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INTELLIGENCE

Kantar Global Business Compass : Zoom sur le triptyque purpose, shared value et meaningful

Vendredi 18 Décembre 2020

Kantar Global Business Compass : Zoom sur le triptyque purpose, shared value et meaningful

Au cours des derniers mois, Kantar a sondé quelque 4.500 entreprises de 70 pays, dont 70 en Belgique, sur l'impact du Covid-19, les mesures prises pour s'adapter et leurs plans visant à surmonter la crise. Premier constat de ce Global Business Compass : alors que 80% confirment avoir été impactées négativement, 40% estiment que la crise a (également) eu des aspects positifs, et notamment un changement de cap ou des investissements en marketing, innovation et e-commerce.
 
Au-delà de mesures évidentes visant à limiter l'ensemble des coûts, trois axes de développement se dessinent sur la voie de la reprise. Au niveau de leur fonctionnement tout d'abord, Kantar évoque une remise à plat et un ajustement de la stratégie et du modèle opérationnel. Au niveau de la transformation numérique ensuite, avec un accès optimisé et plus rapide aux données, à l'e-commerce et au customer journey (davantage) numérique. Enfin au niveau du "purpose", l'institut note l'importance d'une différentiation pertinente qui apporte une aide concrète non seulement pour les consommateurs, mais aussi pour les collaborateurs et la société, associée à une communication efficace.
 
« Tout comme dans la théorie de l'évolution, la question n'est pas d'être le plus grand ou le plus fort, mais d'être le plus résilient et le plus flexible. Les entreprises doivent donc s'adapter à l'évolution des besoins des consommateurs et continuer à développer leur marque et leur communication sur cette base, ce que les plus forts font aujourd'hui déjà. L'innovation, le marketing et l'e-commerce apparaissent à cet égard comme des outils essentiels et puissants. Les évolutions démontrent l'importance du purpose et la nécessité de communiquer sur ce thème », note Maria Darmi, CEO de Kantar Belgium.

Nous l'avons rencontrée, aux côtés de Corinne Mostaert, Client Partner chez Kantar. Et tant qu'à parler de purpose, nous avons également convié Alain Mayné, Director Strategic Planning chez Hoet & Hoet et l'une des chevilles ouvrières du Meaningful Marketing Framework de BAM.

Vous l'évoquez dans le rapport de l'étude, on constate plusieurs paradoxes dans la manière dont les entreprises belges appréhendent la crise actuelle : si la majorité des répondants estiment nécessaire une adaptation de leurs stratégies, ces mêmes entreprises se concentrent sur des changements plutôt organisationnels et structurels. Cela traduit-il un manque de vision ? 
Maria Darmi : Il faut d'abord se rendre compte que l'émergence de cette crise sanitaire a été un véritable choc pour tout le monde. Beaucoup d'efforts ont été entrepris localement pour protéger le business et les finances, mais aussi pour protéger les gens.

On constate d'ailleurs que la société belge, les entreprises belges sont beaucoup plus centrées sur les gens que d'autres... 
En même temps, les entreprises n'étaient pas vraiment bien préparées à une crise aussi soudaine. Elles se sont fait surprendre et ont été contraintes de se mettre en mode défensif plutôt que d'essayer d'améliorer leur management de crise.  

Ce constat vaut aussi pour les autres marchés étudiés ?
 

Dans d'autres pays, la technologie, au moins pour les grandes entreprises, était plus présente et la transformation digitale avait déjà eu lieu. Pas mal d'entreprises européennes avaient anticipé et jeté les bases de profondes restructurations à venir, simplement parce qu'elles avaient pris en compte depuis un moment que faire de la croissance n'était pas chose facile. 
 Toutes les tendances qui se cristallisent aujourd'hui ne sont pas apparues aussi soudainement que le Covid. La plupart se dessinaient avant cette crise, elles ont simplement pris de l'ampleur. Et sans doute pas mal d'entreprises belges n'étaient-elles pas suffisamment préparées. Par exemple, beaucoup ne possédaient pas totalement la base nécessaire au développement de leurs capacités en e-commerce. Même la grande distribution, où l'e-commerce avait déjà pris une dimension importante, n'était pas totalement équipée pour une telle disruption.  

