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Kris Vervaet (DPG Media) : « Je veux tout mettre en oeuvre pour réussir l'intégration »

Jeudi 8 Août 2019

Kris Vervaet (DPG Media) : « Je veux tout mettre en oeuvre pour réussir l'intégration »

Dix-huit ans dans les télécommunications, six ans dans l’énergie et un peu moins d’un an dans les médias. Très brièvement résumé, tel est le parcours de Kris Vervaet, le CEO de DPG Media que nous avons rencontré à la veille du rebranding du groupe issu de la fusion entre Medialaan et de Persgroep Publishing.

Depuis l’annonce voici deux ans de la fusion entre De Persgroep et Medialaan, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts dans ce qui est loin d’avoir toujours été un long fleuve tranquille. Maintenant que la structure unifiée a enfin reçu un nom au terme des remaniements nécessaires, les équipes renouvelées et fusionnées pourront bien vite fonctionner à plein régime dans le bâtiment emblématique de Vilvorde et sur le nouveau site News City à Anvers. Depuis octobre dernier, ils peuvent également compter sur la vision et l’expérience d’un nouveau CEO. Encore méconnu dans le petit monde des médias, Kris Vervaet peut se prévaloir d’un parcours impressionnant en marketing et en ventes. Il possède qui plus est un atout de taille : il est familier des processus de transformation. 

Au départ, Kris Vervaet ne semblait pas du tout destiné à une carrière dans les médias. Après des études d’ingénieur civil à l’université de Gand, il a suit plusieurs formations en management à l’étranger, complétées d’un MBA à la prestigieuse Business School de Standford. Pendant la première partie de sa carrière, il travaille chez Belgacom et Proximus, où il participe à la transformation complète d’une entreprise de téléphonie classique en une entreprise triple play. « J’y suis resté jusqu’à mes 40 ans, puis j’ai reçu une offre très intéressante de la part du fournisseur d’énergie français EDF. Outre la perspective d’évoluer à l’international, j’ai été séduit par l’idée de changer d’air après avoir travaillé 18 ans dans le même secteur. » Pendant trois ans, il a occupé le poste de CCO en Belgique. Ensuite, le groupe l’a envoyé à Paris pour prendre les commandes des activités B2B sur le marché français. « Toute ma famille a déménagé avec moi. Pour ma femme et mes quatre enfants adolescents, cela a été aussi une véritable aventure. Cette période a été très agréable et riche en enseignements pour nous tous. Pas seulement donc sur les plans professionnel et social, mais aussi familial. »

Après trois ans et demi dans la capitale française, le temps était venu de prendre certaines décisions : « En raison de diverses circonstances principalement familiales, il nous a semblé préférable de rentrer en Belgique. Au même moment, j’ai rencontré Christian Van Thillo, qui m’a fait une belle proposition. Nous sommes tous partis vivre à Gand et j’ai troqué la Ville Lumière contre le paisible village de Kobbegem. » A l’été 2018, Kris Vervaet a rejoint la nouvelle structure englobant Medialaan et de Persgroep Publishing comme Director Publishing & Digital. 

Outre le changement de décor, il s’est trouvé confronté à un secteur entièrement différent. « Je connaissais un peu les médias pour avoir négocié les droits TV chez Proximus. Ce monde m’attirait énormément du fait de son atmosphère créative. On y est entouré de talents qui conçoivent et fabriquent des produits, tandis que les télécoms ou le secteur de l’énergie achètent des technologies et font en sorte que les gens puissent les utiliser. » Les grands défis auxquels les médias sont confrontés ont également stimulé son ambition, de même que l’ADN du groupe qui en était alors à la phase initiale de son intégration.

Deux mois plus tard, il devient CEO de la nouvelle entreprise, baptisée depuis peu DPG Media. Parallèlement à sa nomination est annoncée la création d’une structure BeNE sous la direction du Néerlandais Erik Roddenhof, qui conserve en même temps sa fonction de CEO du Persgroep aux Pays-Bas. « La structure BeNe garantit que chacun conserve son identité propre. En même temps, elle permet de tisser d’étroites relations entre les deux pays pour assurer une collaboration sur le plan technologique. Nous avons ainsi mis en commun nos services informatiques et numériques. » Une décision qui s’inscrit dans la bataille qui fait rage sur le marché en matière d’expertise : « De nos jours, les évolutions sont très rapides et il faut vraiment miser à fond sur les compétences pour ne pas être à la traîne en digital. Il faut donc recruter les meilleurs spécialises et partager les connaissances acquises. » Les échanges concernent d’ailleurs aussi les pratiques marketing. « Les défis sont si grands que c’est une grande chance de pouvoir discuter avec quelqu’un qui parle la même langue, mais qui évolue dans un marché différent et possède donc une expérience complémentaire. » 

