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Martine Clerckx (Wide) : "Cet état d'urgence pandémique nous confronte à notre incapacité à tout contrôler"

Mercredi 8 Avril 2020

Martine Clerckx (Wide) :

Quand une crise éclate, bien sûr nous essayons d’abord tous de réagir au plus pressé. Mais après le premier management de crise, il convient de réfléchir au long terme, parlant de l’impact d’une pandémie comme le Covid-19 sur notre société. Quelles tendances se dessineront à la fin du confinement ? Nous avons posé la question à Martine Clerckx, co-fondatrice et Societal Strategist de Wide Group qui se spécialise depuis plus de 20 ans dans l’identification et l’analyse des tendances sociétales de fond.

Depuis deux décennies vous suivez de près ce qui caractérise notre société, les évolutions qui la font bouger et la façon dont les Belges y adhèrent ou les rejettent. Comment appréhendez-vous l’impact sociétal de cette crise sanitaire ?

Tout d’abord, je pense que cet état d’urgence pandémique nous confronte à notre incapacité à tout contrôler et nous apprend la nécessité d’une certaine humilité. La pandémie et ses conséquences sont intimement liées à des phénomènes déjà en place, comme le fait que nous vivons dans un monde très urbanisé, très pollué. Quelque part, il n’est donc guère étonnant que le virus touche notre système respiratoire. Ensuite, notre société se caractérise par une population vieillissante et âgée, la catégorie la plus touchée par le coronavirus. De plus, nous voyageons beaucoup, ce qui a permis une globalisation rapide de l’épidémie.

De nombreuses voix affirment qu’il y aura un avant et un après Covid-19. Vous le pensez aussi ?

Cela fait 20 ans que nous suivons, en collaboration étroite avec Listen, les évolutions sociétales, les shifts dans les paradigmes de valeurs et les perspectives business. Depuis un an, nous avons commencé à appliquer des techniques prospectives, sur base de scénarios d’avenir que l’on teste auprès de 3.000 Belges. 

D’après les premiers insights issus de ces analyses, nous serons confrontés à des choix de vies qui existaient déjà avant, mais qui ont été accélérés par la pandémie : comme on l'a souvent constaté, les crises font office de catalyseur. Le premier choix devant lequel se trouvent les citoyens concerne la priorité absolue donnée à la sécurité, au prix d’une perte de libertés individuelles. Il y a un grand nombre de Belges qui adhèrent à cette idée, tandis que d’autres s’y opposent. 

Puis, nous verrons naître ce que j’appellerais un Nouveau Far West pour les prédateurs. Je veux dire par là qu’il existera un clivage entre ceux qui adhèrent à la priorité du bien commun, de la solidarité - tout à fait au premier plan aujourd’hui - versus ceux qui prônent le droit du plus fort, même en temps de crise.

Un autre clivage que vous évoquez est celui du repli sur soi, tandis qu’une solution globale et une intelligence collective est nécessaire.

En effet. Plus que jamais, nous avons besoin de ressentir la communauté des destins de toute l’humanité. Mais nous n’y sommes pas encore : il reste des étapes à parcourir. Cela vaut également pour les stratégies des institutions et le monde des entreprises : il faut les bâtir autrement.

Pour finir, j’aimerais évoquer le pari de la vérité, autre notion qui divise notre société entre deux groupes. Actuellement, nous observons d’ailleurs une revalorisation de la parole des scientifiques versus celle des mystiques, des virologues versus celles des économistes.

David Mattin parle de "long tail of confusion" ou de "peer-to-peer disinformation". Ces deux phénomènes seraient liés à la fragmentation de nos médias et à notre élan actuel à reconnaître que tout le monde a le droit de s’exprimer, que tous les points de vue doivent pouvoir être considérés…

Je dirais que la crise sanitaire illustre l’importance de tester ce qui est vérifiable, ainsi que celle du savoir par opposition au seul ressenti, à l’émotion, la perception.

Comment voyez-vous l'après ? S'y prépare-t-on déjà ?

Les entreprises les plus intelligentes s’y préparent déjà. Il faut réaliser qu’après la fin du confinement, certains des réflexes et habitudes induits par les circonstances exceptionnelles et nouvellement installées, vont persister. Je pense notamment au télétravail et aux paiements cashless généralisés, ainsi qu’à la percée définitive de l’impression 3D. On pourrait dire que notre créativité explose mais que notre bien-être mental est bousculé. 

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