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L'identité de marque des agences est-elle soluble dans les holdings ?, par Fred Bouchar (MM)

Dimanche 17 Mars 2019

L'identité de marque des agences est-elle soluble dans les holdings ?, par Fred Bouchar (MM)

Les consommateurs disent que 77% des marques pourraient disparaître demain sans que cela ne les émeuve outre mesure. Il est fort à parier que les annonceurs disent la même chose des marques agences. Voire même les holdings qui détiennent ces marques : de plus en plus d'enseignes sont fusionnées ou disparaissent purement et simplement. Cette érosion est-elle inévitable ? 
 
C'est la question qu'a posée la plateforme britannique Creativebrief à quelques fondateurs d'agences, dont John Hegarty. La figure de proue de BBH n'a pas été tendre à l'égard des holdings : « They are detrimental to the future of the industry because they extract value from the companies they buy instead of investing in them. Holding companies have done their best to destroy the individuality of agencies. » 
 
Selon Hegarty, d'autres industries créatives s'en sortent nettement mieux dans des circonstances similaires. Il donne l'exemple du secteur de la mode : « When their holding companies take over a fashion brand, the first thing they do is put a big name designer in there. » 
 
« The highest paid people in our industry are accountants. They want profit, which destroys creativity. Holding companies don’t think long-term », ajoute-t-il. 
 
Il est clair cependant que les holdings ne sont pas les seuls responsables de cette situation que l'on peut plus fondamentalement imputer au tsunami digital qui a ouvert la voie à l'ubérisation du modèle des agences. Une étude de Forrester souvent évoquée dans ces colonnes, prévoit la disparition à moyen terme de la moitié d'entre elles et la constitution d'un « cimetière d'agences, jonché des plus vieux noms du secteur ».
 
D'interlocuteurs exclusifs, les agences seraient devenues de plus en plus souvent des prestataires secondaires. Lorsqu'elles ne sont pas tout simplement zappées, au profit d'acteurs maîtrisant aussi bien, sinon mieux qu'elles, les technologies. La menace est multiple, les agences doivent se défendre sur tous les fronts : Gafa, consultants, start-ups, pure players programmatiques… Sans parler de cette tendance à l'internalisation chez les annonceurs. Récemment, Unilever annonçait avoir réalisé 500 millions d’économies en rapatriant à l’interne une partie de ses créations publicitaires.
 
A juste titre, tous les groupes évoquent la nécessité de faire évoluer le modèle des agences à l'aune de la transformation digitale et des data. Pour autant, on peut se demander si en privilégiant les aspects technologiques au détriment de leurs valeurs intrinsèques, les agences n'ont pas été amenées à prendre trop vite des virages trop serrés et trop proches les uns des autres, au prix d'une perte de singularité et d'identité de leur marque. 
 
Dans son dernier livre, Fons Van Dijck parle longuement de l'identité comme l'un des piliers de "l'entreprise immortelle". Du reste, cette notion d'identité est aussi mise en avant par toutes les agences lorsqu'elles parlent de brand equity à leurs clients. Mais lorsqu'il s'agit de leur propre marque, force est de constater qu'à l'exception d'une poignée d'acteurs indépendants que nous connaissons tous, rares sont les enseignes liées aux groupes internationaux qui peuvent encore se targuer d'une réelle identité de marque. Pour le coup, Hegarty a sans doute raison : « Holding companies have done their best to destroy the individuality of agencies. »

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