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Nicolas Lambert : "Si on veut réussir à associer marketing et durabilité, il faut d'abord bien se rendre compte que ce sont deux choses diamétralement opposées"

Mercredi 29 Mars 2023

Nicolas Lambert :

C'est le livre dont tout le monde parle en ce moment : "Le Marketing peut-il sauver le monde ?" Vaste question s’il en est, à laquelle le désormais consultant indépendant et prof d’éthique publicitaire à la HELHa, Nicolas Lambert, apporte néanmoins une réponse claire et, surtout, à son image : méthodique, mais jamais barbante.

Avant d’écrire son premier bouquin, Nicolas Lambert dirigeait l’ONG Fairtrade en Belgique et enseignait à la Louvain School of Management. Ingénieur de gestion de formation, il a également fréquenté le monde des multinationales, telles qu’Unilever, AB InBev et Heineken.
Pourquoi ce livre ?
 
Cela faisait longtemps que cela me trottait dans la tête. J’avais dans mes cartons des tas d’embryons de projets qui n’ont jamais abouti. Et puis, suite à mon départ de Fairtrade, j’ai eu un peu de temps devant moi pour assouvir l'envie de coucher sur papier cette mayonnaise qui avait pris dans ma tête au fil du temps, entre mon côté praticien et prof de marketing et d’autre part, mon côté développement durable, développé chez Fairtrade. 
L’idée était d’associer un peu tout cela, pour vraiment questionner le marketing dans sa pratique et sa théorie. Le tout en se posant les bonnes questions, à commencer par les compliquées, sur la relation entre le marketing et le développement durable.

À quel public le livre s’adresse-t-il ?

Aux professionnels du marketing au sens très large du terme : des Brand Managers aux Directeurs Marketing, en passant par les gens d’agences, de bureaux d’études, du monde académique, etc. 

Maintenant, les personnes qui l’ont déjà lu, disent généralement que c’est un bouquin très accessible, qui s’adresse finalement à toutes celles et ceux intéressés par les grandes questions de société. Ce qu’est sans aucun doute celle du développement durable : comment va-t-on pouvoir rendre l’économie compatible avec les limites de la planète ?

Pour y répondre, ma casquette de prof a pris le dessus, en tâchant d’être le plus pédagogue possible.

Justement, quelle a été votre méthode de travail pour la rédaction ?

J’ai commencé par une note d’intention ! Je ne sais pas si c’est habituel dans le monde de l’édition, mais dans la pub, c’est ce qu’on fait. Avant de réaliser un spot, un réalisateur écrit toujours une note, qui explique et détaille sa vision du projet… Dans la mienne, j’ai clairement identifié le ton que je voulais prendre ; comme je viens de l’expliquer, je voulais avant tout écrire le livre comme je donne cours, c’est-à-dire avec une notion de plaisir, qui est cruciale pour moi, parce qu’elle rend les choses plus digestes, mais aussi la volonté d’intéresser le lecteur à tout prix, d’être très concret ou encore de donner beaucoup d’exemples, le tout saupoudré d’une touche d’humour.

Pour le reste, je dois avouer que j’ai été parfaitement coaché par les Éditions Racine, à commencer par son Directeur de la collection Business & Société, Patrick Steinfort, sans qui, je dois bien l’avouer, le livre n’aurait certainement jamais vu le jour, puisqu’il en est l’instigateur.

C’est un réel bonheur de travailler avec des gens qui savent comment on "fabrique" un livre. Ils m’ont accompagné tout au long du processus et, surtout, énormément challengé, ce qui est assez confrontant pour un prof, qui n’a pas forcément l’habitude qu’on le corrige ou qu’on lui dise ce qu’il doit faire (rires).

Avez-vous appris des choses en l’écrivant ?

Un jour, quelqu’un m’a dit : « En fait, c’est chouette d’être prof, vous êtes payé pour apprendre ! ». nToutes proportions gardées, c’est un peu la même chose avec la rédaction d’un bouquin, parce que cela vous force à creuser certains sujets et à adopter une démarche rigoureuse de réalisation, avec notamment la lecture de nombreuses études, dont vous devez capter et résumer l’essence. 

