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In Memoriam : Georges Lafleur (1944-2021)

Vendredi 24 Septembre 2021

In Memoriam : Georges Lafleur (1944-2021)

Il s'est éteint le 19 septembre dernier. Et c'est peu dire que la disparition de Georges Lafleur laisse un grand vide au sein de la communauté publicitaire et, plus largement, parmi ceux qui ont eu la chance de le côtoyer. Quel autre hommage pouvions-nous offrir à ce grand monsieur, et brillant rédacteur, que ces quelques mots, souvenirs, anecdotes et réflexions ? 

Merci à Eric, Ine, Christophe, Véronique, Najad, Josephine, Patrick et Marc.   
Marc Fauconnier
Georges Lafleur était l'homme le plus délicat qu'il m'ait été donné de rencontrer dans ma carrière publicitaire. Il semblait être fait de la porcelaine la plus fine. Sa patte raffinée et gracile transparaissait aussi dans les meilleures campagnes de Lowe Troost. On lui doit le développement des plus belles marques de notre pays à la fin du siècle dernier. Rappelez-vous les publicités pour Spa ou pour le fabricant de peinture Levis. Le légendaire Frank Lowe appréciait également Georges, qu'il qualifia de « praline belge » de son réseau lors de notre courte visite à Londres. 

Je ne me souviens que d'une seule occasion où sa carapace de porcelaine s'est quelque peu fissurée : le jour où je lui ai annoncé mon intention de créer ma propre agence avec son meilleur tandem créatif, Luc Libens et Christophe Ghewy. Dans un premier temps, Georges s'est senti trahi, mais il nous a bien vite pardonné du fond du coeur notre « beau break-away » (selon ses propres termes). La réconciliation s'est faite autour d'une sole accompagnée de frites, le tout arrosé d'un bon verre de Meursault. 

Adieu, Grand Homme !
Josephine Overeem
Mon très cher Georges,

Nous nous sommes rencontrés pour la première fois avenue de la Sapinière à Uccle, où tu avais contribué à façonner DDB Belgium avec le directeur créatif Rik Manhaeve, dans une villa vétuste et pleine de marches, sous la direction improbable de Henri Goditiabois.

J'ai eu la chance de pouvoir traduire tes textes en néerlandais alors que je débutais en tant que traductrice/adaptatrice free-lance. Chaque fois, c'était un réel plaisir. Tu avais l'art de transformer la moindre copy plus ou moins imposée en un petit joyau finement ciselé : une histoire fluide, passionnante et pertinente. Et dont le contenu transcendait toujours la publicité. C'est un don rare. Le regretté Greg Tyteca, disparu beaucoup trop tôt, était de la même trempe, bien que vos vies ne se soient jamais croisées. Tu remettais à sa place l'annonceur qui voulait "bricoler" tes textes : « N'y touchez pas, je vais le réécrire moi-même ! » Mais tu exigeais qu'il t'explique clairement ce qu'il convenait de changer et pourquoi...

Nous avions presque le même âge : toi Poissons/Singe de 1944, moi Gémeaux/Coq de 1945, et nous partagions cet amour inconditionnel pour Bernbach, pour les textes soigneusement rédigés et pour ce supplément d'âme que l'on pouvait insuffler aux annonces presse, aux affiches et aux publipostages (c'était une autre époque) et qui constitue l'unique raison d'être de la publicité.

Je me souviens que quelques années plus tard, tu as rejoint la vénérable et très francophone agence Vanypeco (fondée par le frère du chef de cabinet du roi Baudouin !) - qui deviendrait plus tard Lowe Troost - dans cette splendide villa de l'avenue de Tervuren, sous la direction du gentleman/aristocrate Jean de Waha, qui fit venir depuis Paris un bohémien (au sens figuré), Maurice Sendrowicz, pour lui succéder (respirons), comment tu as déployé largement tes ailes sur notre profession, avec toujours une certaine gravité dans tes yeux bleu eau, en homme doux, affable et en même temps rigoureux. Et comment, tout francophone que tu étais, tu as contribué, avec une aisance et une souveraineté surprenantes, et en à peine une décennie, à sortir de l'ornière le secteur en Belgique, avec l'aide des agences flamandes montantes, pour en faire "le plus brave des Gaulois" dans un monde publicitaire déjà en pleine expansion.

