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Le burn-out n'était pas assez rapide, par Delphine Remy (consultante en communication et psychothérapeute)

Vendredi 24 Avril 2020

Le burn-out n'était pas assez rapide, par Delphine Remy (consultante en communication et psychothérapeute)

Et nous voilà en temps de crise globale. Elle nous offre ce cadeau que nous étions incapables de nous offrir, l’inévitable et indispensable temps. Le temps de sortir de nos réactions automatiques dans lequel ce monde liquide nous avait plongé. La disponibilité infinie nous était présentée comme un dû et l’immédiateté comme un acquis auquel l’homme se devait de s’adapter et répondre sous peine d’être exclu. Plus le temps semblait maîtrisé, plus la consommation s’accélérait et plus l’homme se sentait en contrôle. Dans l’illusion de sécurité. L’illusion de l’avoir tel un bouclier face à une mort pourtant certaine.

Mais l’homme s’essoufflait. Il était épuisé. Il tenait parfois encore bon malgré les signes somatiques nombreux, maux de dos, d’estomac, de tensions… qui lui soufflaient inlassablement le même discours : Stop. Et mon cabinet ne désemplissait pas de gens fatigués cherchant des ressources pour continuer quand même, cherchant des excuses ou coupables sans oser ouvrir les yeux à l’essentiel. 

Nous ne sommes pas illimités, nous ne sommes pas des robots capables de travailler en continu sans repos, sans répondre à nos besoins. Nous ne sommes pas Dieu, ni éternel ni tout puissant. Tout comme l’homme, la terre n’a pas de ressources illimitées non plus. 

Il était temps. Temps de s’arrêter. Aurions-nous pu panser nos blessures et nos organisations, nos modes de vie sans devoir en arriver là ?

Le burn-out, ce n’était pas assez…

Mais voilà, quand nous ne nous écoutons pas, notre corps parle pour nous et nous terrasse. Il nous impose l’arrêt, le burn-out. En réponse au stress, à une demande d’adaptation au changement perpétuel sans moment d’intégration, nous saturons, nos nerfs sont mis à rude épreuve et tout stimuli devient danger. Et en période de danger, le corps se met en hyper-vigilance consomme ses réserves les plus enfouies (vous savez vos carences en magnésium, vitamine B, C, D…) et active son système hormonal pour faire face (se battre ou fuir). Surproduction de cortisol pour nous rendre hyper-réactif (vous savez ces fameuses insomnies), au taquet de ce qui pourrait surgir (vous savez cette irritabilité). Et nous nous épuisons. Et l’image de nous en prend un coup. "Comment est-ce possible que je ne tienne pas la cadence ?" Et nous tenons bons, nous continuons la lutte pour compenser cette perte narcissique imposée par un système qui nous compare à des machines hyper-productives en continu. "Non je vais y arriver". Mais plus nous nous épuisons, plus nous sur-réagissons sans plus pouvoir penser, le corps aux commandes actionnant ses défenses automatiques. A force, un simple contretemps, un dossier supplémentaire, un lave-vaisselle bourré à craquer, la demande de jeux de nos propres enfants deviennent un danger insurmontable. Et le cercle, vicieux. Nous n’avons plus assez de recul pour dérailler et cesser de répéter ce qui nous tue pourtant à petit feu.

Le message de Corona est clair, arrêtez ou tout le monde crève 

Malgré tout, nous devions être encore suffisamment productifs et nombreux pour que nos dirigeants et patrons d’entreprise ne jugent pas bons de s’arrêter et réfléchir à ce qui merdait dans nos systèmes. L’accélération de la cadence, l’illusion d’un monde inépuisable, infini, éternel, nous menaient tout droit, homme et terre, à une mort certaine. (Paradoxal quand toute cette course cherche justement à l’éviter). 

Le burn-out est out, vive le coronavirus. Fallait-il en arriver là pour que nous comprenions ? "Grace" au virus le monde est passé à un niveau supérieur forçant nos dirigeants à dire stop et à agir dans l’urgence pour la survie de leur peuple. Au départ si nous les avons élus et si nous avons accepté de nous soumettre aux règles, c’était pour notre propre bien-être et sécurité non ?

Retour à la case départ, besoins primaires et loi du plus fort

Parce qu’en mode survie nous revenons à l’essentiel : manger ! Assurer nos besoins primaires, le bas de la pyramide de Maslow. Et que nous montre l’histoire à ce sujet ? Pour assurer sa survie, pour manger, l’homme revient à ses instincts primaires : il se bat. C’est la loi du plus fort, la guerre du PQ, et bientôt peut-être la violence dans nos supermarchés. Et c’est qui le plus fort dans nos sociétés ? Le muscle ? Non, la valeur que nous avons érigée en maître, l’arme absolue, celle qui contrôle les muscles aujourd’hui, c’est l’argent. 

