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CANNES LIONS 2019

Un peu d'IA ne fait de tort à personne, par Frederik Braem (Brightfish)

Jeudi 11 Juillet 2019

Un peu d'IA ne fait de tort à personne, par Frederik Braem (Brightfish)

Plusieurs semaines avant le début du Festival, les blogueurs publicitaires se mettent à bombarder l’Internet de spéculations sur les tendances et les sujets que nous pourrons fourrer dans notre tote bag à Cannes. Et, le plus souvent, ces prédictions s’avèrent exactes. Il faut dire que ce n’est pas sorcier : le contenu est roi, la diversité est le gage d’une plus grande créativité, les femmes méritent d’être mieux considérées et nous buvons tous beaucoup trop de rosé. (Entre nous : ces plaisanteries sur le rosé sont plus vieilles et usées que le tapis de ma chambre d’hôtel. Il est peut-être temps d’enterrer ce cliché…) Mais, cette année, un thème a été traité de façon plus nuancée que prévu : l’intelligence artificielle. 

Cannes et la technologie, c’est comme un buddy movie dont les deux protagonistes ne savent pas se sentir dans les coulisses. Un cas de "Je t’aime moi non plus" aigu, car quid de la créativité ? La technologie, c’est cool, d’accord, mais le plus important, c’est quand même que les gens laissent parler leur cœur et leur âme pour transmettre efficacement le message de la marque aux consommateurs, non ? Il n’y a pas de mal à jongler avec les nouvelles technologies, du moment qu’elles restent au service de la créativité. Elles ne doivent pas entraver notre processus créatif, mais être un catalyseur d’idées (comme la réalité augmentée). Sinon, mieux vaut s’en passer (comme la réalité virtuelle).

Alors, que dire de l’intelligence artificielle, une innovation technologique qui a dépassé le niveau du gadget pour s’ancrer durablement dans notre quotidien ? Vous n’allez quand même pas me faire croire que vous ne parlez pas encore à votre four multifonctionnel ? 

Sur ce point, Cannes ne sait pas très bien quelle position adopter. On le constate aux sujets abordés lors des séminaires cette année : jusqu’où peut-on permettre à l’IA d’intervenir dans le processus créatif ? Ou faut-il la proscrire purement et simplement ? Autre question encore plus fondamentale : est-on certain que ça marche ? 

Bref, sur la Croisette, un scepticisme de bon aloi côtoie l’enthousiasme des commerciaux férus de technologie.

Cette discussion a ceci de fascinant qu’elle touche au cœur même de notre métier. Un ordinateur est-il capable de concevoir et d’exécuter une campagne avec un minimum d’intervention humaine ?



Le professeur Steven Pinker, psycholinguiste et homme d’une intelligence remarquable, est venu rassurer une salle bondée. Son conseil d’outsider : adoptez sans réserve l’IA sous toutes ses formes, car c’est une réalité formidable et, de toute façon, elle ne pourra jamais fonctionner sans nous. Le rôle de l’IA est d’analyser les données pour détecter des structures récurrentes dans un auto-apprentissage constant. Mais ces données doivent être introduites par un être humain. Cela reste le point de départ, qui ne changera pas dans l’immédiat.

Un autre argument avancé par Pinker pour rassurer les créatifs relève de la poésie. En tant que linguiste, le langage est son matériau de travail. Or, en termes de langage créatif, les gens sont proprement imbattables. Un ordinateur peut former des phrases à partir de règles grammaticales, mais nous pouvons faire beaucoup mieux. Une phrase loufoque du genre "Le chef a fait cuire mon steak trop longtemps, tout comme le coiffeur m’a coupé les cheveux trop courts hier" peut quand même être correctement interprétée par un homme une femme, tandis qu’un ordinateur s’emmêlera les pinceaux. Du moins s’il ne reçoit pas un petit coup de pouce humain. Analogie, poésie, métaphore… 

Tout cela reste notre chasse gardée, de même que concevoir des idées, interpréter le contexte, hésiter, ressentir des émotions et soupeser. Et si vous n’en êtes pas encore convaincu, allez donc visionner la campagne de Burger King qui fait appel à l’IA, d’une absurdité savoureuse. Cherchez-la sur Google, ou demandez à Siri.

L’intelligence artificielle est fantastique et ses applications dans différentes formes de publicité se multiplient sans cesse (en gagnant des prix), mais tout le monde s’accorde à dire que ce n’est pas demain la veille que Robocop va remporter un Bronze dans la catégorie PR…

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