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Toutes les promesses du ToVA

Mardi 6 Décembre 2022

Toutes les promesses du ToVA

Nous sortons de l’époque des petits appoints vidéo aux grosses campagnes TV linéaires : la publicité audiovisuelle de demain s’établira de façon intégrée et avec de nouveaux équilibres, qui pourront plaire ou ne pas plaire aux acteurs en place. L’outil ToVA (pour Total Video Advertising planner) proposé par le CIM relève d’une véritable innovation sectorielle, permettant de mixer plusieurs sources vidéo dans l’établissement des plans. Relevé des possibilités et des limites de ce media-planner informatisé et bien informé.

Il faut tout d’abord savoir que jusqu’ici, analyses comme calendriers médias s’établissaient séparément entre les options vidéo et linéaires ou dites "classiques". Un travail en silo, pour reprendre l’expression d’usage, et en vérité, inévitable dans la mesure où toute la chaîne du travail se trouve totalement dupliquée - des mesures d’audience à la planification des campagnes. Vous disposez en résumé de deux plans audiovisuels - le traditionnel d’une part, avec les grands acteurs linéaires locaux, et l’OLV (pour Online Video) d’autre part, composé d’un inventaire assemblant des éditeurs locaux et les Gafams, dont YouTube au premier plan. Seulement voilà, l’approche est loin d’être idéale pour des raisons pratiques évidentes : les experts d’achat n’étant pas identiques, encore actuellement. Mais aussi et surtout parce que les calculs de vos performances sont établis séparément et difficilement cumulables. Ne sachant par ailleurs plus si vous devez construire la campagne à partir des médias historiques, ou de la partie online : une évidence qui l’est de moins en moins… 

Au CIM, Sofie Rutgeerts (Manager TV & Digital Research) précise que les professionnels du planning TV n’ont pas attendu la nouvelle solution : « De nombreuses agences et régies ont entre-temps développé leurs propres mesures, le CIM ne disposant pas de standard apte à offrir une image globale des contacts publicitaires générés par la TV et la vidéo instream. » Entretemps, c’est chose faite. Le CIM a commencé par recourir aux données existantes, à savoir en premier l’Audimétrie et dont la description - et la réputation - n’est plus à faire. Cette étude tactique qui a valeur de currency, servant de base pour les achats TV, est complétée par une autre tactique du CIM aussi bien établie, l’étude Internet. Officiellement dénommée DAM pour Digital Audience Measurement, en réponse à la TAM pour la Télévision Audience Measurement. 

Le but de l’approche en prévision de l’outil ToVA était de fusionner les données audimétriques en les injectant dans la DAM : déjà une belle opération. « Via l’étude TV, nous connaissons le nombre de personnes touchées par écran pub TV, et nous connaissons les chiffres d’audience des sites et des applications pour la même période grâce à l’étude Internet », précise Sofie Rutgeerts. « Toutes ces data ont été traduites en contacts publicitaires potentiels. Ainsi, nous disposons d’un inventaire de l’offre TV et online des acteurs belges ». 

Il fallait encore inviter les acteurs non-cimés dans la danse, à savoir les YouTube, Facebook, Instagram et autre TikTok pour être complet. Malheureusement, seul YouTube sera comptabilisé, et par la voie d’une enquête cross-plateforme, donc déclarative, sur les comportements d’exposition à ce canal. 

En pratique, ToVA permet désormais aux media planners ou à tout autre intéressé d’estimer l’audience et la couverture nette d’une campagne "total video", combinant TV et OLV. Et du coup, de tester différents plans pour optimiser l’approche sur un groupe-cible donné, évaluer la contribution d’un média sur l’autre ou encore valoriser les allocations budgétaires. À se demander comment nous faisions avant ! Sauf que la machine ne saura pas encore tout faire. Le CIM nous indique que dans un second temps, ToVA sera élargi au planning tactique et aux évaluations de campagnes post-buy. Voulant dire que pour l’instant, si le software et sa triple base de données agrégée derrière permettent de réaliser des analyses stratégiques et des simulations tactiques - à savoir des pseudo-plans TV cross-channels -, il ne permet pas encore de convertir tout cela en achat pur et dur d’espace. Lequel devrait tenir compte des coûts réels et des inventaires disponibles.
Pour tout le monde mais pas pour rien
Le ToVA et les données auquel il donne accès (le lecteur aura compris que ces data constituent la principale richesse de l’interface), est proposé depuis début octobre aux souscripteurs des études TV et Internet du CIM. Ceux-ci peuvent acheter une licence d’utilisation à GfK qui produit l’étude mixte en question et dont le nombre d’utilisateurs n’est pas limité. On parle de 5.500 euros sur une base annuelle, ce qui reste relativement accessible. Quant à son fonctionnement, il serait assez proche de Probe TV, l’outil de planning Internet déjà en place chez la plupart des concernés. À ce sujet, les deux groupes d’usagers évoqués plus haut - les acheteurs TV et OLV - ne devraient faire plus qu’un, une évolution positive pour notre marché. A noter que ces espaces Online TV se répartissent entre BVOD, en référence aux broadcasters locaux, et YouTube qui pour l’occasion accapare la représentation de la vidéo version Gafam. « Le CIM a eu une vision volontariste par rapport aux performances de YouTube. Nous avons pris les devants par rapport aux non-souscripteurs comme Google et de les mesurer à notre manière, quoi qu'en pensent les intéressés », relève Bernard Cools (Chief Intelligence Officer, Space). 

