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Emmanuel Hollander, le H de HHD, par Fred Bouchar (MM)

Vendredi 4 Septembre 2020

Emmanuel Hollander, le H de HHD, par Fred Bouchar (MM)

La pub n'a pas de mémoire, elle n'est que respirations. Son histoire m'a en partie été contée par Emmanuel Hollander. Je l'appelais Monsieur Hollander ; il me donnait du Fred, en me vouvoyant. J'ai fait sa connaissance à la fin des années '80, il venait de se ranger des voitures, dix ans après avoir revendu son agence à Ogilvy. « Je suis passé de l'autre côté de la montagne », m'avait-il dit lors d'une de nos premières rencontres. Il s'était approprié la dernière page de MM avec sa chronique "Mon Mois" qu'il nous livrait personnellement sur disquette et qu'il m'incitait à lire immédiatement, pour connaître mon avis. 
 
Jeune journaliste débarquant dans le secteur, j'étais terriblement flatté par cette attention, impressionné aussi par cet homme dont l'initiale frontonnait sur l'enseigne de l'une des premières agences du pays et qui semblait connaître personnellement toutes les figures légendaires de la pub… En découvrant Mad Men, j'ai souvent pensé à lui au travers du personnage de Bertram Cooper, le sage un peu excentrique de Sterling Cooper. A vrai dire, je ne connaissais pas grand-chose de sa carrière à l'époque, je savais qu'il ne s'était pas fait que des amis, mais je m'en foutais un peu. Je l'appréciais vraiment, et j'appréciais sa prose, j'apprenais à son contact.
 
Le plus souvent, il venait de Linkebeek en vélo nous rendre visite dans nos bureaux de la rue de Stalle, où il aimait papillonner avec Annick, ma rédac' chef de l'époque, et Cécile, ma collègue journaliste ; il aimait aussi zieuter l'aéropage de jeunes commerciales qui peuplait le plateau de l'Evénement… Plus tard, il m'invita souvent à déjeuner, chez lui ou dans un petit resto italien à Uccle à deux pas du CAD. Il pouvait parler du métier des heures durant, de littérature aussi. C’était un homme cultivé. J'aimais bien. 
 
Cette routine allait longtemps perdurer, jusqu'au jour où il m'annonça qu'il était temps de passer le flambeau de chroniqueur à quelqu'un de plus jeune dans le secteur. Non sans regret. Emmanuel Hollander était viscéralement attaché à la presse. Et MM lui permettait sans doute de renouer avec ses amours de jeunesse. Lui qui fit ses débuts très jeune dans le journalisme, après la guerre, à L'Indépendance, à L'Eclair et au Peuple qu'il qualifiera de "presse bourgeoise" et qu'il quittera à 19 ans. 
 
Ne dites pas à ma mère que je suis communiste…
 
Cette nuit, en écrivant ces lignes, j'ai retrouvé un article assez incroyable d'Eve-Marie Vaes dans Le Soir où Emmanuel Hollander explique qu'il ne se sentait pas particulièrement à l'aise par rapport à la ligne politique du journal. Sympathisant du communisme, il voyait dans l'impérialisme américain, le principal danger en ce début de guerre froide : « J'ai un jour envoyé au panier un article qui me déplaisait en raison de sa tonalité atlantiste, très pro-américaine... et c'est moi qui ai été jeté, après quelques mois seulement. Si je n'avais pas eu de telles opinions politiques, je serais sans doute resté journaliste. »
 
Après son service dans la marine, au début des années 50, il tombe sur une annonce pour un job de copy chez Lintas, qui était alors l'agence interne de Lever. « Fini le temps des deux articles par jour ; ici, on nous donnait une semaine pour pondre cinq lignes sur une barquette de margarine... Sans compter qu'on avait fini à 16h30. Jamais dix minutes de plus ! Je me suis beaucoup ennuyé chez Lintas. » 
 
Il tient trois ans, avant de partir voyager en Afrique. A son retour, il rejoint Thompson, et c'est là qu'il prend vraiment goût à la pub. Il passe ensuite quelques années en France, chez Elvinger, et revient à Bruxelles pour créer sa propre agence avec Jacques Deneef en 1961. L'un de ses premiers gros coups sera le budget Renault. La machine est lancée : l’agence grandit, Hollander Deneef fusionne avec l’Office Technique de Publicité de Houwaert pour devenir HHD, elle s'étend en France et aux Pays-Bas avant de se faire racheter par Ogilvy. C'est là, chez HHD Ogilvy & Mather, qu'Emmanuel Hollander terminera sa carrière. Il se retire en 1988, un an avant l'OPA de Sorrell. 
 
En plein confinement, il avait perdu son épouse tant aimée. Ce jour-là, son fils Eric m’avait déjà prévenu : « Il ne va pas s’en remettre », et jeudi, son SMS est tombé à 21h30 : « Mon père nous a quittés à midi. Un départ choisi : à 92 ans, après près de 70 ans de vie commune avec ma mère, Manu trouvait que la vie sans elle n’avait pas beaucoup de sens. Ça, des douleurs physiques insoutenables et une difficulté de plus en plus grande pour lire ont fini de le convaincre. »
 
Au revoir Monsieur Hollander.
 
Toutes nos pensées vont à Eric, sa famille, ses proches.

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