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"Altruiste ou Amuseur : les marques qui ont tout gagné sur les réseaux sociaux pendant le confinement", par Christina Goosdeel (Content Strategist, Publicis Groupe)

Jeudi 18 Juin 2020

La crise du coronavirus a bousculé la communication de marque. Il y a trois mois, la Belgique a connu une crise sanitaire sans précédent qui a plongé ses habitants dans le confinement du jour au lendemain. Les marques, prises au dépourvu, ont dû naviguer sans repères dans ces eaux périlleuses, confrontées à l'incertitude. De leur côté, les agences de communication ont essayé de les accompagner dans cette épreuve le mieux possible. 

Face à la crise, les marketers se sont majoritairement tournés vers les réseaux sociaux. Leur portée large, immédiate et directe envers les consommateurs, couplée à une facilité de publication et de production, a conféré un statut particulier à ce medium durant le confinement. En effet, les réseaux sociaux permettent de réagir "à chaud" aux événements ; c'est une formidable opportunité mais c'est aussi une grande responsabilité.

Dans de nombreux cas, l'urgence de communiquer vite a primé sur l'importance de communiquer bien. Certains annonceurs semblent avoir pensé que la seule chose qui comptait était la forme (être visible sur les réseaux sociaux), sans toujours se préoccuper de la congruence du contenu. Pourtant, dans ce contexte particulier, ils auraient pu s'inspirer de l'adage suivant lequel « Si ce que tu as à dire n'est pas plus beau que le silence, alors mieux vaut se taire » - proverbe qui nous vient, lui aussi, de Chine.

Chez les experts de la réputation et les amateurs de néologismes, un nouveau terme est né pour décrire l'action de communiquer de façon opportuniste sur le Covid-19 : le "coronawashing". Et tout comme le "greenwashing", l'impact négatif sur la réputation est réel et peut être durable.
Face au Covid-19, quatre types de communication
En tant que stratège de contenu sur les réseaux sociaux, j'ai observé avec beaucoup de curiosité le comportement des marques sur mon fil d'actualité Facebook et Instagram. J'ai rapidement décidé de collecter toutes ces publications et d'encourager mes collègues à me partager des captures d'écran. Grâce aux nombreuses publications collectées et à mon outil de social listening, j'ai conduit une étude basée sur deux axes d'analyse qui s'inspirent du rapport de recherche Ipsos sur le coronavirus en Belgique.

. Dans cette publication, le message est-il essentiel ou superflu face à la crise ?
. L'intention de la marque semble-t-elle être opportuniste ou sincère ?
J'ai ainsi dégagé une typologie qui se traduit en quatre profils d'annonceurs : l'Altruiste, l'Imposteur, l'Amuseur et l'Egoïste. 
Mis à part les supermarchés, les stations-essence, les banques ou la poste, rares sont les marques qui ont pris de réelles mesures lors du confinement et qui tombent dans la catégorie de l'Altruiste. C'est le cas d'Uniqlo Belgium par exemple, dont certaines publications reflètent une intention sincère tout en partageant un message essentiel face à la crise. Cette marque de vêtements a organisé un don de 10 millions de masques grâce à la reconversion de certains de ses sites de production. En plus de cela, un don de vêtements a été instauré auprès de deux hôpitaux belges et d'une asbl protégeant les personnes sans abri. La marque a ainsi prouvé qu'elle était capable de répondre aux défis posés par le Covid-19 et d'être utile à la société, ce qui contribue indirectement à renforcer son image. L'attitude de l'Altruiste est donc valorisante, aussi bien pour la marque que pour la société au sens large.

Lorsqu'une marque se met en avant pour partager un message essentiel de façon opportuniste, nous nous trouvons face à la catégorie de l'Imposteur. C'est le cas par exemple d'une marque de voitures donnant des conseils de santé de type "lavez-vous les mains fréquemment". Ce message vise l'intérêt général, certes, mais n'a pas de rapport avec l'univers de la marque ou son domaine de compétences. De plus, le message n'est pas consolidé par des actions concrètes de la part de l'annonceur, c'est pourquoi il est perçu comme opportuniste. L'attitude de l'Imposteur n'est pas toujours bien perçue car elle manque de légitimité et d'authenticité. De la récupération à l'hypocrisie, il n'y a qu'un pas.

Lorsque l'intention opportuniste est doublée d'un message superflu, nous obtenons la catégorie de l'Egoïste. Il s'agit de messages utilisant le confinement comme levier pour mettre en avant le produit ou service de la marque de façon faussement désintéressée (du coronawashing, en somme). C'est le cas notamment d'une marque de chocolat dont la publication encourage à accompagner le binge-watching Netflix de grignotage, ou encore une marque de bière encourageant les consommateurs à fêter chaque petite victoire personnelle avec une boisson alcoolisée. Ici, les marques capitalisent sur l'ennui, l'impossibilité de voir ses proches, ou l'anxiété. Dans le contexte d'une crise sanitaire mondiale, l'attitude de l'Egoïste est la moins utile pour la société, et de fait, la moins valorisante pour la marque. 

La dernière catégorie est celle de l'Amuseur. Ici, l'intention (perçue comme étant sincère) vise à "remonter le moral des troupes", même si le message de fond n'est pas essentiel face à la crise. Il s'agit par exemple des messages de remerciement ou d'encouragement, des astuces de bricolage, des passe-temps de Quick, des contenus divertissants d'Orange, ou encore des recettes au fromage Maredsous pour inspirer les cuistots en manque d'idées. Ces marques ont proposé du contenu pertinent et ludique, tout en restant dans leur domaine de compétences. L'attitude positive de l'Amuseur leur a permis de créer un lien de complicité avec leur audience et de traverser le confinement ensemble.
Veillez à avoir un impact positif pendant une crise pour en sortir plus fort
Les consommateurs se souviendront des communications qui les ont touchés, qui leur ont été utiles ou qui les ont fait sourire durant le confinement. C'est pourquoi les Altruistes et Amuseurs sortiront vainqueurs de cette crise. Les Egoïstes et les Imposteurs, quant à eux, sont les grands perdants. En effet, ils sont tombés dans le piège de la communication à tout prix, et n'ont rien apporté à la conversation, mis à part des paroles vides de sens. 

Il faut maintenant tirer les leçons de cette crise afin de mieux se préparer à la suivante, car 2020 n'a pas fini de nous surprendre. Les marques auront plus d'une occasion de prouver leur valeur : que ce soit une deuxième vague de coronavirus, le mouvement Black Lives Matter, le dérèglement climatique, le sexisme ordinaire ou n'importe quel autre sujet d'actualité. Pour être claire, en tant que marque je vous déconseille de publier un carré noir avec le hashtag #BlackLivesMatter sans aucun engagement en amont, comme le ferait un Imposteur ; c'est une question de cohérence et de crédibilité. 

Lorsque vous communiquez vers l'extérieur, et notamment via les réseaux sociaux, vous ne pouvez pas viser uniquement à augmenter les ventes. Même si la rentabilité est évidemment importante, votre but doit d'abord être d'impacter positivement la vie en société. Si ce n'est par conviction, faites-le parce que votre consommateur a une défiance grandissante envers la publicité et les marques. Le 21ème siècle lui a donné des outils pour évaluer votre intégrité et des raisons pour le faire. Les mots en l'air ne sont plus tolérés, et c'est tant mieux. Place aux actions !

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