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New Talent : Juliet Bonhomme (Upcycling Lab)

Lundi 5 Décembre 2022

New Talent : Juliet Bonhomme (Upcycling Lab)

Cette rubrique est consacrée aux jeunes talents de notre secteur que nous souhaitons à la fois encadrer et mettre en lumière à travers des portraits et des interviews. Comme dernière invitée de l’année, nous avons choisi Juliet Bonhomme, influenceuse sur les thèmes de l’upcycling et de la slow fashion, et fondatrice d’Upcycling Lab qui propose des ateliers et des conseils sur l’upcycling dans le monde de la mode, un secteur connu pour être l’une des industries les plus polluantes au monde.

Vous êtes devenue spécialiste des thèmes de la slow fashion et de l'upcycling. Qui ou quoi vous a inspirée ?

Il y a cinq ans, j’ai pris conscience de l’importance du développement durable. Je travaillais pour une ASBL qui s’occupait de consommation durable. J’écrivais des articles pour inciter les gens à adopter de meilleures habitudes de consommation. J’ai pensé que je devais moi aussi mettre ce message en œuvre dans ma vie personnelle, et j’ai radicalement changé mes habitudes de consommation sur les plans de l’alimentation, des produits de beauté et de la mode. 
 
C’est pour cette dernière que ce fut le plus difficile. J’étais accro à la fast fashion et je faisais souvent du shopping dans les grandes enseignes. J’ai donc dû apprendre à composer ma garde-robe d’une autre manière. Cela s’est concrétisé par la fréquentation des marchés aux puces et des magasins de seconde main, les échanges de vêtements entre copines et des achats occasionnels sur Vinted. J’ai réalisé que je pouvais suivre la mode, sans pour autant polluer davantage la planète. J’ai alors commencé à promouvoir ces nouvelles habitudes de consommation sur les médias sociaux. À l’époque, il y avait encore beaucoup de blogueurs et d’influenceurs qui promouvaient la fast fashion et qui partageaient constamment des nouveaux looks et de nouvelles tenues, encourageant ainsi les jeunes à la surconsommation. J’ai repris les codes de communication de ces influenceurs, mais avec des vieux vêtements ou de seconde main. Et ça a fonctionné.

Depuis, vous avez créé votre propre entreprise, Upcycling Lab.

Pendant les confinements, il n’était plus vraiment question de se mettre en quête de tenues originales parce que les magasins étaient fermés. Je n’avais pas non plus d’argent pour acheter de nouveaux vêtements de marques durables. Je savais que ma mère avait une machine à coudre et j’ai commencé à l’utiliser pour confectionner moi-même mes propres pièces à partir de vieux draps ou de vieux vêtements que je ne portais plus. J’ai également commencé à les poster sur mes pages, ce qui a incité des personnes et des organisations à me demander d’organiser des ateliers et de faire des tutoriels. J’ai ensuite fondé Upcycling Lab, un concept hybride autour de tout ce qui concerne l’upcycling dans le domaine de la mode. 
 
Mon activité principale consiste à animer des workshops pour fabriquer soi-même ses vêtements, tant sur place dans mon atelier que dans des magasins pour leurs clients. D’autre part, il y a le volet conseil. Je cherche des solutions ou des idées pour la politique de stock ou les invendus de magasins ou de petites marques. Je continue également partager sur les médias sociaux des looks et tenues que j’ai créés, ainsi que de bons exemples de marques de mode. 

Vous conseillez aussi de grandes marques ?

Pour l’instant, je n’ai travaillé que pour des petites marques. Pour une boutique par exemple, j’ai transformé un stock de jupes vintage qui avaient un peu perdu leur forme en tenues pour femmes, contemporaines et modernes. Je ne sais pas encore comment je veux me positionner en ce qui concerne la collaboration avec de plus grandes marques. Je n’ai pas envie de travailler pour des grandes chaînes comme H&M, mais d’un autre côté, je veux aussi trouver des idées pour ces retailers afin qu’ils ne doivent plus brûler ou détruire leurs invendus. Nous connaissons tous ces images de surplus de l’industrie de la fast fashion déversés dans le désert d’Atacama au Chili. Le problème des vêtements à peine ou jamais portés que l’on jette, reste très important. Cela coûte moins cher à ces marques de brûler cette grande quantité de vêtements que de les stocker et de les recycler de manière durable.

Ces mêmes marques qui font aujourd’hui étalage de leurs stratégies de développement durables, cela vous dérange ?

Elles sont obligées de prendre position. Cela donne certainement de bonnes choses, mais le problème des grandes chaînes qui produisent énormément reste entier. Les chaînes de mode se vantent de proposer des T-shirts en coton biologique ou de nouvelles méthodes de recyclage, mais leur business model est fondamentalement erroné. Elles produisent beaucoup trop de pièces de mauvaise qualité à un rythme infernal. C’est un modèle de surproduction. Quand nous achetons un vêtement durable à ces grandes marques, notre argent soutient ce modèle et ses usines situées dans des pays lointains, où les ouvriers sont sous-payés et contraints de travailler dans de mauvaises conditions. Et l’impact écologique reste énorme. Bref, les chaînes font des efforts, mais pas assez à l’échelle mondiale pour avoir un réel effet. 

Avez-vous constaté un changement dans la stratégie Black Friday des marques cette année ?

Beaucoup de marques ont voulu remettre en cause cette fête de la surconsommation cette année-ci. Certaines l’ont ignorée, ou ont justement augmenté leurs prix. J’ai été réellement séduite par une marque qui a fermé son site internet lors du Black Friday, qui n’a pris aucune commande et qui a exhorté ses clients à ne pas consommer mais à profiter de la nature. Il y a évidemment aussi eu beaucoup d’opportunistes qui ont surfé sur cette vague de la durabilité. En résumé, le Black Friday est de plus en plus démodé. Il dégoûte de plus en plus de gens, dont la préférence va au développement durable. 

Y a-t-il une marque connue dont la stratégie de développement durable est bonne, selon vous ?

Hopaal fait de l’excellent travail, je trouve. Tant sur le plan de sa communication que de sa production. Son système de précommande pour la production de vêtements est un modèle innovant et prometteur pour l’industrie de la mode. Une pièce fabriquée uniquement sur commande est durable, parce qu’il n’y aura pas de surproduction. De plus, cela amène les consommateurs à se demander s’ils ont vraiment besoin de ce vêtement, puisqu’ils doivent attendre un à deux mois après leur commande avant de le recevoir. Hopaal a déjà réalisé quelques campagnes de vente pour son DemocraTee, un T-shirt à 24 euros sur lequel elle ne gagne rien, mais qu’elle utilise pour sensibiliser les gens aux méfaits de la fast fashion. Sur son site internet, elle décompose ce montant et explique ce qu’il couvre. 

photo Barbara Courtmans

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