Vous déclarez que cette crise est une opportunité...
 

Effectivement. L'opportunité, c'est de pouvoir accélérer la transformation. On constate à quel point la technologie apporte des solutions et permet aux entreprises d'adapter leur manière de travailler. Elle était déjà très importante dans le passé, mais cette crise a cristallisé la place qu'elle occupe dans la vie des gens, que ce soit au travail et dans leur sphère privée. 

Sachant que nous entrons une période de récession qui s'annonce longue et anxiogène, quels conseils donneriez-vous aux entreprises et aux marques pour passer le cap sans trop de dégâts ?
Corinne Mostaert : Les entreprises dont l'impact est positif sont celles qui ont implémenté des changements dans la façon dont elles gèrent le business et la façon dont elles innovent. Et parmi celles-ci, 49% ont investi dans l'innovation et dans le marketing. Clairement, on progresse en s'efforçant de comprendre les changements chez les clients, les citoyens, en s'efforçant de discerner ce qui impacte les tendances futures, d'agir en conséquence et en s'adaptant. 
Maria Darmi : Ce qui aussi beaucoup évolué durant cette crise, c'est la coopération entre entreprises et la manière dont elles l'activent. Dans le passé beaucoup d'entreprises ont essayé d'élargir leur champ d'activité, mais elles ont vite réalisé qu'elles n'en avaient pas les capacités, ou qu'elles n'avaient pas le modèle économique leur permettant d'étendre leurs activités au-delà de leur territoire de marque, au-delà de leur industrie. D'où la recrudescence de ces collaborations entre entreprises aux activités parallèles. 

On peut citer comme exemple la collaboration entre Spotify et Uber, qui a permis aux deux entreprises d'élargir leur empreinte, celui d'Amazon qui collabore avec une société fabriquant des consignes automatiques où peuvent être déposés les colis. Plus près chez nous, tout le monde a en mémoire l'association entre Delhaize et Decathlon lors du premier confinement... Ce type de collaboration permet d'apporter quelque chose de positif à la société ou plus simplement des nouveaux services qui améliorent l'expérience client. 

Pour ce faire, elles doivent créer ce que nous appelons des écosystèmes ou des shared values. Ce que le coronavirus a initié, c'est la nécessité de se rapprocher afin d'apporter des solutions pratiques, de rendre des choses possibles. 

En lien avec l'objectif ?

Avant la crise, je dirais que c'était lié à un objectif. Pendant la crise, c'est une nécessité, et le purpose doit bien sûr jouer un rôle dans tout cela. L'idée est d'abord d'apporter des solutions pratiques et mieux servir la société.

L'étude confirme en effet que le purpose devient crucial mais qu'une minorité d'entreprises semblent être prêtes à ce changement... Partant du Meaningful Marketing Framework qui est devenu en quelque sorte l'USP de BAM, comment peut-on concrètement faire percoler cette vision au sein des entreprises ?
Alain Mayné : Beaucoup de gens sont plus meaningful qu'ils ne le pensent. Chez Hoet & Hoet, nous travaillons depuis longtemps sur le purpose des entreprises. Souvent, l'exercice consiste à leur faire comprendre ce qui est déjà meaningful dans leur ADN, dans leur opérationnel, et à l'amplifier. La question n'est plus de savoir s'il faut ou non transformer l'économie, la relier au sociétal. Avant la crise, notre meaningful framework suscitait un intérêt relatif alors qu'aujourd'hui, tout le monde nous demande : « Comment doit-on procéder ? » 
La réponse se trouve dans la recherche du purpose, bien sûr, mais aussi dans le fait de développer une activité liée à des shared values, une activité qui ne se limite pas à des KPI liés à la valeur financière ou au profit financier. Le capitalisme doit se réinventer. Il n'est pas fondamentalement mauvais, mais il a été beaucoup trop loin. Le profit reste essentiel, la croissance est nécessaire, mais elle ne doit pas nécessairement être complètement folle, basée sur toujours plus de produits ou de services et le pillage des ressources naturelles. Nous avons besoin d'une croissance équilibrée. On peut évoquer l'exemple du Bouthan et son concept du Bonheur National Brut... De telles idées existent depuis longtemps et on peut s'en inspirer dans l'entreprise. 