Local versus global

La tâche d’unir deux entités comme Medialaan et de Persgroep Publishing, avec leur ancrage respectif dans l’audiovisuel et le print, est sans aucun doute une gageure. « Mon rôle en tant que CEO est de veiller à faire collaborer tout le monde pour renforcer l’ensemble. Les deux sociétés ont un passé très différent, mais présentent aussi de nombreux points communs que je constate tous les jours. » Ces similitudes se résument selon lui à l’aspiration partagée de toucher une très large audience. D’après Vervaet, 80% de la population flamande aurait recours quotidiennement à l’un des canaux de DPG Media. L’objectif est de les fidéliser en leur proposant des contenus inspirants. « Nous pouvons et devons partager ce rêve en nous appuyant sur tous les axes et canaux dont nous disposons en interne. Voilà le point de départ de nos valeurs et de notre stratégie. Il s’agit d’une grande responsabilité et d’un privilège que nous devons mériter. » 

Outre la qualité des contenus, il faut aussi veiller à les offrir de façon optimale à l’aide d’interfaces conviviales, de nature essentiellement numérique. C’est dans cette philosophie que s’inscrit le lancement récent de VTM GO, la plateforme VOD gratuite qui propose à la fois des programmes maison, mais aussi des séries flamandes et internationales. « Cela nous a demandé énormément de travail pour tout mettre au point, mais le lancement a rencontré un vif succès, avec entre-temps quelque 4,9 millions de vues. 50% proviennent de nouveaux utilisateurs ou d’internautes n’ayant plus été actifs depuis longtemps sur nos plateformes. Cela illustre l’importance de cette nouvelle forme de consommation vidéo, et cela vaut aussi pour les contenus locaux. » 

Le grand intérêt suscité par ces contenus locaux est également la raison pour laquelle Kris Vervaet est plus décidé que jamais à œuvrer pour la création d’un Netflix flamand. « Le niveau des productions flamandes est nettement supérieur à celui d’autres pays. Nous n’en sommes pas toujours conscients, mais c’est encore plus frappant quand on a vécu quelque temps à l’étranger. C’est pourquoi nous sommes convaincus de la pertinence d’offrir aux Flamands une offre locale qui viendrait compléter celle des acteurs internationaux. Nous pensons disposer d’une dose suffisante de créativité en interne pour pouvoir mettre sur pied une plateforme SVOD sans publicité.Nous aimerions le faire avec d’autres acteurs, mais s’il le faut, nous mènerons ce projet seuls. Une collaboration à ce niveau serait pourtant une excellente façon de sauvegarder la richesse des médias flamands. Car il ne faudrait pas sous-estimer la menace que représente la concurrence internationale. »

Un avertissement qui vaut également pour le marché publicitaire : « Nous avons beaucoup investi pour nous distinguer des Gafa grâce à notre ancrage local. Nos activités ne se limitent pas non plus aux chiffres et aux technologies, elles visent aussi l’entretien de bonnes relations avec les responsables marketing chez les annonceurs en vue d’engager des partenariats qui assurent le succès de leur entreprise. »

La création d’un studio dédié au branded content, intégrant l’agence créative Flexus et dirigé par Isabel Peeters, transfuge de BBDO, est également un pilier essentiel de cette philosophie. « C’est tout un art que d’associer de façon naturelle des contenus de qualité à une marque. J’ai connu Isabel chez Proximus (elle gérait le budget pour Duval Guillaume à l’époque, ndlr.) et je suis sûr qu’elle cadrera parfaitement avec l’équipe. Nous n’avons nullement l’intention de devenir une agence de communication importante, mais nous voulons être en mesure de répondre à la demande de nos clients en matière de branded content. »

Accélération digitale

Pour mener à bien sa mission, DPG Media dispose désormais d’un portefeuille de 35 marques. Aux dires du CEO, celles-ci sont évaluées en continu sur la base de leurs performances, des attentes des consommateurs et de leur place dans la stratégie. Raison pour laquelle certaines sont passées à la trappe en dépit de leurs qualités intrinsèques, comme cela a été le cas dernièrement avec Eos et Bahamontes. « Notre expertise magazine se concentre sur le showbiz et les magazines féminins. La science est un créneau trop restreint. Même constat pour Bahamontes. Je suis moi-même un passionné de cyclisme, mais le titre était trop confidentiel pour que l’on puisse continuer à y investir. » 

Cela dit, il est encore possible que le portefeuille s’étoffe, à condition que cela permette au groupe de lancer des initiatives uniques et que les nouveaux venus cadrent avec la stratégie, et surtout avec l’expansion numérique. « Les médias classiques ne sont certainement pas morts, mais le numérique est devenu vital. Cela vaut tant pour la publicité que pour les contenus. Les abonnements numériques doivent être un pilier essentiel de notre modèle de revenus. » Une stratégie qui porte déjà ses fruits pour les quotidiens. Dans le cas du journal De Morgen, qui a récemment fait l’objet d’une refonte radicale en ligne, plus de la moitié des abonnements incluent aujourd’hui un volet digital. Dans la presse magazine, cette transition est moins évidente. « Malgré la bonne santé de nos magazines, qui touchent encore une large audience, nous n’avons pas encore trouvé la bonne déclinaison digitale. En tout cas, nous avons au moins réussi à créer un lien fort entre hln.be et nos titres showbiz. Le site et l’appli de hln.be offrent désormais de nombreuses possibilités pour proposer à nos cibles du divertissement sous forme digitale. Nous devons maintenant voir comment créer d’autres canaux numériques à partir des magazines. C’est un sacré défi. »

