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L'art de la stratégie selon Sofie Verstreken (BBDO)

Vendredi 19 Mars 2021

L'art de la stratégie selon Sofie Verstreken (BBDO)

« La stratégie sans tactique est la route la plus lente vers la victoire. La tactique sans stratégie est le fracas annonciateur de la défaite », écrivait le général et stratège chinois Sun Tzu dans "L’art de la guerre". Si l’on veut ne pas courir à l’échec, il est donc essentiel de pouvoir compter sur un stratège chevronné. 

Dans cette série, nous interrogeons les membres de l’Expert Center Strategic Planning, alias Account Planning Group (APG) de l’ACC. Cette semaine, Sofie Verstreken nous parle avec passion de son métier.

Il n’existe pas vraiment de formation pour devenir stratège dans une agence. Comment vous êtes-vous retrouvée à ce poste de Chief Strategic Officer ?

Honnêtement, je n’ai jamais pensé que je deviendrais stratège, je ne savais même pas en quoi cela consistait. J’ai fait des études en communication à la KU Leuven, puis un postgraduat en marketing. Une fois mon diplôme en poche, j’ai commencé à travailler à la Vlerick Business School, où j’ai également effectué des recherches sur la gestion des marques. C’était l’emploi idéal pour débuter dans le secteur, j’y ai fait la connaissance de nombreux responsables marketing et j’ai suivi discrètement tous les cours. Quelques années plus tard, j’ai rencontré Fons Van Dyck, qui cherchait quelqu’un pour Think BBDO, et c’est comme cela que je suis entrée à l’agence. 

Ensuite, j’ai rejoint l’équipe stratégique de BBDO. J’y ai travaillé pendant cinq ans comme stratège dans l’équipe de Dirk Peremans, que je considère comme l’un de mes mentors, avec Fons bien entendu. Aujourd’hui, je dirige le département stratégique The Distillery en tandem avec Franky Willekens. Nous fonctionnons un peu comme un team créatif : je m’occupe du branding et du business, tandis qu'il suit les performances et les données. 

Je reste convaincue qu’il s’agit du plus beau métier au monde, parce que tout m’intéresse et que je suis très curieuse d’apprendre et de faire de nouvelles choses. En même temps, j’ai toujours combiné mon travail avec Scala, la chorale où j’ai commencé à chanter quand j’étais enfant. J’ai arrêté les tournées, ainsi que la gestion de leur marketing et de leurs relations publiques, mais combiner différentes activités, voilà ce qui me plaît. J’ai toujours eu du mal à choisir.

En quoi consiste votre mission exactement ?

Notre équipe part toujours d’un problème business déterminé. En tant que stratège de marque, je réfléchis à la manière de traduire celui-ci en insights consommateurs qui peuvent donner naissance à une idée créative forte. Le stratège de la performance, quant à lui, étudie comment cette idée créative peut ensuite déboucher sur des ventes, des prospects, du trafic, etc.

Dans le cas de Lidl, par exemple, le problème business se résumait à déterminer la façon de garantir la croissance de l’enseigne sur un marché saturé. La communication devait donc attirer un nouveau public : non seulement les consommateurs sensibles aux prix, mais aussi des familles avec un revenu plus élevé. Cette idée a été traduite dans la signature "Pour tous ceux qui comptent", à même de séduire ces deux cibles. 

Où le stratège puise-t-il son inspiration ?

L’inspiration se trouve partout et je me mets constamment au défi de trouver de nouvelles idées dans tout ce que je fais. Par exemple, je fais partie d’une équipe de cyclistes qui s’entraîne tous les dimanches : c’est là que j’entends vraiment ce qui se passe dans la vie quotidienne des gens. Il en va de même pour l’équipe de foot féminin où je joue : j’y découvre tout ce qui est source de frustration et d’indignation. C’est très inspirant.

En dehors de cela, je suis connue au bureau pour être la nana collante qui vient s’asseoir à côté de vous pendant la pause de midi pour vous poser toutes sortes de questions sur la façon dont vous faites vos courses. Même lorsque je sortais avec quelqu’un, je commençais à lui poser des questions de ce genre quand ce n’était pas le gros coup de foudre… Au moins, ce n’était pas une soirée de perdue ! Toute conversation est potentiellement intéressante.

J’écoute aussi beaucoup de podcasts sur le marketing quand je fais mon jogging. Cela me met dans un état d’esprit créatif et m’incite à penser plus vite. Le problème, c’est que je dois parfois m’arrêter pour noter certaines idées, ce qui ne me permet pas d’améliorer mes temps de course, mais bon.

