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Kristof Ampe (Swinkels Family Brewers) : « Le marketing peut contribuer à résoudre un problème de business »

Jeudi 9 Janvier 2020

 Kristof Ampe (Swinkels Family Brewers) : « Le marketing peut contribuer à résoudre un problème de business »

Kristof Ampe a gagné ses galons dans la grande école marketing qu'est Unilever. Depuis quelques années, il travaille pour Swinkels Family Brewers. Après sa contribution remarquée au succès de la marque Cornet, le marketer est désormais actif en Afrique et au Moyen-Orient. Nous nous sommes entretenus avec lui sur toute une série de sujets, de ses missions à l'étranger à sa nomination au titre de Marketer of the Year en passant par le leadership, le marché brassicole, le meaningful marketing et le niveau des marketers belges. 

Petite remarque préliminaire : au moment de rédiger cet article, le nom des lauréats au Marketer of the Year 2019 de BAM n'avait pas encore été dévoilé. Côté néerlandophone, Kristof Ampe était en lice face à Elke Dens (VisitFlanders) et Patrick Kindt (KBC). En prélude à notre entretien, nous passons en revue les principaux jalons de sa carrière et de son impressionnant parcours. 

Après des études d'ingénieur commercial et de gestion, Kristof Ampe entre en 1993 chez Unilever par le biais d'un programme de formation. Il commence chez Union (Solo, Becel, Planta, etc.). Au bout d'un an, celle-ci fusionne avec Hartog (Lipton, Zwan et Royco) et il est nommé Brand Manager. C'est là qu'Interbrew vient le débaucher pour lui offrir le poste de Brand Manager sur Stella Artois. Ambitieux, il gravit rapidement les échelons : Marketing Manager pour Stella et Hoegaarden et Marketing & Business Development Manager pour l'Europe de l'Ouest. « C'était un grand honneur de pouvoir travailler pour une entreprise qui avait tellement marqué mes années d'étudiant à Louvain. Stella Artois fait partie de ces marques emblématiques pour les marketers. » 

Pourtant, au milieu des années 1990, l'entreprise traverse une période difficile. La pils a perdu son attrait auprès des jeunes, elle souffre d'une image un peu vieillotte. A l'époque, certains lui reprochent même de provoquer des maux de tête ! Avec son équipe, il décide alors d'associer Stella à la scène musicale dans le but de renouer les liens avec les jeunes. Stella se met à parrainer les principaux festivals, lance son propre label, mène des activations, engage des partenariats avec des organisateurs de concerts, etc. « Je suis convaincu que c'est grâce à cela que la marque a pu maintenir sa position dans notre pays, malgré le déclin rapide du marché de la pils. » 
 

Au Royaume-Uni, où Stella jouit d'un positionnement premium, Ampe orchestre 
avec Whitbread la campagne "Reassuringly expensive", slogan utilisé pendant de longues années. « C'est l'une des meilleures campagnes de ma carrière. Je me suis rendu compte qu'il était possible d'injecter dans une simple pils une valeur telle que les gens étaient prêts à payer plus pour en consommer. » 
 

En 2000, il tente sa chance comme entrepreneur en fondant avec Bart De Groote (aujourd'hui CEO de Mobile Vikings et de JIM Mobile) un site e-commerce en vins, Under the Cork. « Le projet était bien ficelé. Au bout d'un an, nous nous sommes classés parmi les 20 premiers négociants en vins de Belgique et avons été élus meilleure start-up d'e-commerce par De Tijd et Inside Internet Magazine. Mais l'aventure me laisse des sentiments mitigés. Nous étions en avance sur notre temps, mais nous manquions d'envergure pour réaliser nos ambitions. » 
 

Après deux ans, il revient à ses premières amours. « J'en suis encore reconnaissant à Unilever, car il est assez rare que le groupe réembauche un ancien collaborateur parti pour d'autres horizons. » Pendant 12 ans, il va exercer des fonctions variées de marketing et de direction dans différents pays (Egypte, Pologne, Russie, Pays-Bas, Belgique) et pour différentes catégories de produits. Il effectue sa première mission à Alexandrie pour Lipton, où il est responsable de la zone Machrek. Il déménage ensuite à Varsovie pour s'occuper des pâtes à tartiner (Flora, Becel et Rama) dans 19 pays d'Europe centrale et orientale. Deux ans plus tard, on le retrouve à Moscou où il prend en main pendant trois ans les marques de sauces (Calvé, Knorr, Hellmann, etc.) en Russie et en Europe de l'Est. « J'ai toujours aimé travailler comme expat'. On sait que chaque mission dure trois ans au plus, comme le veut l'usage chez Unilever. L'objectif est de développer l'équipe et les activités locales jusqu'à devenir soi-même superflu. Il faut donc transmettre ses connaissances aux marketers locaux. » 
 

