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Associons-nous !

Mardi 16 Juin 2020

Associons-nous !

A quelques jours de la phase 3 du déconfinement, nous avons réuni les patrons des trois principales associations agences et annonceurs du pays pour échanger autour des conséquences directes et des principaux enseignements de la séquence C-19.

Ils le disent : l'un des rares effets positifs de la crise du coronavirus est le renforcement des relations agences-annonceurs. La mise à niveau des plans marketing de nombreuses marques les a en effet contraints à faire preuve de résilience, à travailler davantage main dans main, même à distance. De solidarité aussi, également avec les médias. 

Ils, ce sont Chris Van Roey (CEO de l'UBA), ainsi que François Chaudoir (Space) et Marc Fauconnier (FamousGrey), avec leur casquette respective de président de l'UMA et de l'ACC.

Une étude récente de la WFA prévoit un recul de 31% cette année. Vos prévisions vont-elles dans le même sens ? 

Chris Van Roey : Selon l'étude que nous avons menée au niveau de l'UBA et celle de la WFA, 80% des annonceurs ont enclenché le bouton 'reset' dès la mi-mars. Mais il faut nuancer : l'étude WFA se limite 38 multinationales... Une autre étude publiée récemment par Warc estime quant à elle la baisse à 8% seulement. La vérité se situe vraisemblablement au milieu, et Warc est sans doute plus proche de celle-ci. 
Janvier et février ont été corrects. En mars, le recul était de 40% en moyenne, le troisième trimestre devrait être à -25% et le quatrième à -10%. Ce qui ferait -17% pour 2020. C'est proche des chiffres de Warc qui table sur -17% pour les médias traditionnels et une stabilité pour les médias numériques. Prédire l'évolution média reste toutefois difficile. Mais nous sommes un peu plus optimistes que la WFA.

François Chaudoir : Pour les agences médias, cela devrait plutôt se situer aux alentours de -15, -20, au pire -25%. Le début de l'année a été relativement stable, en effet ; mars a été assez mauvais, mais pas dramatique. L'effet négatif a commencé à surtout se faire sentir à partir du 20 mars... Nous avons perdu en quelques jours du "double digit", et bien au-delà de 10%. Quant à avril et mai, c'est effectivement la Berezina : on peut considérer que sur ces deux mois nous en sommes carrément à -50%. Pour juin, on sent de petits frémissements, cela redémarre, mais vraiment doucement. 

Nous savons tous qu'il y a un effet de latence entre la reprise des investissements et celle du business. Nous essayons de dire aux annonceurs que plus vite ils investiront, plus vite ils accéléreront la reprise. Mais il est très compréhensible que ce soit très compliqué pour certains, qu'il y ait de l'attentisme, de l'excès de prudence, du réalisme sur des business terriblement impactés.

L'étude ACC de début avril montre que plus de 80% des agences de communication ont vu leur activités réduites de 25% à 75%. Marc, avez-vous constaté une reprise de ce côté ? 
Marc Fauconnier : Les choses semblent évoluer dans la bonne direction. A l'heure actuelle, l'impact financier - nous parlons d'impact financier net, et non d'investissement dans les médias - doit se situer entre 0 et 20% plutôt qu'entre 25 et 50% comme il y a quelques semaines. Deux agences sont même au niveau de février... Même si cela ne leur rapporte pas autant, les agences travaillent très dur en ce moment car de nombreux clients font des plans pour l'automne. Des plans souvent très ambitieux. 
A tel point que je m'attends à ce que l'automne permette de regagner en partie ce qui a été perdu au printemps. Mes collègues prévoient pour l'ensemble de l'année, une perte de 5 à 20%.

La grande exception, c'est le secteur de l'événementiel, où les dégâts sont très importants. Ils seront les derniers à redémarrer. Des entreprises pourraient disparaitre. Les agences spécialisées savent que rien ne sera plus comme avant. Les événements en direct auront un problème structurel, même à long terme. Ils doivent réfléchir à des combinaisons de direct et de virtuel. A l'instar de l'aviation et des voyages, l'événementiel est menacé également dans les années à venir. Un groupe de réflexion, où figurent l'ACC et l'UBA, a été créé pour aider à réinventer le secteur. 