C'est plus fort que moi, je dois raconter ce moment dont je me souviens encore parfaitement. Je me rendais en voiture à mon travail chez Pub (que, dans ma candeur, j'avais envoyé pour la première fois le 26 avril 1976 à 4.000 professionnels du secteur dont j'avais rassemblé péniblement les coordonnées - petit rappel pour les jeunes : à l'époque, il n'y avait même pas de fax, uniquement ces énormes pavés qu'étaient les Pages Jaunes) quand, tout à coup, dans ce quartier massacré par ce fossoyeur de ville qu'était Charlie De Pauw, j'ai aperçu une affiche pour Levis. Un bel homme noir levait les yeux en disant : « Quel Blanc ! » Nul doute qu'un tel concept serait refusé aujourd'hui comme politiquement incorrect - hélas - mais quel monde dans ces deux mots !

Et le meilleur de tous tes visuels : l'affiche 20 m² en noir et blanc pour Spa, avec cet homme au regard bienveillant, aperçue près du pont Van Praet. Dan Van Vlasselaer m'a montré toutes les planches contact (eh oui, les jeunes, les temps ont bien changé) : plus de 800 clichés et seulement une photo où ce jeune macho attrayant faisait les yeux doux. C'est celle-là que tu as choisie. Une image prophétique qui synthétisait l'évolution lente, étalée sur plusieurs décennies, de l'émancipation des hommes et des femmes (sur ce plan, mes enfants et petits-enfants s'en sortent très bien) et qui s'est gravée dans notre mémoire collective.

J'ai toujours senti chez toi une légère réserve, sans doute attribuable à ta polyarthrite, cette terrible maladie qui t'a affecté très jeune, et que tu cachais si pudiquement. Il m'a fallu un certain temps pour m'en rendre compte, et ce n'est qu'au compte-gouttes que tu te confiais à ce sujet. Tu m'as ainsi confessé devoir souvent t'arrêter, entre le parking derrière la villa et l'entrée principale de Lowe Troost, parce que tu avais du sang dans les chaussures. Ou prendre des anti-inflammatoires tout en évitant les analgésiques pour conserver toute ta clarté d'esprit. Tu souffrais donc presque continuellement, une situation que nous avons du mal à imaginer.

Mais j'arrête de m'égarer dans mon dédale de souvenirs. Je remercie Fred, Dam et Griet de m'avoir donné la possibilité de te rendre hommage, bien consciente que beaucoup d'autres voudront faire de même. Cher Georges, la plupart de nos rencontres ont eu lieu dans le cadre professionnel. Bien plus tard, j'ai abandonné le secteur pour me lancer dans le coaching ; tu as aussi décidé de suivre une autre voie, en décrochant un certificat de maître praticien en PNL, en même temps que ton complice de toujours, Alain Godefroid. Je n'ai plus qu'une chose à te dire : Quel Homme !

Je te porte dans mon coeur et repense à toi avec affection et gratitude.
Eric de Behr
Je n'ai pas eu l'occasion - ou plutôt l'honneur - de travailler avec ou pour Georges Lafleur.
Mais je l'ai bien connu pendant nos années de créatifs publicitaires, aussi à titre privé, car je le considérais comme un ami.

Déjà, parce qu'il avait été le CD de Ine, mon épouse. 
Et comme Lowe Troost était une grande famille, dont le patriarche - Maurice Sendrowicz - avait été mon CD chez McCann et toujours mon mentor et ami, on se voyait régulièrement. 

Et bien sûr, lors de toutes les activités parallèles à nos agences respectives : les Awards, les jurys, le festival de Cannes, etc. nous nous retrouvions souvent ensemble... mais ce fut surtout pendant mes 8 années à la tête du CCB, qu'il m'apporta son soutien inconditionnel et ses conseils éclairés.

Georges était certainement le plus brillant Copywriter de Belgique. 
Et bien sûr, un CD d'une intelligence rare.
Je l'ai toujours perçu comme un sage. Loin de l'image du créatif vedette, quittant le parking de l'agence en trombe dans son cabriolet sport écarlate, la chevelure et l'écharpe Hermès au vent.

Son attitude et son physique étaient tout le contraire, calme et serein, vous toisant de sa haute taille, mais sans condescendance. Plutôt comme un Maître à penser, un professeur de rhétorique qu'on admire secrètement, peut-être même en soutane de jésuite ou mieux, un moine bouddhiste dans sa toge rouge et jaune, le sourire toujours bienveillant, à l'écoute. Ou finalement pourquoi pas, un psy car il savait écouter.
Il est d'ailleurs devenu psychothérapeute.

