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SXSW : Birds Aren't Real (Danny Devriendt, IPG Dynamics)

Jeudi 17 Mars 2022

SXSW : Birds Aren't Real (Danny Devriendt, IPG Dynamics)

Je pense que tout professionnel de la communication, de la stratégie d'entreprise, du marketing ou des médias a déjà écarquillé les yeux de désespoir en parcourant ses réseaux sociaux avec une stupeur mêlée d'admiration. Comment toutes ces théories du complot arrivent-elles à capter autant d'attention ? Comment, par tous les Saints et surtout l'évangile du Monstre en spaghettis volant, une telle diarrhée d'infos peut-elle occuper autant de place sur et dans des milliers de fils d'actualité ? Il faut bien l'admettre : si nous arrivions à déchiffrer ce rébus et générer ne fut-ce que la moitié de cette attention pour nos clients, nous serions déjà des demi-dieux pleins aux as, et nous pourrions siroter un lait de coco agrémenté de paillettes dorées sur un yacht de luxe ancré tranquillement et à l'ombre, dans le lagon bleu.

Les fake news et les théories du complot polluent nos flux d'actualités, mettent à l'épreuve jusqu'au bon sens lui-même d'une bonne partie de la population, ont installé une star de téléréalité dans un fauteuil de président, ont érodé la réputation d'innombrables scientifiques, et ont à elles seules ralenti la lutte contre le Covid-19 en doutant des vaccins.
Les gouvernements et décideurs, les leaders d'industries, les influenceurs, les journalistes, les entreprises et leur management ont dû endurer des ragots et autres fake news capables de balayer jusqu'à la dernière once de crédibilité et de bon sens.

La faute à Facebook

Frances Haugen nous dit de chercher les responsabilités du côté de Facebook, et par analogie plus que probablement du côté des autres plateformes de connexion sociale et de recherche qui fonctionnent avec des logarithmes. Frances Haugen souligne avec fierté son sens de l'honneur pour la démocratie, et des responsabilités pour la participation civique. Vous la connaissez peut-être comme la "lanceuse d'alerte Facebook" : la femme qui a fait un pied de nez monumental à Mark Zuckerberg en vendant la mèche et dénonçant comment Facebook et ses machines nocives manipulent jusqu'au moindre battement du rythme des réflexions et sentiments de la race humaine.
Frances Haugen n'est pas une jeune rêveuse en quête d'attention : elle est diplômée en génie électrique et informatique du Olin College et titulaire d'un MBA de l'Université de Harvard. Elle s'est spécialisée dans la gestion algorithmique des produits, et elle a travaillé sur les algorithmes de classification chez Google, Pinterest et Yelp. Chez Facebook, elle était responsable de l'équipe en charge du traitement de la mésinformation. 
Les bénéfices avant la raison

Frances Haugen s'est progressivement inquiétée des choix posés par Facebook pour donner froidement priorité à ses propres bénéfices en passant outre la sécurité publique, ce qui va jusqu'à mettre des vies en danger. Les logarithmes inondent (délibérément) nos fils d'actualités et autres flux avec des contenus controversés, des actus anticonformistes et des conspirations alarmantes. La raison est simple : on réagit davantage à ces bizarreries qu'à des contenus "approuvés", ou même des contenus publiés par des amis. Cet engagement génère plus d'argent. Malgré d'énormes risques pour sa personne, Frances Haugen a pris la courageuse décision de lancer l'alerte en dénonçant Facebook.

Dans l'oeil de l'oiseau, la caméra

Nous sommes en début d'année 2017. Peter McIndoe squatte le canapé d'un ami à Memphis. Donald J. Trump vient de recevoir les clés de la Maison Blanche et a commencé à pendre ses rideaux brodés d'or dans le Bureau ovale. Des fanatiques pro-Trump sont en ville pour "neutraliser" une manifestation pour les droits des femmes. Peter McIndoe veut participer au mouvement. Il arrache un poster d'un mur, le retourne et écrit les premiers mots qui lui viennent à l'esprit : "Birds Aren't Real" (les oiseaux ne sont pas réels).

Un réveil sous le signe de la célébrité

C'est parti d'un réflexe spontané, d'une blague qui voulait rebondir sur l'absurdité de la stupidité des gens : un bon après-midi, en bref. Puis Peter McIndoe va se coucher. Pour se réveiller avec un statut de célébrité. La blague sur sa pancarte improvisée a été reprise par des "reporters" des réseaux sociaux et se répand partout sur la toile. Des journalistes le retrouvent, curieux de connaître l'histoire derrière ces mots. Les adeptes des conspirations et suiveurs du mouvement QAnon ont avalé ce nouveau slogan comme un lézard avale une goutte d'eau sur une dune de sable brûlant. McIndoe décide alors de voir jusqu'où la blague peut aller... en répondant à la presse et aux questions d'internet. Oui, c'est vrai : les oiseaux n'existent pas vraiment, ce sont des drones de surveillance. Une preuve ? Eh bien... Vous avez déjà vu un bébé pigeon ? Les journalistes pensent qu'il est sérieux. Le mouvement "Birds Aren't Real" est né.

La machination des drones à plumes

McIndoe arrête ses études en 2018 et consacre pas moins de quatre ans à jouer son rôle pour leurrer les journalistes et le monde. Il utilise son parcours en psychologie et les codes des théoriciens des complots pour rassembler et fortifier une communauté vaste et grandissante autour de son ineptie.
Un vrai mouvement parodique et satirique (avec un style, des slogans, des rassemblements et des manifestations de masse) se développe autour de son personnage. De vraies personnes, dans la vraie vie, ont défendu ou défendent encore une « machination des oiseaux drones ». Le mouvement Birds Aren't Real a attiré des millions de followers sur les réseaux sociaux, et des centaines de branches officielles ont vu le jour dans des écoles de tout le pays. Le nombre d'adeptes du mouvement, les Bird-Truthers, s'est même rapproché de celui des suiveurs QAnon.

De l'absurdité à l'enseignement

Peter McIndoe tombe finalement le masque en décembre 2021. Même si certains Bird-Truthers croient toujours vraiment à la parodie, l'intention de McIndoe est d'utiliser la dynamique du mouvement pour tirer un vrai enseignement en montrant à quel point il est facile de duper les médias et le grand public. Il veut apporter son aide et montrer comment s'y prendre, pour ensuite en tirer les leçons.

Peter McIndoe veut que les choses se fassent de manière sûre et détendue : « Birds Aren't Real est là pour s'assurer que tout ce que nous avons fait n'ait pas un effet néfaste pour le monde. Le mouvement se veut un espace sûr pour les personnes qui souhaitent se rassembler et traiter, aborder et assimiler la prise de pouvoir conspirationniste aux États-Unis. Nous tendons un miroir aux médias, journalistes et analystes. Mieux vaut rire de cette folie plutôt que se laisser emporter par elle. »

Peter McIndoe s'est montré plus futé que des journalistes aguerris, des analystes vigilants, des forces de police et des millions de personnes. Ses armes : énergie, satire, une bonne compréhension des dynamiques et biais de groupe, de l'esprit et de la persévérance.On devrait féliciter Peter : il nous montre la vulnérabilité des systèmes de nos démocraties et sociétés. On devrait engager des gens comme Peter. C'est un dérangeant mais indispensable joker du jeu de la remise en question... Peter est un Singe Rouge.

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