Le point de vue de Fabien Bourgies (Sales Director, Channel Factory) est mitigé à cet égard. Représentant indirectement YouTube pour avoir en charge la qualification de ses contacts publicitaires, celui-ci s’inquiète de l’objectivité de l’outil : « Je constate que les audiences sont calculées en "dur" via deux études tactiques CIM pour la télévision et la vidéo locale, et que le mode déclaratif est d’application pour YouTube. J’espère que les données produites sont d’une même valeur et que les utilisateurs les analyseront avec neutralité et prudence. » Le bureau d’étude Ipsos, a interrogé 2.000 personnes fin 2021 sur leur consommation vidéo au grand complet dont la consommation sur YouTube. La méthode, pour estimer la valeur du contact publicitaire, s’est basée sur le temps de visionnage par tranche horaire, « traduite en nombre potentiel de pauses et donc en opportunités de contact avec la publicité », précisait Sofie Rutgeerts dans nos colonnes en octobre. Et l’étude déclarative permet de savoir qui a regardé quoi.

Jusqu’à présent, la plupart agences médias et tous les éditeurs impliqués auraient signé pour l’usage du ToVA, lequel n’est pas encore installé chez chacun à l’heure où nous mettons sous presse. Bernard Cools apprécie l’approche d’un CIM mettant à disposition des outils sur le marché belge : « Nous avons des précédents comme pour l’étude Out of Home. Cette source est une référence, d’autant plus quand vous combinez trois sources d’information différentes dans une même plateforme de planning. Les agences médias ayant contribué aux commissions techniques liées au projet ToVA sont invitées à le tester, du coup la majorité d'entre elles sont incluses, et c’est très bien. »
Trois poids, trois mesures
Une évidence : les contacts en TV linéaires et en mode vidéo n’ont pas la même valeur objective, et ne sont pas comparables : l’étude VIA menée par Karen Nelson Field et présentée à distance par l’experte australienne le 10 novembre dernier, ne dit pas le contraire. Le CIM a bien entendu relevé ce point essentiel, pour normaliser les différents types de contacts à la sortie : « L’outil garantit que les impressions en ligne sont valorisées de la même manière que les GRP à la télévision, plus précisément à l’aide du Facteur Effectif. Cette valeur indique le nombre d’impressions qui répondent à la définition d’un contact en TV et est basée sur des données concernant le temps de vision total des vidéos publicitaires online, ainsi que la taille de l’écran pendant que le spot est diffusé. Dans ToVa, un contact représente donc 50% de la vidéo regardée en plein écran. » De quoi rassurer vu le caractère sérieux de la réflexion, sauf que l’on peut encore débattre sur l’origine des fameux 50% en question.

A noter que ni ce travail multi-plateformes du CIM ni l’étude VIA ne font intervenir le rôle du message lui-même. C’est-à-dire, sa valeur émotionnelle ou, osons le mot, créative. Mais aussi sa valeur fonctionnelle, à savoir l’intérêt potentiel pour le contenu, sa valeur informative ou à l’état pur, s’agissant d’une promotion, par exemple. Malheureusement, et le lecteur le comprendra, il n’est pas possible de modéliser via un "Facteur Effectif" l’impact probable d’un message selon ces paramètres. Une réserve est donc à prévoir ici : selon que la création soit très impactante ou peu, pour toute raison objective et mesurable, le contexte du canal - off ou online - et du format (court, long, autoplay ou pré-roll …) interviendra moins. Nous restons donc ici sur des bases comparables, et où les facteurs de viewability ont été égalisés par canal, mais ceci reste assez théorique. Comme un autre sujet, essentiel par ailleurs.
Ce fameux chaînon manquant
Le DG du CIM, Stef Peeters, s’exprimait en octobre dans ces termes : « Le ToVA est si détaillé que les gens pourraient être tentés de l’utiliser aussi de manière tactique, mais ce n’est pas possible pour l’instant car les niveaux de duplication ne sont pas encore définis assez finement et l’on risque de tirer des conclusions erronées. » Pour être précis, des simulations de plan à un niveau tactique sont possibles, mais elles ne peuvent pas être converties en achat de campagne directement. Bernard Cools nous explique : « Le travail de ce programme reste théorique. En vrai, la conversion d’une campagne en achat d’espace se retrouvera vite confrontée à la réalité des inventaires disponibles. Et là, si celui de YouTube est réputée illimité, sans porter de jugement sur la valeur technique ou subjective de ces contacts, ceux des inventaires BVOD sont limités et avec des variances par segment et régions. » 