Il dégageait toujours cette sérénité... A l'écoute comme à la réponse qu'il donnait. 
Comme ses textes, pas un mot de trop, ni superflu, juste l'essentiel.
De lui émanait une force oui, mais une force tranquille.

Il m'a manqué, il me manquera encore plus.

J'espère que là où il va, il retrouvera son complice, Maurice. Ils auront sûrement beaucoup à se dire, mais ils auront le temps, une éternité.

J'espère les y retrouver un jour, devant un plat de pâtes et quelques bouteilles de vin - toujours du rouge - comme quand nous nous retrouvions au Muscha, leur cantine près de chez Lowe.
Patrick Willemarck
Nous nous sommes appréciés, nous avons travaillé ensemble et nous nous sommes détestés, bien après s'être quittés. Nous nous sommes revus après et puis plus et maintenant, plus jamais.  

Le premier souvenir qui m'est revenu quand j'ai appris le décès de Georges, c'est ce voyage en moto, d'Avignon au Festival de Cannes, avec Alain Godefroid en Royal Enfield pétaradante et moi en BMW 1100R. Il avait voulu nous suivre dans son beau cabriolet qu'il emmenait avec bonheur sur des chemins d'habitude réservés aux 4X4. Mais Georges n'était pas un homme d'habitude. Il voulait savourer la vie et résister à toute tentative de réduire sa mobilité. La maladie lui suffisait. Lors de ce minitrip, on a savouré, on a ri, on a bu et bien mangé. Et lui se ménageait en retrait des moments de silence, d'observation, d'écoute. C'est la première chose que j'ai apprise avec Georges, la pub n'est pas un fruit de la réflexion, ni du travail acharné, ni de la rationalisation, c'est le fruit de la pensée. Une pensée nourrie de réalités. Hélas, les écoles produisent des cadres et employés perclus de rationalité, de plus en plus étanches à la créativité et à la pensée. C'est bien dommage. 

La dernière fois que j'ai revu Georges, il avait quitté la pub depuis longtemps et conseillait les entreprises en leur sein. Il a révélé à ceux qui étaient autour de la table, qu'une fois qu'on quitte la pub et qu'on passe de l'autre côté, on se rend compte à quel point la publicité n'a qu'un poids très relatif dans la vie et l'avenir d'une entreprise. À la tête de start-up à ce moment-là, en pleine crise de 2008, j'ai fait exactement la même découverte. Et pourtant, j'ai la faiblesse de croire que la pub qu'il confectionnait et affectionnait est encore utile et qu'elle serait plus nécessaire encore, aujourd'hui qu'hier. Parce que cette pub a une vocation universelle, elle part de l'essentiel dans le produit et se connecte à l'essentiel dans la vie du public. Les médias la feraient bien parvenir à la bonne cible, mais le message doit pouvoir s'adresser à tout le monde. Et ainsi, la peinture Levis devenait de l'inspiration déco et la campagne Spa nous invitait à rester comme nous étions pendant que des vaches nous rappelaient que rire c'est ce qu'il y a de mieux pour la santé. 
 

J'ai la faiblesse de croire que les salariés qui travaillaient pour les annonceurs de Troost ou Lowe, peu importe le nom, finissaient par être fiers de leur boîte. La pub et son image rejaillissaient sur eux. Aujourd'hui, les burn-out et bore-out en entreprise se propagent de plus en plus vite et peut-être est-ce par manque de partage d'une vision d'entreprise qui se prend le public à témoin. Non, vous diront les experts, les RH et le team-building feront l'affaire. Mon oeil ! Du temps de Georges, une annonce RH de recrutement pour BIC était écrite au BIC et reproduite telle qu'elle. Non seulement on allait à l'essentiel, mais on se battait pour la cohérence. C'est fini ce temps-là. Tant pis, l'humain a fini éclaté en citoyen et consommateur valorisé et hypersollicité d'une part et en travailleur sous-valorisé, sous-sollicité et hyperspécialisé d'autre part. 
 