L'UMA indique que, pour ses membres, les investissements en numérique étaient de 25% en Belgique l'an dernier... Ce sera nettement plus d'ici la fin de l'année. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas en étaient ou en sont déjà à 50%. Nous allons également évoluer dans cette direction et heureusement, la plupart des agences y sont préparées.
François Chaudoir : il ne fait aucun doute que la part du digital sera au-delà des 25%. Mais est-ce représentatif ? N'est-ce pas plutôt une évolution par défaut, par abandon des autres médias ? Il faudra étudier cela sur une période plus longue. C'est cependant une opportunité pour le marché. Cela montre aux annonceurs qu'il est possible de vivre dans un écosystème digital, et certains clients qui n'avaient jamais beaucoup investi en digital, constatent que cela peut fonctionner. 
Cette crise aura un énorme impact sur l'e-commerce, domaine où la Belgique n'était pas particulièrement en avance. Il y a des opportunités pour les agences qui se dessinent. 

Par ailleurs, on peut se demander si juillet et août ne seront pas un peu déconnectés des saisonnalités habituelles. Traditionnellement, ces mois sont désertés par pas mal d'annonceurs. Mais plusieurs phénomènes pourraient avoir un impact positif. Davantage de gens vont prendre leurs vacances en Belgique, ceux qui ont restreint leurs dépenses et dont les revenus n'ont pas diminué, vont peut-être avoir envie de dépenser un peu... L'été pourrait être synonyme de redémarrage.

Où en sont les discussions par rapport à votre demande de crédit d'impôt pour les médias ?

Chris Van Roey : L'UBA a participé avec les médias belges à l'élaboration d'un plan visant à stimuler ceux-ci via un crédit d'impôt, comme cela s'est fait en Italie. Ce plan a été inscrit dans un projet de loi et discuté avec des politiques. L'idée est bien accueillie mais au final, elle n'est pas prioritaire pour le gouvernement actuel, qui souhaite inscrire cela dans un plan de relance global d'après confinement. Dommage. C'est maintenant que les investissements dans les médias sont historiquement faibles qu'il faut agir. Nous continuons à porter cette demande auprès des politiques. 

On dit souvent que les crises sont synonymes d'opportunités. Y'en a-t-il à court ou moyen terme, quelles sont les tendances émergentes ? 
 
Marc Fauconnier : Nous entrons dans une ère nouvelle, de changements importants dans notre vie professionnelle. Par exemple, il ne me viendra plus à l'idée d'aller assister à une réunion à Madrid ou Stockholm pour un aller/retour dans la journée. Zoom va devenir la grande alternative au voyage d'affaires. Et nous ne serons sans doute plus jamais à l'agence cinq jours par semaine. Le bureau sera un lieu de rencontre avec les collègues. Nous nous rencontrerons lorsque ce sera nécessaire, le travail individuel se fera de plus en plus à la maison. Je suis convaincu que cela va se maintenir. Et la frontière entre le professionnel et le privé sera beaucoup plus floue. Mais le lieu de travail reste évidemment important pour les agences de publicité ; pour la créativité, il est essentiel de se réunir, de se stimuler. Il faut donc aussi pouvoir perpétuer cela.

Il est donc plus important que jamais pour les agences de communication de créer une culture forte que l'on emporte chez soi. Les gens peuvent être reliés par la vidéo, mais aussi par une conviction commune, une forte culture créative. Plus qu'avant, les agences devront mener une politique active de RH pour motiver et inspirer. C'est un grand défi : faire en sorte que les collaborateurs restent fidèles à leur agence, même depuis chez eux, pour les aider à créer le meilleur produit. Le secteur a certainement connu un déficit sur le plan des RH. Nous devons combler rapidement ce retard.

Chris Van Roey : La transition digitale vient de recevoir une impulsion incroyable. A l'UBA, nous expérimentons les webinaires depuis des années pour l'UBA Academy, sans grand succès. Aujourd'hui, en quelques semaines seulement, nous avons numérisé toute l'offre. Nos master classes, qui réunissaient généralement 25 personnes dans une salle, en accueillent aujourd'hui 60 à 70 avec les webinaires. Nous avons initié de nouveaux formats numériques, tels que l'Online Executive Forum. Avant, cela avait lieu trois fois par an autour d'une bonne table à De Warande, à présent nous le faisons en ligne via Zoom et c'est beaucoup mieux. L'inspiration mutuelle est tout aussi présente.

