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INTELLIGENCE

Olivier Tjon et Nathan Axford (Beyond Reason) : Le neuromarketing en temps de crise

Samedi 20 Juin 2020

Olivier Tjon et Nathan Axford (Beyond Reason) : Le neuromarketing en temps de crise

Beyond Reason est une start-up anglo-belge de conseil en neuromarketing. Ses deux dirigeants, Olivier Tjon et Nathan Axford, nous livrent leurs observations récentes sur la longue parenthèse Covid dans une interview avec Wim Demyttenaere.
 
Vous avez maintenu vos activités pendant le confinement ?
 
Depuis le début du confinement, notre recherche en neuromarketing a collecté plus de 3 millions de réponses de consommateurs. Leur analyse nous permet de comprendre comment cette crise affecte la psyché des consommateurs en Europe, en Chine, au Moyen-Orient et sur le continent américain. Cela aide nos clients à garder le cap dans cette tempête, tant sur le plan mondial, européen ou local.
 
Comment les grandes marques réagissent-elles à la crise ?
 
Nous avons identifié quatre types de réponses de la part de nos clients. Tout d’abord il y a ceux qui paniquent : « Si l'argent ne rentre pas, on ne dépense plus ». Puis, il y a la catégorie de ceux qui pratiquent la politique de l'autruche : « On continue comme avant, en faisant comme si rien n’était. », « Prenez la route au volant de notre nouveau SUV, car la vie est une grande aventure ! » Un peu bizarre, non ?
 
Le troisième type, c’est celui des opportunistes. Les marques qui profitent de l’actualité pour délivrer des messages genre top topical, comme à Noël ou à Pâques : « Restez chez vous ; achetez une grande télé. » Les résultats de nos études indiquent que les gens n’aiment guère.
 
Le quatrième type de réponse possible consiste en une adaptation rapide, mais réfléchie. C’est fort ! Parce que, dans la période chaotique que nous connaissons, il faut autant de courage que de souplesse pour comprendre et accepter que l’état d’esprit et les attentes des consommateurs ont changé. Nous considérons qu'il est de notre devoir d'aider les marques à le faire, en utilisant les méthodes de recherche les plus avancées.
 
Comment gérez-vous cela ?
 
On peut considérer chaque achat comme un échange d'argent visant à réaliser deux objectifs. Le premier est purement fonctionnel : « Je paie pour une nouvelle voiture pour qu'elle me conduise d'un point A à un point B ». Le deuxième est psychologique : « Je suis prêt à payer pour ce SUV pour affirmer mon assertivité ».
 
Ces deux objectifs dépendent du contexte ; ils varient selon qu’il s’agisse d’une boîte de soupe ou d’un service de télécom. Mais tous deux sont relativement stables ; les profils de motivation psychologique ne changent pas rapidement. Cela dit, des événements d’envergure tels que les guerres, les progrès technologiques et les "transformations" sociologiques peuvent changer la donne. Cela vaut aussi pour cette pandémie.
 
C'est logique. C'est la première et, espérons-le, la dernière fois que nous sommes confrontés à une situation qui menace potentiellement la vie de tant de nos concitoyens. Notre existence qui nous semblait si sûre, si dénuée de risques, appartient au passé du jour au lendemain. Il est donc compréhensible que cela change à bien des égards notre relation à notre environnement et donc, notre relation aux marques qui nous entourent.
 
Vous avez évoqué les objectifs fonctionnels et psychologiques. Ces objectifs psychologiques sont-ils les mêmes que les émotions ?
 
Pas exactement. Si votre voiture ne démarre pas, vous allez vous mettre en colère. Cette forte émotion négative est une réaction automatique, engendrée par la perturbation d'un objectif fonctionnel. Les émotions sont donc une sorte d’épiphénomène de la frustration de ou d’avoir atteint ses objectifs, tant fonctionnels que psychologiques, dans un contexte donné. Une fois que vous saisissez ce mécanisme en tant que spécialiste du marketing, vous comprenez combien il est important de définir de façon précise les objectifs que les gens se fixent lorsqu'ils envisagent un achat dans votre segment, qu'ils soient fonctionnels ou, surtout, psychologiques.
 
Les spécialistes du marketing savent que les consommateurs sont attirés par une marque pour des raisons tangibles et intangibles. Quelle est la valeur ajoutée des neurosciences sur ce plan ?
 
C’est un peu comme les médecins à l’époque où les rayons X n’existaient pas. Ces médecins étaient-ils plus mauvais qu'ils ne le sont aujourd'hui ? Non, bien sûr, mais grâce à l'avènement d'équipements qui permettent de meilleurs diagnostics, ils peuvent désormais diminuer de nombreux risques et augmenter le taux de réussite de leur traitement.
 
