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Walter Iuzzolino : « La TV linéaire est le meilleur moyen de promouvoir la fiction en ligne »

Vendredi 5 Avril 2019

Walter Iuzzolino : « La TV linéaire est le meilleur moyen de promouvoir la fiction en ligne »

Medialaan-dPP a lancé en début de semaine sa plateforme gratuite de VOD en ligne, VTM Go. L’un des atouts du concept est "Walter Presents", une sélection de séries non anglophones qui seront proposées exclusivement aux téléspectateurs flamands via la plateforme. MM a pu s’entretenir avec son créateur, Walter Iuzzolino, qui a commencé sa carrière en tant que producteur TV chez Channel4.

En Grande-Bretagne, "Walter Presents" remporte un très beau succès. Lancée entre-temps aussi dans des pays comme les États-Unis et l’Italie, la plateforme fait maintenant son apparition chez nous. Pouvez-vous nous la présenter brièvement ?

"Walter Presents" a vu le jour sur Channel4, pour permettre aux téléspectateurs de regarder gratuitement les séries en ligne, comme dans le cas de VTM Go, ce service étant financé par de la publicité. Aujourd’hui, il est également disponible d’autres pays, dont l’Italie et les Etats-Unis. 

J’ai lancé cette initiative en partant du constat que bon nombre de séries à succès étaient visibles uniquement dans leur pays d’origine. Je me suis aperçu qu’il existait un intérêt pour disposer d’un guide orientant les téléspectateurs à travers l’offre gigantesque de fiction internationale. Pour sélectionner les séries télévisées, j’en regarde moi-même pendant environ 3.500 heures par an, sans recourir à des algorithmes. Une fois la sélection terminée, je rédige un bref commentaire pour chaque série afin d’aider les téléspectateurs à faire leur choix.

Pourquoi avoir choisi de collaborer avec VTM Go ?

Je connaissais le travail accompli ici grâce à des séries comme "Clan" - qui reste l’une de mes favorites de tous les temps - et "13 Geboden". En tant que curateur de contenus, je considère VTM comme le partenaire idéal pour présenter ma galerie de perles rares, elle présente un profil assez proche de celui de Channel4 : toutes deux sont des chaînes commerciales très attachées à leur ancrage local, avec une programmation de premier plan qui table à la fois sur le glamour et la curiosité intellectuelle. Qui plus est, le lancement de la plateforme avait été motivé par des objectifs similaires. 

La télévision en direct est en effet sous pression, en partie à cause de la concurrence des services de VOD payants tels que Netflix ou Amazon Prime. Il est donc intéressant d’investir dans une vaste plateforme AVOD (advertising based video on demand), offrant gratuitement des contenus de qualité. Il y a déjà tellement de services payants qui s’efforcent tous de recruter des abonnés et qui misent en grande partie sur la fiction. En effet, celle-ci est à l’origine des changements de comportement qui ont un tel impact disruptif sur la consommation linéaire de la télévision. Les séries ont causé le phénomène du binge watching, d’abord sous forme de coffrets DVD, et plus tard par le biais du streaming et de la VOD. Si la télévision classique reste populaire pour suivre les informations et les événements sportifs, les gens ne sont en revanche plus disposés à attendre huit à 10 semaines pour visionner tous les épisodes d’une série. 

La fiction est donc le principal moteur de la révolution qui ébranle le monde de la télévision et de la vidéo. Quand on lance un service de streaming, on est donc obligé de miser à fond sur la fiction. 

A cet égard, VTM Go est une initiative géniale, car elle ne se limite pas au simple catch-up. La plateforme propose aussi des contenus premium en exclusivité qui en font une destination à part entière. 

Quel rôle la télévision linéaire pourrait-elle encore jouer à l’heure où la consommation vidéo se fragmente de plus en plus ?

Dans le cas de VTM Go, la télévision linéaire est le meilleur moyen de promouvoir la vision en ligne et de générer du volume, par exemple en diffusant en direct un ou plusieurs épisodes. Cela peut même se faire tard dans la soirée et il n’est pas nécessaire d’obtenir une forte audience. Un bon épisode attire l’attention de la presse, et l’on constate après coup qu’une heure de télévision linéaire entraîne des millions de streams en ligne. 

A l’avenir, il faudra intensifier les interactions entre vision linéaire et en ligne. Le linéaire doit se réinventer : il représente encore un grand volume et a le pouvoir de transformer un sujet en "talk of the town", mais ce n’est plus une destination exclusive. Il doit apprendre à fonctionner comme un outil de marketing pour ce qui se passe en ligne. Cette interaction permet de s’adresser à un public très difficile à atteindre via la télévision. On a besoin de marques amphibies qui soient à la fois présentes en linéaire et en ligne au sein d’un écosystème donné. Sans cela, il y a de fortes chances que la télévision perde une génération entière au profit de Netflix & Co.

Comment choisissez-vous les séries ?

Je suis ouvert à différents genres, mais je base mes choix sur trois critères. Il doit s’agir de grands succès dans le pays d’origine, donc pas de produits cultes réservés à une poignée d’initiés. J’opte pour des séries populaires, qui sont à la fois bien écrites, bien jouées et bien produites : le game changerHBO définit ici la norme. Et je m’oriente vers des séries qui ont également plu à la critique ou qui ont été récompensées par des prix. J’aime la combinaison du succès populaire et du succès critique ; en même temps, je cherche aussi des productions originales qui sortent des sentiers battus.

Vous ne tarissez pas d’éloges à l’égard de la fiction flamande. Qu’est-ce qui la différencie selon vous ?

La fiction flamande a longtemps été ignorée et dominée par ce qui se faisait dans les pays scandinaves. Une série comme "Clan" en dit pourtant long sur ce qu’on peut trouver en Flandre : les productions se caractérisent par un flair artistique incroyable et par l’art de combiner toutes les tonalités et tous les genres possibles. C’est un trait unique et tout à fait propre à ce pays. 

De plus, la fiction flamande se distingue par une certaine capacité d’auto-relativisation et par le talent de travailler avec un budget limité, ce qui signifie que le travail est fait avec soin et savoir-faire. Le manque de ressources oblige les décideurs à chercher des solutions créatives. Cela débouche aussi sur une plus grande liberté, parce que les intérêts sont moins importants. 

Je crois que les mêmes caractéristiques s’appliquent du côté francophone. Qui plus est, l’obligation pour les deux cultures de coexister procure une richesse unique.

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