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CREATIONS

Ben Priest (ex Adam & Eve/DDB) : « La plupart des publicités actuelles sont mauvaises, mais il en a toujours été ainsi »

Samedi 15 Décembre 2018

Ben Priest (ex Adam & Eve/DDB) : « La plupart des publicités actuelles sont mauvaises, mais il en a toujours été ainsi »

Mercredi dernier, le légendaire CD et co-fondateur d’Adam & Eve/DDB, Ben Priest, était l’invité de Creative Belgium, à l’occasion d’un événement exceptionnel, qui attiré les foules. Le créatif archi-primé est venu expliquer les 10 erreurs qui lui ont permis d’atteindre les sommets. Quant à MM, nous n’avons pas commis l’erreur de ne pas profiter de l’occasion, pour l’interviewer dans la foulée. 
 
Vous avez annoncé votre départ d’Adam & Eve/DDB et de la publicité en juin dernier, après avoir passé dix ans au sommet. Pourquoi ? Avez-vous eu l’impression que votre mission était terminée ou le travail ne vous plaisait-il plus ?

J’avais le sentiment d’avoir fait tout ce que je voulais faire dans le secteur de la publicité. Et j’en éprouve une très grande gratitude. J’ai travaillé pendant trente ans dans la publicité et Adam & Eve/DDB venait de souffler ses dix bougies. Moi-même, je venais de passer le cap de la cinquantaine. Et tous ces anniversaires ont eu lieu en six semaines ! Je me suis beaucoup amusé et l’agence était en parfaite santé, mais je me suis rendu compte que le moment était venu pour moi de tourner la page. Cette décision ne s’explique donc pas par une perte de motivation, car je suis toujours convaincu qu’il s’agit d’un métier formidable. Il vous permet de plancher sur des projets très variés, de courte durée ou longue haleine, avec des thèmes tantôt joyeux, tantôt tristes. Vous êtes en plus entourés de jeunes professionnels brillants. La seule chose, c’est que j’avais peur de me répéter en restant. C’est cela que j’ai voulu éviter.

Six mois se sont écoulés entre-temps. Avez-vous des regrets ?

Pas le moins du monde. Je me demande comment j’ai bien pu faire pour exercer un tel job pendant toutes ces années, car mon emploi du temps reste très chargé. Ce n’était pas non plus une décision impulsive. Une fois qu’on a pris la porte, on ne peut plus faire marche arrière. Il faut donc être sûr à 100 %. 

Précisément, à quoi ressemble votre emploi du temps ?

Je passe beaucoup de temps avec mes enfants. Je suis également en train de rénover ma maison en Cornouailles, au bord de la mer. Pour le reste, je travaille sur un scénario de film que j’essaie de vendre. Ma femme et moi avons également investi dans quelques start-ups spécialisées dans l’énergie verte. J’ai aussi deux, trois passe-temps bizarres comme la pêche, le golf... Enfin, mes enfants sont jeunes et mes parents sont encore en vie. Cela me donne beaucoup d’énergie. 
 
Vous avez quitté le camp des Mad Men pour entrer dans celui des consommateurs. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la publicité ? Vous intéresse-t-elle encore ?

La plupart des publicités actuelles sont mauvaises, mais il en a toujours été ainsi. Et puis, on continue bien sûr à trouver des perles rares. Il y a pas mal d’années maintenant, le célèbre annonceur britannique John Webster, commentant la réalisation d’un spot télé, disait : « 18 millions de personnes pourront voir votre création. Faites-en donc un petit bijou. » Même si les spots ont quelque peu perdu en importance aujourd’hui, ce principe est plus que jamais d’actualité : des dizaines de millions de personnes peuvent voir et même commenter votre création. C’est une formidable opportunité. 

Dans une interview pour le magazine britannique Campaign, vous avez exprimé votre inquiétude concernant le peu d’intérêt que l’on montre à l’égard des campagnes s’adressant à l’homme de la rue. Qu’entendez-vous par là ?
 
Je pense qu’il est difficile de faire de la publicité pour des produits d’usage quotidien comme les déodorants, le papier hygiénique, etc. Les créatifs se montrent très réticents face à ce genre de projets. Ils préfèrent concevoir des campagnes pour une bonne cause ou pour résoudre un problème mondial. Dans notre profession, nous parlons donc constamment de campagnes que des millions de personnes ne voient jamais. De même, les publicitaires battent sans cesse leur coulpe, alors que Monsieur Tout-le-monde s’en fiche éperdument. C’est pourquoi nous devons de nouveau consacrer nos meilleures énergies aux campagnes pour les produits de la vie quotidienne. DDB n’a pratiquement jamais travaillé pour des œuvres caritatives ou des organisations non marchandes. Notre ambition était de créer des campagnes formidables pour des produits réels que les gens peuvent acheter en magasin. C’est très louable de mettre sa créativité au service de bonnes causes, mais pourquoi tous les créatifs suivent-ils cette voie aujourd’hui ? La réponse est simple : parce qu’il est plus facile de concevoir des campagnes dans le cadre de telles initiatives que pour des marques ou produits "commerciaux". Il convient donc d’être vigilant sur ce point. 

Selon vous, quelle est la recette d’une bonne campagne publicitaire ?

Le point de départ d’une bonne campagne est l’honnêteté. Tant en interne, sur les idées proposées, qu’avec le client. Ne vous contentez pas d’une idée à moitié bonne. On ne peut rien créer de génial avec une équipe de béni-oui-oui. Dans le secteur de la publicité, il y a trop de gens qui veulent faire bonne figure. Quand on réalise quelque chose en agence, il faut se montrer plus sévère envers ses propres idées que n’importe qui d’autre. Il y a deux choses qui affaiblissent une agence : un manque d’honnêteté et un ego surdimensionné.

Un DC belge m’a demandé de vous poser cette question : « Comment avez-vous réussi à convaincre vos clients que la créativité était le seul moyen de réussir ? En Belgique, les annonceurs ne sont pas assez courageux dans ce domaine. Quels conseils donneriez-vous aux agences de publicité belges qui veulent convaincre leurs clients que la créativité n’est pas un crime ? »

Cela prend beaucoup de temps. Et il ne convient de ne pas brûler les étapes. Augmentez progressivement la dose de créativité, et le client sera heureux de voir que cela lui fait gagner de l’argent. Il faut donc bâtir peu à peu une relation de confiance en lui montrant que vos idées incitent les gens à acheter ses produits. Mais il faut bien sûr que le client accepte d’emprunter cette voie. Cela ne sert à rien d’insister auprès d’un client qui fait la sourde oreille. Ce serait une perte de temps et d’énergie.

Que pensez-vous de la créativité belge ? Connaissez-vous des campagnes publicitaires de chez nous ?

Au Royaume-Uni, nous vivons et travaillons un peu dans une bulle, mais je connais d’excellentes agences en Belgique. Quand j’ai rejoint Adam & Eve/DDB, j’ai fait la connaissance de Peter et d’Odin (respectivement Ampe et Saillé, ancien ECD et ancien CD, ndlr). J’ai aussi discuté avec Jens Mortier. Je pense que la Belgique a une communauté publicitaire dynamique qui n’est pas toujours appréciée à sa juste valeur sur la scène internationale. 

Êtes-vous d’accord avec l’idée que la créativité n’est pas une question de talent, mais surtout le fruit d’un travail acharné ?

Les deux sont nécessaires. Je mets toujours l’accent sur le travail acharné, mais on ne peut pas créer de bonnes campagnes si l’on n’est pas doué pour cela.

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