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Le sida n'a pas tué le sexe. Le Covid-19 ne tuera pas les câlins, par Danny Devriendt (MD, IPG/Dynamics)

Jeudi 18 Mars 2021

Le sida n'a pas tué le sexe. Le Covid-19 ne tuera pas les câlins, par Danny Devriendt (MD, IPG/Dynamics)

Peut-on prendre une minute pour parler de la Dr. Mayim Chaya Bialik ? Vous la connaissez peut-être comme la neuroscientifique Amy Farrah Fowler, qui conquiert le cœur de Sheldon dans "The Big Bang Theory". Elle était tellement belle que la production de la série a décidé de lui donner un style vestimentaire plus désuet, pour en faire un personnage académique plausible. Parce que bon, apparemment, les belles femmes ne peuvent pas avoir de neurones. *Soupir*. En réalité, Mayim Bialik détient un doctorat en neurosciences, avec une thèse réalisée sur l’activité hypothalamique. 

La voir aujourd’hui débattre avec le professeur Yuval Noah Harari, historien, auteur à succès et considéré comme l’un des intellectuels publics les plus influents au monde, a ravi mon cerveau. Dans un monde où la moitié des internautes trouvent des arguments pour expliquer une Terre plate sur YouTube, et un autre tiers pense que Bill Gates a l’intention d’injecter un nanobot contrôlé par la 5G dans notre système sanguin, contempler deux adultes consentants engagés dans un parler-vrai sapiosexuel est rassurant.

Chasse aux sorcières

Harari, même sur un ton des plus arides, manipule les mots comme le Sorceleur manie son épée : c’est précis, efficace, implacable. L’information tue. La presse écrite, premier média de masse, au travers de livres catholiques imprimés noir sur blanc, a étiqueté les femmes intelligentes comme étant des "sorcières". Elles partageraient la couche du diable et transformeraient de bonnes personnes en grenouilles : ce genre de joyeusetés. Les hommes, qui se sentaient déjà menacés par les femmes pleines de réflexion, ont trouvé dans ces livres leur permis de tuer : des milliers de femmes et filles innocentes ont été torturées, brûlées ou noyées. Parce que c’était écrit dans le livre. 

Le parallèle avec la chasse aux sorcières menée contre les virologues, épidémiologistes et immunologistes a de quoi effrayer : un deuxième média de masse (internet) les stigmatise progressivement comme étant « l’ennemi », « l’État profond », « à la solde du pourcent des puissants », « adeptes de la dépopulation du monde ». Des informations avec le potentiel pour tuer. Parce que c’est écrit sur le Web.

Il y a quelques semaines, des milliers de personnes ont envahi le Capitole, parce que l’Homme de la Maison l’a dit… et ceux qui l’ont contredit, les médias, étaient les « ennemis de l’État » : fake news. Un récit bien ficelé et bien véhiculé pendant des années amadoue les masses.

Ça n’a pas besoin d’être vrai

Bialik intervient alors pour souligner la manière dont nous sommes programmés, d’un point de vue neuroscientifique, pour réagir aux récits. Les histoires nous connectent pour croire, faire, ressentir, agir. Les histoires nous font comprendre, nous rassurent. Les histoires ont un début, et une fin. L’innovation fait qu’en changeant le scénario, vous changez la fin. Ça dérange notre programmation profonde, en tant qu’humain. On va résister. Si Dieu nous a créés et placés au milieu de l’univers, alors une histoire qui place le soleil au centre va susciter de l’incrédulité, de la colère et de la violence.

Puis Harari note une réalité qui fait froid dans le dos : l’histoire n’a pas besoin d’être vraie. La vérité n’importe pas, le scénario bien. Trouvez l’histoire plus facile à croire, et ça deviendra la vérité. L’histoire mieux racontée prend le dessus sur les preuves scientifiques. Encore et toujours. Il suffit de voir les religions, les théories du complot, les sectes, la manière dont les guerres ont débuté… Tenter de déceler la vérité à l’aide de faits et de science est louable, mais très inefficace. Les quelques personnes ayant les bons acquis pour indiquer la vérité, ont rarement les compétences narratives pour rendre cette vérité attrayante.

Nous avons peur du changement

Le débat a montré comment l’introduction de presque n’importe quelle technologie transformative a certes suscité de l’émerveillement, mais aussi de la peur, de l’agressivité et du rejet. Nos plus grands inventeurs ont été considérés comme des hérétiques. Le scientifique fou est d’ailleurs imprimé dans nos circuits neuronaux dès notre tendre enfance. La nouveauté nous effraie encore. Nous avons peur du changement.

L’impasse des médias

Alors que pendant longtemps, les journalistes des médias traditionnels ont joué le rôle d’éclaireurs dans les eaux troubles entre désinformation et vérité, ils semblent aujourd’hui avoir perdu de leur aura. Le quatrième pouvoir a perdu son allant. Il faut dire que le journalisme d’investigation logique ne donne pas super bien, en version storytelling. Des gamins avec un QI combiné loin de dépasser la centaine mais armés d’un caméscope 4K et d’une chaîne YouTube racontent des histoires bien meilleures et bien plus captivantes. Un nombre effrayant de personnes ne sont pas capables (ou pas enclines) de comprendre les arguments de base qui servent à étayer une théorie. « Les journalistes sont maintenant dans l’impasse, tout occupés qu’ils sont à argumenter à propos de faits établis de base, plutôt que de faire avancer les choses. Ça empêche les vraies conversations… Mais au lieu de ça, on gaspille sa salive à envisager si oui ou non la Terre est ronde », a déploré le reporter Ben Collins.

L’éthique devrait primer

Harari et Bialik ont rappelé que n’importe quel médecin doit passer des tests visant à évaluer ses compétences éthiques, avant de pouvoir décrocher son diplôme. Un médecin prête aussi le serment d’Hippocrate. Tout comme les juges. Et le reste d’entre nous ?

Quel est l’incroyable pouvoir des enseignants ? Et qu’en est-il de l’immense puissance - et responsabilité - des codeurs qui ont bâti ces plateformes prévues pour nous transmettre les informations ? Et les personnes qui véhiculent les informations ? Les entreprises et marques qui paient pour les actualités ? Les conseillers enrobeurs de communication qui créent les récits politiques et de marques ? Les magiciens de la communication et des médias avec toute leur machinerie programmée pour rouler aux données et pilotée par une intelligence artificielle ?

N’est-il pas temps que tout ce petit monde prenne des cours d’éthique ? Qu’ils passent un examen d’éthique ? Ou prêtent un serment qui a un sens ? Ne devrait-on pas commencer à œuvrer à une société avec l’éthique comme paramètre par défaut ?

Ensemble pour faire front

Comment faire en sorte que les innovateurs, législateurs, codeurs, architectes des données, communicants et éducateurs prennent en compte ces facteurs éthiques et réalisent leur incroyable responsabilité au moment d’assurer des résultats qui mènent à l’amélioration pour la population et la planète ?

À la fin, la vérité triomphe toujours. Comme l’huile dans l’eau, elle remontera à la surface. Le sida n’a pas tué le sexe. Le Covid-19 ne tuera pas les câlins. On va s’en sortir. La science va nous sauver, une fois de plus.

Mais la meilleure des histoires, placée dans des mains non préparées ou avec les mauvaises intentions, pourrait coûter bien plus qu’une pandémie à l’humanité.

Et vous, vous êtes la première ligne de défense. Je vais faire ma part du boulot. Je vais parler à ma fille de cinq ans de la Dr. Mayim Chaya Bialik.

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