Les méthodes de neuromarketing fonctionnent de la même manière : elles nous montrent ce qui n'est pas visible. Ainsi, pour la première fois, nous pouvons clairement voir et mesurer ce qui se passe dans le cerveau et quels éléments ont une influence forte ou faible sur les décisions d'achat. C'est le mérite du neuromarketing.
 
Comment les marques peuvent-elles améliorer leurs actions marketing pendant cette crise ?
 
La dernière chose que les gens veulent voir, ce sont des messages qui semblent appartenir un monde qui n'existe plus. Une marque dont la publicité prétend qu'il n'y a rien de spécial qui se passe, se met en danger ; elle suscite du ressentiment et érode la fidélité que l'on peut avoir pour elle. C'est pourquoi il est conseillé de vérifier si votre message correspond aux récents besoins du client et, le cas échéant, d’en créer un nouveau, mieux adapté.
 
Ce que nous observons également dans nos études, sur tous les continents, c'est l'importance croissante de la sécurité. Il ne faut pas être un grand scientifique pour comprendre qu'en période d'incertitude, les gens y aspirent. Le neuromarketing permet de mesurer ce besoin de façon très précise, pour savoir quelle forme de sécurité et de certitude vous devez fournir, en tant que marque, pour rendre votre catégorie plus attrayante.
 
Dans des catégories telles que les cosmétiques, les soins du corps et la mode, la préférence pour une marque et la décision d'achat sont principalement motivées par la reconnaissance : « Je veux être vu ; je veux en faire partie ; je veux être apprécié... »
 
Actuellement, les interactions sociales sont réduites avec, pour conséquence, une baisse d’importance du besoin de reconnaissance. Mais le besoin de sécurité lui, est d'autant plus grand. Alors, allez-vous continuer à émettre des messages qui répondent au besoin de reconnaissance ou préférerez-vous parler de la qualité de vos cosmétiques sous l’angle de la réassurance, en mettant en avant les propriétés dermatologiques de votre crème pour la peau, ou les coutures indestructibles de votre marque de jeans ? Le neuromarketing apporte des réponses claires à ces questions.
 
Les grandes offensives médiatiques ne sont pas les seules à rassurer. Parfois, des interventions discrètes génèrent un retour sur investissement plus élevé. De plus, vous pouvez les lancer plus rapidement. Prenez les emballages, par exemple. Avec notre partenaire Strategir, nous avons établi que, pendant cette crise, les consommateurs avaient une nette préférence pour les emballages traditionnels, voire conservateurs. Imaginez… Vous êtes une marque historique de ketchup qui envisage de lancer un nouveau design de son packaging. Surtout, n’en faites rien ! L’ancien répond au besoin de tradition, de rassurance, de sécurité. Un nouveau design, aussi cool soit-il, frustrera ces besoins.
 
Quelles leçons les marques belges peuvent-elles en tirer ? Comment s'adapter au mieux aux nouvelles attentes ?
 
Les marques doivent constituer un repère. La stabilité, la prévisibilité, voilà ce que les gens demandent. Même de légères incertitudes peuvent engendrer un impact négatif important. Un opérateur qui ajoute un coût supplémentaire à ses factures - même s’il n’est que de quelques euros - sans l’avoir annoncé en amont, peut causer un impact dévastateur sur sa relation avec son client. Abstenez-vous ! En revanche, annoncer que vous ne facturerez pas de frais supplémentaires au cours des trois prochains mois - ce qui dissipera les incertitudes - sera beaucoup plus bénéfique à long terme.
 
Pourquoi il y a davantage de files d'attente devant les portes de Colruyt ? Parce que leurs prix sont toujours les plus bas ? Non - et d’ailleurs, ce n’est pas toujours le cas -, c'est parce que leur "shopper experience" suggère qu'ils font vraiment tout pour maintenir les prix aussi bas que possible. Dans cet environnement, cette perception réduit la frustration potentielle du "besoin de sécurité économique". Moins d'incertitude, plus de certitude. Pour le moment, tout tourne autour de cela.
 
Il serait cynique de considérer cette tragédie comme une opportunité commerciale. Mais il est impossible de ne pas s'adapter. Nous sommes soudain projetés dans une autre réalité, pour citer le Magicien d'Oz : « Nous ne sommes plus au Kansas ». Un tsunami sans précédent bouscule les attentes psychologiques du consommateur. Dans le buzz marketing, la disruption est un mot qui s’est vu vider petit à petit de son contenu, mais ce que nous vivons, c'est une véritable disruption.
 
Ayez la souplesse nécessaire pour adapter votre marketing à cet énorme besoin de sécurité, de sûreté, de stabilité et de réassurance. Et faites-le vite ! Soyez là pour vos clients aujourd'hui, maintenant, pendant la crise. Pas après. Peut-être que cet "après" ne se produira même pas !

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