Par ailleurs, cela m’a donné l’opportunité de rencontrer beaucoup de gens, qui, à l’instar des membres du Think Tank Marketing & Sustainability de BAM, dont je m’occupe, m’ont également beaucoup inspiré, en partageant leurs visions, théories, sources, etc. 

Bref, c’est vraiment très enrichissant de devoir valider chaque chose, pour que ce que vous racontez soit solide.

"Le marketing peut-il sauver le monde ?"… Ne faudrait-il pas commencer par sauver le marketing ? Autrement formulé, le marketing n’est-il pas davantage l’une des causes (principales) du problème plutôt que la solution ?

Effectivement. C’est pourquoi j’ai également fait très attention d’instruire à charge et à décharge.

Pour le commun des mortels, le marketing, c’est le diable, parce que c’est faire acheter n’importe quoi à n’importe qui, le plus cher possible, et, si possible, en grande quantité.

En face, vous avez certains professionnels de la discipline, pour qui, quand la question du développement durable se pose, se réfugient un peu dans "Le monde des Bisounours", dans lequel tout va aller de soi : « Le consommateur veut davantage de durable ? Eh bien, nous allons lui en donner, et le problème sera résolu… ». Je caricature évidemment, mais ces deux extrêmes cohabitent réellement.

J’ai essayé de creuser cette complexité, avec d’un côté le "marketing prédateur" - comme je l’appelle dans le livre -, qui ne se soucie pas du client et le voit uniquement comme un portefeuille sur pattes, et de l’autre, le commun des mortels, qui se sent donc manipulé et poussé à la surconsommation. 

Je me suis principalement posé la question de savoir comment nous allions imaginer le marketing de demain, en sortant de cette relation binaire, entre les intérêts financiers d’une entreprise et la satisfaction à court terme des besoins individuels d’un consommateur.

Ma conclusion est que tout l’enjeu consistera à y intégrer un troisième pôle : l’intérêt général de la société, ce que j’appelle cette fois dans le livre "le ménage à trois". C’est une vraie révolution copernicienne pour les gens du marketing, pour qui c’est compliqué de sortir de cette binarité, mais je crois sincèrement que c’est cela qu’il faut faire.

S’il ne fallait retenir qu’une seule chose de votre livre, quelle serait-elle ?

Qu’il faut surtout bien séparer les choses au départ, afin de mieux les rassembler après. Parce que si on veut réussir à associer marketing et développement durable, avant tout, il faut bien se rendre compte que ce sont deux choses diamétralement opposées. 

Pour faire simple à nouveau, le marketing, c’est la recherche de la meilleure relation possible entre une entreprise et ses clients - ou une organisation et son public -, alors que le développement durable, c’est la recherche de l’harmonie entre une entreprise et la société en général, la planète, etc. 

Cela fait toute la différence, parce que confondre l’un et l’autre, comme c’est souvent le cas, cela peut engendrer deux problèmes fondamentaux.

A commencer par le fait que si les entreprises basaient uniquement leur politique de développement durable sur ce que veut le consommateur, et non sur les besoins de la planète, on risquerait de passer à côté du sujet, voire de verser dans le greenwashing. Le consommateur a en effet souvent une idée fausse ou, en tout cas, tronquée des enjeux réels de la durabilité.

A contrario, si les entreprises considéraient qu’une vraie bonne politique de développement durable suffisait à faire adopter un produit, pour le coup, elles se mettraient en danger - les principales motivations d’achat du consommateur étant souvent ailleurs - et, dans le pire des cas, une argumentation basée sur la durabilité va même contrarier certains publics.

Le bio, qui est très polarisant, est un bon exemple… Il va constituer la raison principale d’achat pour un public restreint, mais va clairement être une barrière à l’achat pour d’autres. Attention, je ne dis absolument pas qu’il ne faut pas stimuler les ventes de bio, mais il faut trouver les bons arguments pour le faire.

En résumé, si vous voulez harmoniser les deux approches, il faut donc impérativement prendre en compte cette complexité. Je propose d’ailleurs dans mon livre un modèle pour gérer cette interaction entre les deux disciplines.

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