion efficace. Et il va sans dire que cela ne concerne pas seulement le physique.

Pourtant, l’accent est souvent mis sur ce point. Serait-ce qu’il est plus facile de prendre des mesures sur la question des caractéristiques physiques ?

Diane Munyeshuli : L’apparence de quelqu’un est la première chose que l’on perçoit. Mais en effet, ce n’est pas parce qu’une personne a la peau foncée qu’elle est forcément plus pauvre. La diversité va bien au-delà de l’apparence. Il faut également s’intéresser à l’environnement social. 

Est-ce que seuls les membres d’une communauté particulière ont le droit de s’exprimer en son nom ?

Petra De Roos : Une partie de notre travail consiste à faire preuve d’empathie, à entrer dans la peau du groupe cible. Nous avons tous du travail, mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas concevoir de campagnes pour une agence d’intérim. Les jeunes mères ne sont pas les seules à pouvoir travailler pour Kind en Gezin. On n’a pas besoin d’avoir son permis de conduire pour faire une publicité pour une marque de voiture… 

Diane Munyeshuli : Pour obtenir une certaine diversité de points de vue, il est utile, en particulier au sein du département stratégie, d’avoir des personnes d’horizons différents. Je trouve que tous les départements stratégie génèrent aujourd’hui le même genre d’idées. L’affaire des pulls de H&M et Gucci il y a quelque temps (les deux marques ont été accusées de racisme en raison d’un pull inclus dans leurs collections, ndlr.) est sans doute le fruit d’une telle homogénéité. Est-ce que personne ne s’est rendu compte pendant ces réunions que ça dépassait les bornes ? Apparemment, non…

Petra De Roos : Je suis d’accord pour dire que le département stratégie est le premier à être concerné par la diversité, mais je veux absolument éviter que les agences ne tombent dans le travers du "bingo de la diversité". Il n’en reste pas moins qu’en milieu urbain, près de la moitié de la population a une origine culturelle différente, alors que ces personnes sont sous-représentées dans les agences. D’ailleurs, on peut en dire autant des personnes de plus de 50 ans. Il n’y a pratiquement plus de seniors dans nos agences, alors que cette tranche d’âge constitue une cible de taille. Mais il s’agit avant tout d’élargir les horizons. Il n’est pas nécessaire qu’un créatif, un stratège ou un account fasse partie du public visé pour plancher sur une publicité. 
 

Archive / BLUE