Je pense à l'intervention d'Eric Hollander lors du congrès de BAM : « Surtout, rêvez haut », disait-il en substance. Il a 100 fois raison, mais pour plein d'entreprises, cela met la barre trop haut, parce que cela prend trop de temps, trop d'investissements... On peut commencer par de petites choses, en se demandant en quoi l'entreprise sert la société. Penser à ce qu'on offre à ses clients rapproche très facilement du purpose, sans vraiment devoir construire une usine à gaz intellectuelle.

Maria Darmi : Le purpose devient fondamental, et la notion de shared value l'est tout autant. C'est ainsi que des entreprises très compétitives se sont unies dans le secteur médical afin de pouvoir fournir un vaccin avec une rapidité jamais vue dans l'histoire. Cette approche collaborative est aussi un mécanisme de survie. Au plus vous collaborez au plus vous trouvez des manières d'apporter des solutions ou de façons de survivre. Même dans la nature, les espèces qui survivent sont celles qui collaborent.

La crise a également montré qu'il y a une évolution dans la manière dont les entreprises envisagent la responsabilité corporate. Jusqu'ici, c'était davantage un mécanisme de RP. Désormais, cette responsabilité doit réellement faire partie de la vie quotidienne d'un produit et d'une marque. Il est essentiel d'apporter des solutions pratiques à court terme, au-delà de vagues promesses sur l'environnement. Cela doit être également en lien avec la société dans laquelle nous vivons. Les gens doivent pouvoir constater que des actions sont entreprises, qu'elles sont utiles et qu'elles fonctionnent.

Alain Mayné : Les shared values peuvent être créées à très petite et à très grande échelle. Au congrès de BAM, nous illustrons la démarche du Meaningful Marketing Framework au travers de deux exemples. Le premier est celui de la marque de sneakers Veja. Cette marque a été créée en 2003 par deux hommes qui voulaient innover positivement, ils vendent aujourd'hui deux millions de paires de baskets sans budget marketing et communication. Simplement parce que leur démarche a du sens. 
Le second est celui de BeeOdiversity, société cliente de Hoet & Hoet, créée par un professeur de la faculté d'agronomie de Gembloux et un avocat, qui propose des programmes de restauration de la biodiversité. Ils ont fait cela pour la ville de Knokke, pour Spadel qui possède des milliers d'hectares, et pour beaucoup d'autres. Pour eux, la difficulté était de se positionner correctement, entre l'ASBL qui fait du bien à la planète et la société commerciale qui fait du business sur cette dimension. Nous les avons aidés à se repositionner et aujourd'hui, en montrant concrètement qu'on peut régénérer la biodiversité, faire du bien à la planète, ils créent des valeurs tout en faisant du profit. 

A l'autre bout de l'échelle, il y a One Planet Business for Biodiversity (OP2B), où l'on retrouve les 20 plus grands acteurs mondiaux de l'agritec. Ils ont créé un programme pour restaurer la biodiversité via leur portefeuille de marques. Leur pouvoir de levier est énorme. Ils sont entendus à l'ONU, ils font bouger les lignes. 
C'est la théorie de Michael Porter, qui a créé le concept de shared value en 2011 : s'appuyer sur le levier économique que représente le monde de l'entreprise pour résoudre les problèmes de la société, créer de la valeur économique en créant de la valeur sociétale. 
Corinne Mostaert : Une autre dimension importante est celle de l'authenticité. On peut notamment citer l'exemple d'Ikea et de l'économie circulaire. C'est complètement intégré dans leur ADN, et du coup, ils sont crédibles. Ils disposent de l'expertise et des moyens d'action.

Maria Darmi : Le plus grand défi pour les marques, c'est de faire coïncider au mieux l'objectif et l'ADN de la marque. Il est très facile pour les marques de parler de leur contribution à la résolution des grands problèmes de la planète, mais comment s'assurer que l'identité de la marque soit traduite en objectifs ? Ou que les objectifs soient connectés à cette identité ? 

Alain Mayné : Les marques qui résisteront le mieux à la crise - l'étude de Kantar le montre à l'envi - seront celles qui innoveront et qui délivreront du sens. Celles qui ne se contentent pas de parler mais qui agissent. 

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