Bien sûr, les réunions d'un jour à l'étranger se feront davantage par Zoom, il y a aura davantage de numérique, mais la crise a aussi montré la valeur du contact réel. J'attends d'ailleurs avec impatience le prochain BBQ de l'UBA pour pouvoir discuter un verre à la main... Un équilibre s'installera entre le contact direct et le virtuel.

Tout cela va-t-il aussi faire évoluer la manière de travailler entre agences et annonceurs ? 

Marc Fauconnier : Pour les agences, le bureau sera sans doute bien plus qu'auparavant un lieu de rencontre, où l'on échange deux, trois fois par semaine. Pour faire du brainstorming, trouver des idées, puis rentrer chez soi pour régler les choses visuellement. Un nouvel équilibre entre le physique et le virtuel est totalement occupé à s'installer. Cette crise est un énorme accélérateur. Pour nos relations avec les clients aussi. Paradoxalement, celles-ci peuvent devenir meilleures. Nous pouvons nous réunir plus efficacement, mais aussi nous rencontrer à des moments où c'est vraiment important. J'entends des collègues dire qu'ils se sentent professionnellement seuls, mais également des clients, qui expriment le souhait de nous rencontrer. Mon premier rendez-vous en direct avec un client depuis le début du confinement a lieu bientôt et je suis heureux comme un enfant !

François Chaudoir : Il y a deux réalités dans nos métiers : une partie plus opérationnelle et une autre plus axée sur la réflexion, la mise en commun d'idées. Acheter et optimiser des campagnes depuis nos locaux ou depuis un domicile privé, cela ne fait fondamentalement aucune différence. En revanche, pour réfléchir à la stratégie d'un annonceur, cela vaut la peine de se réunir dans une salle et de travailler ensemble. Je pense qu'il y aura effectivement cette combinaison. 

En tous cas, du côté des agences médias le télétravail était déjà relativement courant. Je ne sais pas si c'était systématiquement utilisé à la hauteur de ce que proposaient les agences, mais à titre d'exemple, chez Space depuis deux ans nous permettions à nos équipes de travailler deux jours par semaine chez eux. La plupart ne prenaient effectivement qu'un jour. Je suis certain que ce standard de deux jours sera désormais consommé. Et jusqu'ici nos communications avec les clients se faisaient principalement, et quasi par réflexe, via e-mail. Mais là, les Skype, Zoom, etc., changent la donne. Nous utilisons souvent ces outils et c'est plus direct et plus efficace.

Vous pensez que cela va aussi impacter la procédure des pitches ?

Chris Van Roey : Plusieurs compétitions créatives ont été mis en veilleuse. Ce n'était pas la priorité de l'annonceur en ce moment, à juste titre. Ce n'est pas le moment de remettre tout en question. Au contraire, je constate que le lien s'est renforcé entre beaucoup d'annonceurs et d'agences, les gens se parlent à plus long terme. 

Marc Fauconnier : Cette période est l'occasion de réfléchir à bien des choses, au principe même des compétitions notamment. Des compétitions qui se déroulent de manière honnête, transparente et rémunérée ; et non des "beauty contests". Je sais que Chris pense de même et agit en ce sens. Mais les  abus restent une réalité. Combattre cela passe par le facteur humain.

J'espère que les annonceurs et les agences sont conscients que rien n'a autant de valeur prédictive pour une bonne campagne qu'une bonne alchimie entre les gens. Il faudrait aussi que s'efface ce principe qui consiste à faire travailler différentes agences en même temps. Le travail existant d'une agence et l'adéquation culturelle entre l'annonceur et l'agence permettent d'atteindre un équilibre parfait, prédictif du travail qu'ils feront ensemble. 

Chris Van Roey : Je pense que la plupart des compétitions sont équitables, transparentes et rémunérées. Et je peux certifier que c'est le cas des 200 ou 300 sur lesquelles nous nous sommes penchés avec PitchPoint. Je vois même une forte évolution vers ce que cette société devait être à l'origine, dans le fait que le nombre d'accompagnement de compétitions a diminué drastiquement. Aujourd'hui, nous sommes beaucoup plus préoccupés par l'optimisation de la collaboration que par les compétitions. Améliorer la relation, sur un meilleur mode opérationnel, sur base d'un meilleur dialogue, avec de meilleures évaluations. Tout n'est pas encore parfait, mais les progrès sont énormes.