Il va sans dire que les interfaces numériques jouent aussi un rôle important en radio, mais pour d’autres raisons. « Nous investissons dans le DAB+, mais aussi dans le streaming via le lancement de canaux simultanés, comme avec Joe. En outre, nous suivons de près le grand retour du podcast, un phénomène en pleine expansion. Le podcast des DJ de Qmusic, Maarten et Dorothee, avec leurs 10 questions les plus souvent googlées sur un BV, a été téléchargé plus de 400.000 fois. Ce n’est donc plus une niche. » Par ailleurs, DPG Media est présent sur le nouveau radio playerlancé en collaboration avec les autres stations flamandes. « Nous devons l’être également sur les enceintes intelligentes et nous assurer qu’elles ne proposent pas uniquement Spotify aux consommateurs qui veulent écouter de la musique. Nous ne pouvons pas rater ce coche. » 

L’importance du casting

Ce ne sont donc pas les défis qui manquent, mais cette situation a plutôt l’air d’enchanter Kris Vervaet : « J’adore piloter les gens dans les moments difficiles et mener à bien des projets dans des conditions délicates. C’est souvent cela qui permet de faire la différence, en s’appuyant sur des gens aux horizons très variés. Je consacre beaucoup d’énergie au casting, à réunir les bonnes personnes et à m’assurer qu’elles travaillent bien ensemble. Je ne crois pas au management qui entrave à l’autonomie, au talent et à la créativité. Il faut donner une grande liberté aux bons professionnels. »

Selon lui, cette attitude l’a également aidé dans sa propre ascension professionnelle. « Alors que je venais d’être nommé CEO, je me suis mis à réfléchir sur la façon dont j’étais arrivé là. C’est en partie grâce à des gens qui ont osé prendre un risque en faisant appel à moi. Je pense par exemple à Dennis Carr, qui m’a nommé directeur chez Proximus à 29 ans, ou à Henri Lafontaine chez EDF, qui m’a confié le marché français, alors que j’étais Flamand. Bien sûr, je dois aussi beaucoup aux personnes qui m’ont inspiré chez Belgacom, comme Michel De Coster (ex directeur de la division business, ndlr.) et l’ancien président de l’UBA, Walter Gelens (aujourd’hui chez akkanto, ndlr.), qui m’ont appris, entre autres choses, à gérer une pression importante à un haut niveau de décision. Christian Van Thillo fait aussi partie des deux listes, même si nos relations sont encore récentes. »

Comme la plupart des professionnels du secteur, Vervaet éprouve une admiration bien compréhensible à l’égard de Van Thillo : « Le dynamisme des médias flamands est frappant, il y a peu de secteurs dans lesquels nous rayonnons autant à l’international. Cela montre bien la trempe des entrepreneurs, tels que Christian, qui sont à la base de ces succès. Il constitue un atout de taille pour l’entreprise. Nous nous voyons et parlons très régulièrement. Dans cette entreprise, nous formons une équipe très restreinte, mais très soudée. C’est pour moi une bouffée d’oxygène par rapport aux mégastructures dans lesquelles j’ai travaillé, où les actionnaires étaient souvent bien loin. Ici, nous les avons à portée de main, tout comme le reste du top management. C’est essentiel pour notre avenir, car cela nous permet de prendre des décisions rapides, une condition indispensable pour réussir. Chez EDF, 70% des discussions portaient sur la manière de grandir en réactivité et agilité. »

« Je veux tout mettre en œuvre pour réussir cette intégration unique entre une société audiovisuelle performante et un acteur presse tout aussi efficace. C’est un travail de pionnier qui prendra sans doute quelques années. » Il considère la future culture d’entreprise comme essentielle dans la réussite du projet. « L’ADN est crucial pour une entreprise. Nous représentons la qualité et la créativité, avec passion et en étant constructifs. Pour gagner, il faut unir les forces. Ce sont les valeurs partagées dans les différents sites. » Il compte notamment favoriser cette culture d’entreprise en menant des projets communs. « C’est une réalité qui me fascine énormément : la meilleure façon de tisser des liens consiste à inciter les gens à travailler ensemble sur des projets importants, où tous nos canaux se renforcent. Cette perspective suscite l’enthousiasme général et entraîne peu à peu des rapprochements. Nous vivons des temps formidables. »
 

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