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CANNES LIONS 2019

Scott Galloway : « Suivre sa passion? C'est le conseil le plus stupide que l'on puisse donner... »

Mercredi 31 Juillet 2019

  Scott Galloway : « Suivre sa passion? C'est le conseil le plus stupide que l'on puisse donner... »

Notre entretien avec le gourou du marketing Scott Galloway ne doit pas dépasser les 15 minutes. Le professeur de Harvard va donc droit au but : « Vous avez travaillé dans la publicité ? Comme créatif ? Copywriter, ah bon… Dans ce cas, ce que je vais vous dire risque de vous déplaire : on exagère l’importance de la créativité. Ou plutôt : le concept même de créativité a perdu toute consistance. On l’emploie à tort et à travers. Tout au plus 2% de la population fait preuve d’une réelle créativité, et ces gens sont loin de tous travailler pour une agence de pub. »
 
Vous ne citez pas ces noms au hasard : Amazon, Apple, Google et Facebook détruisent le monde, dites-vous. 
 

Cela ne fait aucun doute. Mais si nous voulons vraiment aider les jeunes à progresser sur la voie de la sécurité et de l’indépendance économiques, voilà les quatre cours que je donnerais en première année d’université, certainement aux étudiants en économie ou en marketing : le cours Amazon, le cours Apple, le cours Google et le cours Facebook. Car il suffit de comprendre le fonctionnement de ces quatre géants pour savoir comment fonctionnent les médias, le commerce, l’économie et la société dans leur ensemble. Cela dit, si Dorsey et Musk se comportent comme de vieux adolescents, d’autres comme Jeff Bezos ou Steve Jobs ont prouvé à plusieurs reprises qu’ils étaient de de beaux salauds sans scrupules. Steve Jobs a commis un parjure et menti en niant sa paternité pour ne pas devoir payer de pension alimentaire. À l’époque, sa fortune était estimée à 250.000 dollars. Et cet homme est adoré partout en Occident pour sa vision de la vie. We don’t need another Steve Jobs or better phones, we need better fathers.Mais bon…
 
Vous ne pensez pas non plus que ce soit une bonne idée de recommander aux gens de suivre leur passion…
 
Plus que cela, je pense que c’est le conseil le plus stupide que l’on puisse donner à quelqu’un. On ferait mieux d’encourager à chercher ce en quoi on est bon et à s’y investir et become great at it. C’est des conneries de dire qu’il faut suivre sa passion. Les gens qui vous font ce genre de recommandations sont généralement devenus riches en développant des services informatiques. Or, je suis persuadé que cela ne les passionne pas du tout. Ce qui en fait des types passionnés, c’est le savoir-faire qu’ils ont acquis et les avantages qui en découlent : argent, niveau de vie, statut social… Les thèmes vraiment passionnants - le sport, le cinéma, la gastronomie, etc. - fournissent un retour sur investissement particulièrement faible pour la plupart des gens. En général, le sex appealet le return on investmentsont inversement proportionnels. Le facteur le plus décisif pour votre bonheur est le choix de votre partenaire dans la vie. 
 
J’utilise à dessein le mot "partenaire", parce que la personne avec laquelle on partage sa vie ne doit pas être seulement quelqu’un qu’on aime et qui vous aime. Ce doit être une sorte d’associé. Si la condition de célibataire peut certainement être très gratifiantes, il n’empêche que, d’ordinaire, ce sont les gens engagés dans une relation stable qui sont les plus heureux. Et ils ont souvent aussi des enfants. Néanmoins, je ne crois pas - bien que je sois moi-même un père comblé - que les enfants soient indispensables au bonheur. 
 
Le choix du bon partenaire tient à trois choses : l’attirance physique - sexualité et affectivité -, le fait de partager des valeurs et un projet de vie, et l’attitude des deux partenaires envers l’argent. La principale raison pour laquelle les couples se séparent n’est pas l’infidélité, mais des divergences de vues sur le thème de l’argent. Ce qu’on veut gagner et qui s’en occupe dans le couple, ce qu’on souhaite dépenser et pour acheter quoi… Voilà les éléments de base pour construire une relation harmonieuse. 
 
Autre mythe qui a la vie dure : l’équilibre. Connaissez-vous une seule personne dans la quarantaine ayant une vie sociale harmonieuse, une relation équilibrée, des revenus satisfaisants et un travail valorisant, et qui tient aussi un blog culinaire à succès et fait régulièrement du triathlon ?
 
