Nl

BRANDS

Dominique Leroy vs le système, par Fons Van Dyck (Think BBDO)

Vendredi 13 Septembre 2019

Dominique Leroy vs le système, par Fons Van Dyck (Think BBDO)

Pour les "initiés", le départ de Dominique Leroy de Proximus n’a rien d’une surprise. En revanche, son entrée chez KPN en est une. Si elle peut se targuer d’un parcours couronné de succès chez Proximus, il n’empêche que, ces douze derniers mois, les nuages menaçants s’accumulaient au-dessus de sa tête. Un CEO peut tenter de changer le système, mais c’est toujours le système qui finit par changer le CEO. Il s’agit d’une lutte inégale que même une personnalité du calibre de Dominique Leroy ne peut remporter. D’où sa décision de quitter le navire. Après quoi, le système reprendra plus que jamais ses droits. Le modèle AGIL dans la pratique.

À la fin juin, j’étais convié à donner une conférence sur mon livre "L’entreprise immortelle" dans le cadre magnifique de l’hôtel Pavillon du Zouteà Knokke. J’ai ensuite eu l’occasion d’interroger plusieurs capitaines d’industrie sur leurs expériences et recettes pour assurer leur survie à long terme. Dominique Leroy faisait partie des panélistes. Au cours des cinq dernières années, elle a présidé à la transformation, tant interne qu’externe, de Proximus. Son action n’est certainement pas passé inaperçue. Elle a transformé Proximus en une entreprise plus efficace et davantage orientée client. Les actionnaires se sont également frotté les mains en comptant leurs bénéfices : plus de 65% sur la même période (soit en moyenne 9% par an !). Selon De Tijd, l’opérateur est la deuxième entreprise de télécommunications la plus performante en Europe.
 
Mais quand je lui ai demandé ce soir-là si Proximus avait aussi changé Dominique Leroy, elle m’a répondu en pesant soigneusement ses mots. Elle n’a toutefois pu dissimuler une certaine émotion. Elle a admis que, contrairement à une entreprise classique, le CEO de Proximus subissait des pressions particulièrement fortes de la part de ses stakeholders et n’était jamais tout à fait maître de son programme. C’était une situation inédite pour elle (surtout par rapport à ses années chez Unilever), qui n’a pas toujours été facile à gérer. 
 
Sans mentionner de nom, elle a fait allusion à ses relations difficiles avec son ancien ministre de tutelle Alexander De Croo, qui s’était posé en défenseur des intérêts des consommateurs. Ce faisant, il reléguait Dominique Leroy au rôle de monopoliste, uniquement préoccupé par ses propres intérêts. Et ce, alors que ces mêmes pouvoirs publics touchaient chaque année sans rechigner un important dividende de Proximus. Ils faisaient pourtant montre de très peu de respect et d’appréciation à l’égard du travail accompli.
 
Les "insiders" savaient depuis pas mal de temps que la transformation interne battait quelque peu de l’aile, alors que les syndicats conservaient un pouvoir très grand au sein de l’entreprise. Le gouvernement fédéral ne voulait pas non plus entendre parler de conflits sociaux (entendez : de grèves) à l’approche des élections. Dominique Leroy a dû se sentir parfois très seule dans les tours de Proximus…
 
Ce soir-là, à Knokke, j’ai senti imperceptiblement qu'elle avait déjà jeté l’éponge dans sa tête. Elle se heurtait de plus en plus aux limites - et aux murs - d’un système profondément enraciné (dans le monde politique et les syndicats) qui semblait conjuré, mais qui, à des moments cruciaux, continuait à tirer les ficelles dans l’entreprise. Et sur lequel elle n’avait aucune prise. Dans pareille situation, soit le CEO se résigne (pour conserver son salaire ou maintenir la paix), soit il fait parler son honneur et donne sa démission. Dominique Leroy a opté pour ce second choix. Et on ne peut que l’en féliciter.
 
Son départ illustre une fois de plus la thèse de mon livre à propos des conditions de succès d’une transformation. Dominique Leroy a fait l’expérience qu’il ne suffisait pas de s’adapter à l’environnement extérieur (fonction A) ou d’atteindre des objectifs financiers (fonction G). Ce n’est que la moitié de l’histoire, et sans doute la partie la plus facile. En fin de compte, une transformation réussit ou échoue en raison de la capacité - ou de l’incapacité - de fédérer toutes les troupes (fonction I) et de renforcer l’identité et la culture de l’entreprise (fonction L). Il s’agit de chercher sans cesse un équilibre précaire entre le changement, d’une part, et la stabilité et la continuité, d’autre part.
 
Duco Sickinge, président de KPN et ancien CEO de Telenet, fait une affaire en or avec l’arrivée de Dominique Leroy au poste de CEO. Proximus et l’État belge, son principal actionnaire, sont les grands perdants dans cette histoire. La recherche d’un successeur ne sera pas facile, car celui-ci sera confronté à la tâche très ardue de concilier les intérêts contradictoires des actionnaires, consommateurs et employés de l’opérateur belge. Et ce, dans un marché qui va encore connaître d’importants bouleversements. Qui est prêt à s’aventurer dans cette fosse aux lions ?

Archive / BRANDS