Ah nous voilà bien nous qui nous délections des "Hunger Games", "Divergente" ou "The 100" sur Netflix. Le point commun ? Un monde post-apocalyptique où l’homme pour "survivre" a divisé l’humanité en factions, districts, sections…Conserver le contrôle sous couvert de sécurité. Tout en continuant à appliquer la loi du plus fort, exploitant les plus faibles au profit du confort d’un petit nombre de nantis. Et soyons clairs, si vous lisez cet article, les nantis, en gros c’est aussi vous.

Vers une homéostasie politique ?

C’était sans compter sur les Katniss, Tris ou Clarke, des jeunes femmes insoumises, jetées dans la violence malgré elles, qui vont se battre pour revenir à une humanité plus juste et solidaire. Similitudes féminines ? Est-ce que nos Sophie en Belgique, Helle au Danemark, Sanna en Finlande, Katerina en Grèce, Jacinda en Nouvelle Zélande ou encore notre bonne vieille Angela en Allemagne seront à la hauteur de l’intense message de la crise et basculeront du bon côté de la force ? La force humaine plutôt que celle du capitalisme ? Ce n’est quand même pas un hasard si ces femmes, ces mères accèdent aujourd’hui au pouvoir détenus jadis en toute domination par le patriarcat ?

Parce que l’homéostasie est un phénomène de régulation naturelle cherchant l’équilibre, cette crise sanitaire, économique, sociale et politique est une opportunité. Grandir et se rééquilibrer, croître autrement qu’en la croyance de la croissance infinie, oser prendre des mesures sensées et restrictives au confort des plus riches ou une nouvelle fois postposer le débat en laissant au ban tout un pan de la population au profit du profit, au profit des nantis, des plus forts ?

Quel profit pour les marques dans ce nouveau paradigme ?

Les marques ont pris racines dans le capitalisme. Elles nous ont bercé dans cette douce illusion que nous pouvions tous consommer indéfiniment et sans entraves. Combien de briefing n’avons-nous pas reçu créant des besoins imaginaires, cherchant à compenser ce que le manque de temps passé à nous épuiser ne nous permettait plus de faire, nous donnant l’illusion de contrôler notre vie, d’être les kings du village ? Ready to eat, convenience, portion individuelle, nouveau modèle, nouveau design, nouvelle technologie… Oui, elles nous ont aidés alors que nous étions coincés dans cette épuisante course, et nous les avons enrichies jusqu’à devenir toutes puissantes et réguler nos vies. Confondant ainsi désir et besoin. "Mais comment vivre sans le dernier iPhone ?"

Nouveau cercle vicieux. Nous nous sommes laissés enchaîner par ce confort si doux nous berçant dans l’illusion que nous n’allions pas souffrir. Les citoyens-acteurs diraient que nous sommes tous responsables de nos actes, de nos choix. Et bien nous y sommes.

Alors les marques oseront-elles aussi changer de paradigme ? Fréquence et volume n’ont plus d’avenir, quels seront les nouveaux KPI’s dans une société en quête d’équilibre ? Comment redéfinir la notion de profit dans un monde au service de l’homme et de la terre qui l’accueille ?

Essayez seulement d’utiliser la crise pour vous enrichir à nouveau et vous serez pendus. Ce qui vous pend au nez ne se trouve plus dans les vieilles recettes. Les crises sont aussi les plus grands moments de créativité pour faire face au changement et survivre. Soyez humbles !

Le mouvement était déjà amorcé à petite échelle et vous l’aviez déjà bien compris sans oser y aller franchement. Une fois l’urgence passée, oserez-vous aller là où cela fait mal ? Changer vos façons de penser, de créer, d’organiser, de mesurer ? Briefer vos départements recherche et développement pour produire vraiment durablement ? Choisir des matières premières recyclables, organiser les lignes de recyclage en amont, offrir en location, soutenir le bio, le local, respecter les saisons, organiser les réparations… 

On n’arrête pas le progrès et c’est merveilleux ! Il y a du boulot pour les cerveaux pour créer des services et des produits qui font sens sans épuiser ou polluer à grande échelle. Courage ! Acceptez d’être troublés, de sortir de vos certitudes, de perdre aujourd’hui pour gagner autrement demain… et au bout du chemin, une lumière nouvelle rejaillira sur chacun. Et avec ça un sentiment de fierté d’avoir été celle qui a participé à la préservation du monde et des populations. 

Ne serait-ce pas là le plus beau des profits ?

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