Sa mission suivante a lieu en 2011, dans des contrées moins lointaines puisqu'il s'installe au quartier général de Rotterdam, en tant que Marketing Director Spreads & Dressing pour le Benelux. Un an plus tard, il déménage à Bruxelles où il est nommé Marketing Director Foods, Beverage & Ice Cream. Il exercera cette fonction pendant deux ans. « Ensuite, j'ai senti que le moment était venu de faire mes adieux. 
Je voulais gravir les échelons, mais ce n'était pas possible. Nous nous sommes séparés en bons termes. » 
 

Kristof Ampe s'installe comme consultant et accompagne quelques lancements majeurs, notamment chez Alpro, Arla Foods, Telenet (Smart Ad), Unilever encore et enfin, Palm Belgian Craft Brewers. Jan Toye, alors propriétaire de la brasserie, lui demande d'élaborer une stratégie pour assurer le succès de la Cornet, qui venait juste d'être lancée. En 2016, Palm Belgian Craft Brewers est vendu à 60% au groupe néerlandais Royal Swinkels Family Brewers (ex Bavaria) qui deviendra propriétaire de la brasserie belge en 2020. On lui propose un temps plein. Sa mission de consultance débouche sur une fonction de Global Business Development et Marketing Director. Le défi à relever : imprimer une nouvelle dynamique aux marques belges (Rodenbach, Cornet, Palm, etc.). 
 

Après avoir analysé le portefeuille, il décide d'allouer presque entièrement son budget à la marque Cornet et de mettre entre parenthèses l'ancien produit phare, Palm. Une décision audacieuse, mais qui s'avère payante. La Cornet décuple son volume entre 2015 et 2018, d'une peu plus de 3.000 à 28.500 hectolitres, et se situe actuellement dans le top 10 des "blondes fortes". La Cornet représenterait actuellement 27% du chiffre d'affaires belge de Royal Swinkels Family Brewers. 
 

Depuis septembre 2019, Kristof Ampe, qui dit aimer le changement, remplit une nouvelle mission pour Swinkels. En sa qualité de General Manager, il est responsable de la représentation du groupe brassicole au Moyen-Orient et en Afrique... 
« Je crois que toute marque doit avoir un sens, mais pas forcément une finalité. »
En quoi consiste cette nouvelle mission et dans quels pays s'exerce-t-elle ? 

Nous sommes actifs dans tous les pays du Moyen-Orient et d'Afrique, à l'exception du Yémen, de l'Erythrée, de la Syrie, du Liberia, du Nigéria, de Djibouti et de l'Iran. Les principaux marchés sont l'Etat de Palestine, les Emirats arabes unis, Israël, le Mali, le Cameroun et l'Afrique du Sud. Nous y commercialisons essentiellement la Bavaria 0.0 et la Bavaria 8.6. Sur certains marchés, nous commençons également à lancer des bières belges, mais il s'agit encore de petits volumes. Je dirige les différentes équipes de la région. Je continue à vivre en Belgique, mais je fais de fréquents déplacements dans différents pays, quand ce ne sont pas les clients qui se rendent dans nos bureaux aux Pays-Bas ou en Belgique. 

Comment faites-vous pour vendre de la bière dans des pays musulmans  ?

Officiellement, les musulmans ne boivent pas d'alcool, mais ce qu'ils font chez eux est une autre histoire. Ce n'est pas à nous de juger leur conduite... Ma tâche est d'offrir au consommateur un produit optimal qu'il peut consommer de manière responsable. Cela peut paraître surprenant, mais notre marque Bavaria 8.6 est assez populaire au Mali. Les volumes restent limités par rapport à ceux auxquels nous sommes habitués. Mais c'est la Bavaria 0.0 qui constitue l'essentiel de notre chiffre d'affaires dans la région. Si elle est surtout consommée par les musulmans, nous constatons toutefois que de plus en plus de gens la considèrent comme une alternative aux sodas. C'est une boisson fantastique : elle ne contient pas d'alcool, elle est certifiée halal et kasher et contient de bonnes calories et des nutriments issus d'un processus de brassage naturel. Elle est par ailleurs moins sucrée que les sodas et permet de maintenir un bon niveau d'hydratation. A ces avantages produit, nous ajoutons une couche émotionnelle. Je privilégie les propositions orientées vers un but unique. Pour la Bavaria 0.0, nous nous concentrons sur la thématique de la course. Nous sommes partenaires du Comrades Marathon en Afrique du Sud et nous sponsorisons également des marathons dans d'autres régions comme le Maroc et la Palestine. 

Comment le marché de la bière non alcoolisée va-t-il évoluer  ?