Marc Fauconnier : C'est vrai, l'évolution est positive. Nous avons notamment élaboré la charte UBA-ACC. Mais aujourd'hui, des dizaines d'agences travaillent en même temps sur les compétitions de la Loterie Nationale et de bpost. Cela représente un volume d'énergie énorme pour les agences, surtout en cette période. Nous avons tous besoin de new business, mais est-il encore responsable économiquement pour les agences de participer à de telles compétitions ? Et ce n'est pas une coïncidence si elles sont toutes deux organisées par des entreprises publiques.

Chris, lors du Trends Day, vous invitez Simon Martin, fondateur d'Oliver. La crise va-t-elle renforcer l'in-housing ? 

Le mouvement qui se fait jour dans le domaine de l'in-housing n'a pas grand-chose à voir avec cette crise. Tout comme pour les compétitions, la restructuration de la collaboration avec les agences a été mise en veilleuse. Il y a d'autres chats à fouetter en ce moment. Ce qui n'empêche pas le modèle économique d'Oliver d'être intéressant. Et l'une des solutions possibles pour un travail efficace avec les agences. On dit qu'Oliver c'est de l'in-housing. Ce n'est pas le cas. Oliver est une agence, mais elle est hyper-personnalisée en fonction des annonceurs avec qui elle travaille en étroite collaboration. Aujourd'hui, toutes les agences essaient de travailler de façon hyper-personnalisée. 

Marc, vous faites également ce constat ?

Absolument. Avec la numérisation, notre profession a beaucoup évolué vers la spécialisation et l'expertise. Il y a de plus en plus de demandes pour des équipes personnalisées regroupées autour d'un client particulier. L'écosystème Proximus est le meilleur exemple de la façon dont un certain nombre d'agences déploient leurs collaborateurs autour d'un client, en effaçant pour ainsi dire les frontières entre ces agences. Crise ou pas, je pense que nous allons dans cette direction.

A l'ACC, un groupe de travail réfléchit à la manière dont nous pouvons mieux travailler entre nous. En Belgique, on trouve de nombreuses agences aux domaines d'expertise très différents. Tout en continuant à se concurrencer, elles peuvent aussi se renforcer mutuellement pour mieux servir les clients, même au-delà des frontières des holdings. Mon agence fait partie de WPP, mais il est très possible que quelque part chez Omnicom se trouve un spécialiste dont j'ai besoin dans mon écosystème. Il serait le bienvenu le cas échéant. Nous devons apprendre à regarder au-delà des limites de nos disciplines, de nos holdings, de nos agences. Apprendre à trouver simplement les meilleures solutions pour le client. 

François Chaudoir : L'internalisation, nous la faisons souvent nous-mêmes. Depuis des années, les agences médias sont rentrées dans les murs de leurs clients, avec des équipes dédiées, qui connaissent le business de ces clients à fond et travaillent deux ou trois jours par semaine dans leurs locaux. 

Une forme de solidarité s'est-elle installée durant cette période ?

Chris Van Roey : Clairement ! Du côté de l'UBA, nous avons incité les annonceurs à contacter proactivement leurs fournisseurs, à montrer de l'empathie. De nombreux médias ont permis de reporter et de modifier des campagnes de dernière minute. Le lien entre les associations est devenu plus fort qu'auparavant. 

François Chaudoir : Cela nous a rapprochés de nos clients. En devant faire face à des situations d'urgence, nous avons parfois mieux compris ce qui pouvait les motiver à prendre certaines décisions. 

Marc Fauconnier : Cette crise fait ressortir le meilleur des gens. Je ressens plus de respect et d'ouverture pour trouver des solutions au sein de mon agence, entre agences, dans la relation avec les clients. Nous nous sommes tous un peu rapprochés, et parfois même des relations entre agence et annonceur qui n'allaient pas bien ont soudain retrouvé un nouveau souffle. Les agences collaborent aussi très bien autour de plusieurs thèmes, liés à la transformation de notre profession, que j'ai introduits en tant que président de l'ACC. Il y a un objectif global plus vaste, au-delà des intérêts individuels.

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