Où sont les publicitaires de la trempe de Georges, aujourd'hui ? S'ils n'ont pas pris leur retraite, ils bossent dans un monde où tout est affaire de communication. Dans ce monde-là, comme tout est communication, tout est égal à tout, nous dit l'algèbre. Et tout le monde est donc devenu expert en tout, les réseaux sociaux nous en font la démonstration tous les jours que ce soit pour les crises climatiques, sanitaires, économiques, politiques ou la crise de la communication.  Pour cette dernière, nous avons perdu un référent. Un homme pour qui la communication était le levier pour créer du commun, pour créer un monde commun contre les identitaires, les radicaux, les concurrents des valeurs humanistes et/ou de l'entreprise qu'il servait. Un homme qui pensait son métier et la société. Un homme qui dirigeait une agence comme une société de service et non de serviles. 
 

Merci Georges. 
Najad Jonas-Menouar
Tu m'as accueillie, tu m'as fait grandir, tu m'as fait rire, tu m'as tant appris ."Reste comme tu es", disais-tu. Tu ne croyais pas si bien dire...Tu resteras dans nos coeurs. Nous n'oublierons ni ton talent, ni ton humour, ni ton humanité. Au revoir, Mon Cher Georges, Repose en paix. 
Christophe Ghewy
Le rêve : avoir toujours un George dans les parages pour vous conseiller.

Lorsque nous avons lancé Libens, Ghewy & Fauconnier - le vrai nom de notre petite agence, que Josephine Overeem eut l'idée d'abréger en LG&F -, Luc Libens et moi nous sommes sentis un peu abandonnés au début. 

Nous n'avions plus Georges à nos côtés. 

Notre parrain de la publicité, cet homme distingué en pull à col roulé (les rares fois où il s'habillait décontracté) qui demandait à Najad, installé dans le bureau voisin, d'apporter trois Coca-Cola. D'habitude, il buvait plutôt du café, mais il savait aussi apprécier un Coca-Cola glacé bu à même la bouteille qu'à l'époque déjà, il portait à sa bouche d'une main crispée. Il avait le même âge que mon père, à un mois près. Et tout comme mon père, Georges prenait grand soin de cultiver son enfant intérieur. Pas en sautant sur les tables avec des sneakers dernier cri, en criant « Putaaaaain ! » ou en jetant des objets contre les murs à la manière d'une vedette de rock. Non, Georges n'aurait jamais agi de la sorte, car il avait du style.

On percevait quelque chose de cet enfant intérieur dans son sourire narquois. Et dans la joie qu'il éprouvait au contact de la beauté, tant des objets que des idées. C'est peut-être cela qui le rendait si différent. Georges s'intéressait plus aux belles idées qu'aux bonnes idées.

Bref, chez Libens, Ghewy et Fauconnier, nous n'avions plus notre Georges. 
Comment pouvions-nous, unique team créatif dans notre petite agence de trois personnes, être sûrs que nous tenions une « belle » idée ?

Finalement, nous avons décidé d'imprimer un Georges grandeur nature. Toutes ces feuilles A4 joliment assemblées et collées sur un énorme cadapack, placé sur le plus grand chevalet que nous ayons pu emporter de chez Lowe Troost, et voilà Georges qui trônait, splendide, dans notre bureau.

Il nous a mis sur la bonne voie.
Véronique Hermans
Georges avait un don. Celui d'associer les mots pour trouver la formulation unique qui semblait être née pour la marque. C'était un visionnaire qui a su créer de véritables territoires de communication comme on n'en voit plus. Il avait aussi et c'est important de nos jours, le respect du métier.
Ine de Behr
Il y a 50 ans, je faisais mes premiers pas en tant que copywriter stagiaire chez Colett Dickinson and Pierce (CDP). Georges était là aussi. Dans les années 90, l'âge d'or de la publicité, c'est lui qui m'a fait entrer chez Troost. Les souvenirs et les émotions refont surface. Les campagnes grandioses. Les premiers festivals de Cannes. Les anecdotes. Les réunions historiques avec les clients. Mais qui s'en soucie encore de nos jours ? Pourtant, ce furent mes meilleures années en tant que copy. Comment aurait-il pu en être autrement : j'avais le meilleur maître. Son humour moqueur pouvait parfois blesser, mais il n'imposait jamais sa vision ou ses conseils. Plus tard, dans ma fonction de Rédactrice en chef chez MM, nos contacts sont devenus différents, plus professionnels, même si nous sommes toujours restés amis. Je ne l'ai pas beaucoup vu ces dernières années. Mon autre mentor publicitaire, André, me donnait parfois de ses nouvelles. Il y a quelques jours, j'ai dû soudain penser à lui. Je me console en me disant qu'à ce moment-là, il devait aussi penser à moi. 

Tu vas me manquer, Georges.

(photo Eric de Behr)

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