C'est un segment qui n'a jamais été très développé et qui reste modeste. Il n'empêche qu'AB-InBev en a fait une véritable success-story. La réponse à votre question est simple. Le consommateur boit-il cette bière de son plein gré ou parce qu'il s'y sent obligé ? La réponse à cette question est déterminante pour l'avenir de la bière non alcoolisée. Si les consommateurs la boivent pour une question de bien-être et de santé ou parce qu'ils apprécient son goût, il y a de fortes chances qu'elle poursuivra sa croissance. Par contre, si les gens se sentent obligés de la consommer, par exemple parce qu'ils doivent prendre le volant, alors ce sera plus difficile, car il ne s'agit pas là d'un besoin personnel, mais d'un comportement dicté par la société. Cela dit, dans notre région, la bière et l'alcool sont consommés dans un contexte de détente et de divertissement. Quand j'ai commencé à travailler en Egypte en 2002, je me suis retrouvé dans une culture islamique où les gens s'attablent à une terrasse et passent un bon moment, mais autour d'un verre de thé. J'ai été frappé par le fait qu'ils n'avaient pas besoin d'alcool pour s'amuser, alors qu'ici, c'est considéré comme un must

L'air du temps semble en tout cas propice à cette catégorie...

Le monde de la bière est particulier. Chaque décennie a sa marque ou sa catégorie vedette. Nous sommes passés du succès des pils à la popularité des bières avec une teneur égale en alcool et plus de goût, comme Hoegaarden et Palm. Ensuite, les bières plus fortes telles que Leffe et Duvel ont pris le relais, avant de céder la place à l'engouement pour toutes sortes de bières spéciales et artisanales. Qui sait si les bières non alcoolisées ne vont pas connaître leur moment de gloire dans les prochaines années ? 

En Belgique, il est beaucoup question de meaningful marketing. Est-ce une préoccupation également présente en Afrique ?

Elle est moins marquée, même si les multinationales tentent de l'inclure dans leur stratégie. La plupart des Africains cherchent avant tout à satisfaire leurs besoins primaires. Ils doivent voir comment arriver la fin de la journée ou de la semaine avec leur budget limité. Le purpose marketing, l'expérientiel et la durabilité ne jouent pas encore un rôle significatif dans leurs décisions d'achat. A vrai dire, le marketing que nous réalisons en Afrique est très basique, et je ne dis pas cela dans un sens négatif : Quel produit trouve-t-on à cet endroit ? A quel prix ? Est-ce que l'emballage est approprié ? L'Afrique a en revanche une longueur d'avance sur l'Europe en matière de mobile. Tout passe par là. C'est la porte d'accès à un grand nombre de consommateurs. 

Quel est votre avis personnel sur le meaningful maketing ?

Je crois que toute marque doit avoir un sens, mais pas forcément une finalité. Les gens me demandent parfois de définir ce qu'est une marque. C'est simple : une marque est une solution. Sinon, elle n'a pas de raison d'être. Mais il n'est pas nécessaire pour une marque de s'attaquer à un problème social. Pour de nombreuses personnes, la relation entre la marque et le consommateur est purement fonctionnelle. Les marques ne doivent pas se sentir obligées de jouer la carte du purpose. Cela dépend de l'objectif que l'on veut atteindre et des attentes des consommateurs. 

La nouvelle campagne (signée par Dallas Antwerp, ndlr.), "Samen genieten met Cornet" inclut un zeste de purpose marketing. Nous voulons encourager les gens à vivre des moments conviviaux. La Cornet veut leur faciliter les choses, et cet automne nous avons mené diverses activations dans cette optique, notamment pendant De Warmste Week. Nous avons aussi soutenu le Fonds GaVoorGeluk dans le passé. L'association s'adresse aux jeunes qui se sentent mal dans leur peau et ont même des pensées suicidaires. Il est effrayant de voir combien de jeunes se sentent seuls malgré le fait qu'ils soient connectés en permanence. C'est aussi une façon de nous distinguer par rapport à la concurrence.
« De nos jours, les sièges des multinationales veulent tout centraliser et les marketers belges ont rarement voire jamais l’occasion de prendre les choses en mains, ils doivent se contenter des miettes. »
Vous avez appris le métier chez Unilever. Y-a-t-il une culture Unilever ?

C'est une culture que l'on porte déjà en soi, mais qui se développe en travaillant pour le groupe. Je discute régulièrement avec des anciens et nous nous comprenons tout de suite, même si ce sont des personnes avec qui je n'ai jamais travaillé. Ce qui caractérise le mieux la culture d'Unilever, c'est le juste équilibre entre le souci des résultats et l'importance accordée à la qualité des relations humaines. En cela, Unilever se distingue de Procter&Gamble, qui selon moi est plus exclusivement orienté résultats.