Dans la réalité intervient aussi la notion de budget net payant, absente au départ des données du ToVa. Or, à nouveau, le passage du virtuel à la pratique risque de faire grincer des dents. Fabien Bourgies soulève le point : « Sans tenir compte des disponibilités et du coût réel, les plans sont un peu biaisés, et à l’avantage des éditeurs locaux. » Cools ne dit pas autre chose et reconnaît que l’outil sert avantageusement la BVOD. Il perçoit dans ce décalage « une opportunité pour les local broadcasters de plus développer encore leur inventaire. Les calculs vont les aider à se rendre compte des gaps importants, surtout au sud, et leur permettre de réagir constructivement. »

Chez GroupM, Benoit Pissoort (Head of Video) veut nuancer : « L'outil permet de faire des scénarios, tenant compte notamment du CPM et d’un viewability factor pour estimer un effective CPM. L’élément trading est donc inclus. Mais il est vrai que la notion de trading en tant que telle est peu ou pas prise en compte dans ce genre d’exercice, car l'outil va plutôt optimiser sur base du reach et pas sur base du CPM. Le planner est toutefois en mesure d’élaborer mais manuellement des plans "optimal reach" et des plans "cost efficient". » Une autre agence média indique que l’on peut « de toutes façons intégrer les prix que l’on souhaite, comme le net facturé des dernières campagnes, et qu'il est donc finalement possible d’optimiser sur le coût mais manuellement ». Aux yeux d'une grande partie du marché, l’objectif était surtout d’avoir un outil de planning total video uniforme alimenté de datas identiques pour tous les utilisateurs. Sachant que chacun y allait jusqu’ici un peu à sa manière lors du calcul du plan vidéo idéal ou de l’incremental reach. Remi Boel (Market Intelligence Director, OMG) confirme : « Concrètement, ToVA nous permet de faire un bilan stratégique de la distribution la plus optimale entre TV, BVOD et YouTube. Dans ces exercices nous prenons également en compte les éventuelles simulations de pré-achat ainsi que les simulations de pricing et les scénarios d'inventaire. Les résultats de ces exercices sont ensuite affinés dans un cadre plus large du plan global dans l'outil de planning d'OMG. »

Au sujet de l’horizon des réseaux mondiaux pris en compte que seul YouTube représente, Remi Boel nous fait une petite piqure de rappel : « In tempore non suspecto, des acteurs internationaux ont été invités par le CIM à participer à une étude commune. Malheureusement, ils n'y ont pas encore répondu positivement. Le fait que le CIM ait lancé une initiative pour mesurer le reach video des acteurs BVOD locaux et de YouTube en complément de l’audience TV ne peut qu'être applaudi. Du reste, pour mesurer le niveau d'attention lors de l'utilisation des médias, VIA a collaboré avec Karen Nelson-Field, la référence internationale en la matière. Les observations et les résultats présentés sont conformes à des conclusions similaires dans plusieurs autres pays, ce qui renforce son objectivité. » 

Stéphanie Radochitzki (Digital Director, Mediabrands) fait la part des choses : « Il est évident que l’étude de VIA sur l’attention est faite pour défendre les broadcasters locaux contre les Gafam. Ils font leur travail, et ils le font plutôt bien. De notre côté, nous faisons le nôtre : prendre du recul, proposer à nos clients une analyse plus neutre en complétant cette étude par d’autres paramètres comme le prix ou les possibilités de targeting. Dans le cadre de ToVA, c’est différent. Il s’agit d’une étude CIM, dont les données sont à dispositions de tous. Dans ToVA, on peut tenir compte des critères de prix bruts ou nets, et la source ne nie pas que YouTube offre une large couverture nationale. Un point d’amélioration serait de pouvoir adapter l’Efficiency Factor pour pouvoir utiliser des benchmarks propres à l’annonceur ou de l’étude Attention de VIA, au lieu d’un chiffre général fixé dans l’outil. »

Après cette belle avancée pour le secteur et son professionnalisme, Benoit Pissoort ne nie pas que les players locaux ont un peu de travail au niveau du CPM, de l’inventaire, et pas que dans les simulations « mais aussi pour délivrer ce qui a été commandé » et du capping. A savoir un nombre de contacts effectifs volontairement limité à un niveau optimal. Traduisez : nous n’aurions aucune uniformité entre acteurs locaux, au contraire des internationaux. Mais c’est une autre histoire, ou le dernier épisode pour un travail en planning video qui soit parfaitement sous contrôle.

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