La raison pour laquelle je trouve maintenant un équilibre dans ma vie, c’est que celui-ci était absent il y a 15 ans. Il faut tout mettre en œuvre pour atteindre cet équilibre à ses 45 ou 50 ans. Et cela demande beaucoup de travail. Il faut s’épanouir sur le plan professionnel avant l’âge de 40 ans afin de pouvoir récolter cet équilibre dès l’âge de 50 ans. On ne peut pas tout avoir en même temps, et surtout pas avant ses 45 ans…
 
Pendant votre talk, vous avez évoqué l’opposition entre "sweating" et "watching" dans la quête du succès. Que voulez-vous dire exactement ?
 

Le rapport entre le temps que vous passez à transpirer et le temps que vous passez à regarder les autres transpirer est un indicateur sûr pour savoir si vous avez du succès. Le "sport de salon" est la pire des choses. Une règle d’or pour tous ceux qui regardent le sport à la télévision : ne regardez pas plus de temps que celui que vous consacrez au sport le même jour. Les 20% des managers les plus performants du monde, quels que soient leur activité, leurs méthodes ou leur secteur, ont une chose en commun : ils font tous au moins 45 minutes de sport par jour.
 
Outre la forme physique, ne pas suivre aveuglément sa passion et relativiser l’importance de la créativité, l’argent est-il lui aussi essentiel à notre bonheur ?
 
En tout cas, il y a une corrélation claire entre l’argent et le bonheur. Les personnes au revenu moyen sont plus heureuses que celles au faible revenu. Et les personnes au revenu élevé sont plus heureuses que les personnes au revenu moyen. Mais, à partir d’un certain plafond, cette corrélation cesse d’opérer. Les milliardaires ne sont pas plus heureux que les millionnaires. Cela dit, ils ne sont pas plus malheureux non plus, comme on le prétend parfois. Une fois que l’on a atteint une certaine sécurité économique, le rapport entre argent et bonheur disparaît. 
 
La période la plus heureuse de l’existence est située généralement entre 15 et 25 ans. De 25 à 50 ans, on affronte le monde réel. That’s when shit gets real.On commence à se rendre compte qu’aucune dalle n’a été réservée pour nous sur le Walk of Fame et que l’on ne va pas non plus donner son nom à un parfum quand on aura 25 ans. On commence à se comparer à d’autres personnes, généralement meilleures et plus performantes que nous. Quand on atteint les 35 ans, on est généralement désabusé par ce que la vie nous a apporté jusque-là. C’est tout à fait normal. Pendant cette période, on se met aussi à accumuler un tas de choses parce qu’on pense que ça peut nous rendre heureux.
 
Entre 47 et 50 ans, le bonheur nous sourit de nouveau. Les enfants deviennent moins insupportables et l’on se rend compte que ce qui nous définit, ce sont les expériences acquises, et non les biens amassés. 
 
En ce qui concerne l’argent, il faut commencer à en mettre de côté le plus tôt possible. Pour vous, c’est sans doute trop tard. Einstein aurait dit un jour : « Le taux d’intérêt sur l’épargne est la plus grande force de l’univers. » L’utilité de l’épargne est la plus grande pour le groupe de population qui en perçoit le moins les avantages : les jeunes. Et pourtant, c’est de la magie pure : on met de côté 1.000 euros aujourd’hui, et dans 40 ans, ce montant sera passé à 20.000, voire 25.000 euros. Et ces 40 ans, croyez-moi, filent à toute vitesse… Ce n’est pas votre salaire qui vous rend riche, mais bien ce que vous dépensez. Ou plutôt : ce que vous ne dépensez pas. Épargner et - plus tard - investir, voilà deux actions cruciales pour votre bonheur. Avoir un plan d’épargne-pension, c’est bien, mais bénéficier d’options d’achat d’actions dans son entreprise, c’est encore mieux.
 
Avez-vous encore une dernière recommandation à nous faire ? 
 
Acceptez vos échecs futurs, tout en étant déterminé à rebondir à chaque fois. Be resilient.Investissez dans vos amitiés et votre relation et laissez-les investir en vous. Acceptez le fait que vous n’êtes pas immortel. Be responsable.Be kind.Soyez conscient que vous n’êtes qu’en partie responsable de vos succès et vos échecs. Et ne vous faites pas trop de soucis. Vous faites du triathlon, hein ? Alors, you’ll be alright.

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