Chez BBDO, nous avons également beaucoup investi dans la recherche, donc s’il nous vient une idée folle, nous pouvons demander aux stratèges data de la confronter aux données dont dispose l’agence.

En général, il suffit de croire qu’à un moment donné, on finira par trouver la bonne idée pour résoudre les problèmes qui nous ont été confiés. D’une manière ou d’une autre, ça marche toujours.

Y a-t-il des cas où vous pensez que l’apport de la stratégie a vraiment fait la différence ?

Il n’est pas facile d’en choisir un ou deux en particulier. Par exemple, je suis heureuse d’avoir contribué à jeter les bases du redressement de la marque Jupiler. D’une part, il y avait le défi de la marque : transformer efficacement le slogan légendaire "Les hommes savent pourquoi" en faisant en sorte que les hommes prennent la tête de l’évolution sociale souhaitée vers plus d’égalité et d’inclusion. En même temps, Jupiler avait un problème commercial : la catégorie de la bière blonde périclitait en raison du succès croissant des cocktails et du vin. Mais ce qu’il y a de bien avec la bière, c’est qu’elle crée une forme spontanée de convivialité qui inclut tout le monde : on sent moins les différences quand on prend une bière ensemble, et les sujets délicats sont plus faciles à aborder. Cela s’est traduit, entre autres, par le top topical "Pintje, Sam ?" qui a fait couler beaucoup d’encre. Nous voulions que Jupiler, en tant que leader du marché, joue un rôle dans cette évolution vers plus d’inclusivité. 

Nous cherchons souvent des insights qui obligent à quitter la zone de confort : nous voulons réveiller les gens en mettant le doigt sur ce qui ne va pas. Les campagnes ont plus d’impact quand tout le monde n’est pas forcément d’accord et que l’on remet en cause certaines idées reçues.

Quel est votre dada ? 

La réflexion à long terme sur les marques. Ce qui ne m’empêche pas de penser que la performance et la réflexion à court terme sont également importantes, surtout à notre époque de crise sanitaire. Mais il ne faut pas les confondre et il faut essayer de maintenir l’équilibre entre eux, ce qui demande des efforts constants. 

En outre, je ne suis pas du genre à taper du poing sur la table, mais j’essaie toujours de réunir des personnes complètement différentes et de trouver des compromis, en étant à l’écoute et en faisant preuve de curiosité. 

Quel rôle la culture populaire joue-t-elle pour un stratège ?

Un rôle très important. Beaucoup de phénomènes n’apparaissent pas au grand jour, mais se déroulent de façon imperceptible. Nous ignorons une grande partie des conversations qui s’engagent entre les gens. Il y a tellement de cultures différentes ! Je fais de mon mieux pour les sonder, mais cela n’a rien d’évident. 

Je trouve très stimulant de savoir que la grande majorité des personnes que nous voulons toucher sont très différentes de nous de par leurs origines, milieux et styles de vie. Nous devons par exemple nous intéresser davantage aux traditions en matière de musique ou de danse dans d’autres groupes sociaux. Ou nous immerger dans d’autres univers, comme celui des gamers. Les différences entre toutes ces communautés peuvent être si grandes que l’on a tout intérêt à plutôt chercher des ressemblances.

Sur ce point, nous devons continuer à nous challenger. C’est pourquoi l'Academy de BBDO organise des sessions d’inspiration sur toutes sortes de sujets, allant du marketing inclusif au branding sportif en passant par les communautés de gamers, pour n’en citer que quelques-uns.

Quelles sont les qualités indispensables à tout bon stratège ?

En plus de l’expertise ? Un bon stratège doit déborder d’énergie et d’enthousiasme, avoir un esprit ouvert, une curiosité aiguisée, prêter une oreille attentive et avoir le désir de creuser les questions. Il doit connaître à fond le secteur, ses clients et les études. Grâce à ce bagage, il sera capable de placer toutes les pièces du puzzle au bon endroit. 

Un dernier conseil ? 

Il faut oser exploiter des sources atypiques. Sortir dans la rue et parler aux gens. Les stratèges ne peuvent plus rester enfermées au bureau ! 

Lors du premier confinement, vous avez réalisé une série d’interviews passionnantes pour notre newsletter. La précision avec laquelle vous êtes parvenue à formuler les réflexions de vos invités était remarquable. Ce talent pour la formulation est-il également important pour un stratège ?

Les stratèges - moi la première - ont souvent du mal à exprimer leurs idées de façon exacte et concise. Croyez-moi, ce n’est vraiment pas facile de convertir ce qui nous passe par la tête en un discours compréhensible. Parfois, cela prend énormément de temps. 
 

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