Comment jugez-vous l'évolution du groupe, notamment le lancement de nouvelles marques durables ?

J'ai connu le temps où nous devions réduire notre portefeuille de marques de 1.000 à 400. Aujourd'hui, on constate deux tendances : un vif intérêt pour les marques locales et la nécessité de rendre les marques durables. Il n'est pas possible de les appliquer à toutes les marques gérées actuellement par Unilever. Il faut donc en lancer de nouvelles qui s'inscrivent dès le départ dans un souci de durabilité. Je trouve positif que le groupe accorde de nouveau une certaine marge de manoeuvre pour lancer des initiatives et des marques locales. C'est une problématique qui me tient très à coeur, parce que cela donne la possibilité aux marketers locaux de se développer et d'apprendre le métier. 

Des produits tels que Lipton Ice Tea et Magnum Ice Cream ont été développés dans notre pays. De nos jours, les sièges des multinationales veulent tout centraliser et les marketers belges ont rarement voire jamais l'occasion de prendre les choses en mains, ils doivent se contenter des miettes. On peut bien sûr s'inscrire à d'innombrables programmes de formation, mais le métier s'apprend sur le terrain. C'est seulement ainsi que l'on pourra relever le niveau des marketers belges.

Lors d'une présentation sur la stratégie adoptée pour la Cornet, je vous ai entendu dire que vous aviez été pas mal de temps impopulaire auprès des collaborateurs de Swinkels, mais que cela ne vous importait guère. 

Lorsque j'ai commencé à travailler chez Swinkels, j'ai pris la décision d'abandonner la marque Palm pour me concentrer sur la Cornet. Or, la plupart des collaborateurs de la brasserie ont toujours connu la bière Palm, si bien que cette décision m'a rendu plutôt antipathique. Il va sans dire que je trouvais cela dommage, mais un intérêt supérieur m'imposait de choisir la bonne stratégie et les moyens appropriés pour garantir le succès. On ne m'aimait donc pas beaucoup à cause de cette démarche, mais tout le monde a obtempéré. Après tout, il s'agissait d'assurer l'avenir de l'entreprise. Dans de telles circonstances, un dirigeant se doit de prendre des décisions courageuses. En présentant ce case Cornet, j'ai voulu surtout montrer l'importance de mobiliser toutes les forces vives d'une entreprise autour d'un projet. Si les collaborateurs n'y croient pas, les chances de réussite sont nulles. 

Je ne veux pas être la personne la plus populaire, mais celle qui parvient à donner un nouvel avenir à une entreprise et aux gens qui y travaillent. Je suis vraiment très fier de ce que nous avons réalisé avec la Cornet. Ce n'est pas tous les jours qu'une nouvelle marque parvient à s'imposer dans le monde de la bière. 

La marque Palm va-t-elle effectuer un come-back ?

Palm est en déclin depuis 2000, avec un recul plus rapide que la moyenne sur le marché de la bière. C'est la meilleure bière ambrée qui existe, elle a été copiée dans plusieurs pays, mais elle n'a pas réussi à s'adapter aux nouvelles attentes. On peut comparer cela à la situation de Stella dans les années 1990. Lors de mon analyse de la marque voici quelques années, j'ai tout de suite constaté qu'il n'était plus possible de sauver Palm avec les moyens dont nous disposions. Le capital de marque était clairement insuffisant en Belgique. Pour remettre Palm sur le devant de la scène chez nous, il faudrait un "big bang" et donc beaucoup d'argent et d'énergie. Ce n'est pas possible pour l'instant. Une autre option serait une relance progressive, ce qui me semble un scénario plus réaliste. Nous menons des projets intéressants pour promouvoir la brasserie, aussi à l'étranger, où Palm rencontre un certain succès. En matière de bières belges, Swinkels Brewery Family continue à mettre l'accent sur Cornet, et depuis peu aussi sur la Rodenbach. Ces marques affichent une belle croissance. 

Pour conclure, vous êtes l'un des trois nominés au titre de Marketer of the Year. Pourquoi voudriez-vous remporter ce prix ?

C'est déjà un grand honneur pour moi d'être nominé, mais j'aimerais le gagner car ce prix ne figure pas encore à mon palmarès. Je verrais cela comme un encouragement à poursuivre mes efforts en faveur du métier de marketer. Lors de ma présentation devant le jury, je me suis concentré sur la Cornet. Je trouve que c'est une excellente illustration de la manière dont le marketing peut contribuer à résoudre un problème business. En Belgique, tant les investissements que la fonction et la culture marketing subissent des pressions de plus en plus fortes. Avec cette étude de cas, j'ai souhaité inspirer les CEO et marketers en montrant comment nous avons réussi à imprimer un nouvel élan à une entreprise de 200 collaborateurs.

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