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Antoinette Ribas (DDB) : « Si nous voulons rester connectés à notre public, nous devons encourager la diversité au sens large, et non uniquement celle du genre »

Dimanche 16 Septembre 2018

Antoinette Ribas (DDB) : « Si nous voulons rester connectés à notre public, nous devons encourager la diversité au sens large, et non uniquement celle du genre »

Fin août, le Conseil d'administration de Creative Belgium accueillait deux nouveaux membres : Antoinette Ribas (DDB) et Jeremie Goldwasser (TBWA). Tous deux ont spontanément posé leur candidature, avant d’être acceptés lors de la dernière AG. Ils rejoignent Guido Goffeau (Prophets), Geoffrey Hantson (Happiness), Raoul Maris (Gelotology), Manuel Ostyn (These Days), Odin Saillé (freelance), Niels Schreyers (freelance) et le président de Creative Belgium, Jens Mortier (mortierbrigade). Cherchez l’intruse…
 
Avez-vous ressenti une certaine "réticence" par rapport à votre candidature ?
 

Aucune réticence. Le board a compris mes motivations et, surtout, a validé les missions que je voulais accomplir au sein de Creative Belgium.
 
Justement pourquoi avoir voulu intégrer le board de CB ?
 

Parce que je pense que nous avons beaucoup de choses à mettre en place pour que la pub reste un secteur attrayant et inspirant, et j’ai envie de mettre mon énergie au service de ce changement. C’est très excitant de faire partie de cette révolution !
 
L’une de vos ambitions est de sortir de cette spirale « la pub pour les gens de la pub ». Qu'entendez-vous par-là exactement ?
 
Force est de constater que nous avons de plus en plus de mal à attirer et surtout, à retenir des talents dans notre secteur. Je pense qu’il y a deux raisons principales à cela.
 
Primo, le gap entre les étudiants et les agences est trop grand.Les écoles devraient notamment être présentes en masse aux Creative Belgium Awards, ou à d'autres compétitions et événements créatifs. Au même titre que les annonceurs, les fournisseurs ou les créatifs. 
 
Secundo, le secteur est assez "exclusif". Peu d’agences acceptent des temps partiels, alors qu'aujourd'hui, presque tout le monde a un "side-business", et pas seulement les créatifs, mais aussi les accounts, les stratèges, les DDP's, les graphistes, etc. Les agences doivent réfléchir à une autre façon de fonctionner. Elles véhiculent toutes le sentiment qu’il faut beaucoup travailler pour peu d’argent, alors qu’elles pourraient être de véritables incubateurs et stimulateurs de talents créatifs.Car, au final, ceux-ci finissent toujours par déserter leur agence pour créer leur propre business. Je trouve cela très dommage. Ils devraient pouvoir mettre cette activité en place en parallèle à leur job principal, voire en collaboration avec leur agence. Ce serait beaucoup plus win-win pour tout le monde.
 
La diversité est également importante à vos yeux…
 
Très importante. Je suis convaincue que le manque de diversité est un frein. Notre secteur n’est pas aussi progressif qu’il le prétend. Je vois plus de diversité dans ma banque que dans mon métier.Il y a par exemple beaucoup trop peu de femmes dans les créations, alors qu’il y a plus d’étudiantes que d’étudiants…J’en vois beaucoup qui tentent leur chance, mais qui, finalement, jettent l'éponge alors qu’elles sont douées. Et ce n’est pas dû uniquement au fait qu'elles deviennent mamans et qu’inévitablement la question de la compatibilité entre la vie de famille et la vie d’agence se pose. 
 
Non, bien avant cela, il y a certainement encore un a priori envers les femmes. J'ai souvent constaté que les Directeurs de Création ne prennent pas forcément le temps d’accompagner suffisamment les teams juniors et, quand il s'agit de femmes, qui manquent peut-être davantage de confiance en elles ou d'esprit de compétition, elles se découragent plus facilement et rapidement que les garçons…  
 
Bref, toutes ces observations m'ont poussée à initier un partenariat avec Creative Equals, une organisation lancée à Londres il y a quelques années, désormais soutenue par les meilleures agences du monde. Nous devons certainement nous en inspirer également. Par exemple encore, l'une de leurs initiatives a été d'instaurer la perte d'un nombre important de points lors de pitches, si l'agence en compétition ne comptait pas autant d'hommes que de femmes dans son management… 
 
Ensuite, n'évitons pas non plus la question de la diversité culturelle, qui, elle aussi, fait cruellement défaut dans notre secteur. Il y a un quart de Musulmans à Bruxelles. Pourtant, combien en croise-t-on dans la pub ? C'est pourquoi, pour le coup, après un état des lieux en profondeur, je souhaiterais mettre en place des synergies constructives avec des écoles, mais aussi inviter les agences à ouvrir plus naturellement leurs portes aux différentes cultures, afin, je me répète, qu'elles soient plus en phase avec le public auquel elles s'adressent… 
 
Etre la seule femme dans le board rend-il votre tâche plus compliquée, voire difficile ?
 
Non, je ne crois pas, mais il est urgent que cela change et que la parité soit enfin respectée. Et ce non seulement dans le board de Creative Belgium, mais aussi dans les agences !
 
Cela dit, j'ai été très claire avec mes nouveaux amis : ce n’est pas parce que je suis la seule femme que je dois porter seule le sujet de la diversité. Que du contraire. Je siège avant tout en tant que créative et non en tant que femme.

A ce titre, je voudrais également apporter ma vision de directrice artistique, qui souhaite remettre l'audace à l'honneur. Je trouve que la pub belge est devenue beaucoup trop frileuse, alors qu'elle a été si innovante durant des années… Où sont passés tous ces OVNI's dans lesquels nous étions passés maîtres, et qui nous faisaient briller sur la scène internationale ? 
 
L'une des réponses possibles est la technologie, qui, certes, nous a permis de cibler parfaitement les citoyens, mais, malheureusement, la création n'a pas suivi. Ce que nous leur proposons ne les interpellent plus. Autrement dit, obnubilés que nous sommes par la crainte de ne pas être à la hauteur de l’évolution technologique, nous sommes passés à côté des vraies envies des gens. Pré-tests, tests, post-tests, etc. ont apporté leur lot de rationnel au détriment de l’audace…
 
Vous sentez-vous soutenue par les autres femmes du secteur ?
 

En tout cas, j’espère que je le serai... Lorsque j’ai abordé le point de la diversité avec d’autres femmes, elles ont toutes été très enthousiastes.Mais, à nouveau, si nous voulons rester crédibles et connectés à notre public, nous devons avant tout encourager la diversité au sens large, et non uniquement celle du genre.
 
Avez-vous un appel à leur lancer aujourd’hui ou, plus largement, à tout le secteur ?
 
En résumé, je dirais aux agences d’être plus ouvertes aux "side business" de leurs employés, aux cultures, aux minorités et aux autres profils de créatifs. Je dirais également aux CD's d’être plus attentifs à la diversité de leur équipe et, enfin, aux créatifs de prendre sous leur aile des stagiaires et de partager avec eux leur enthousiasme. Si chaque créatif prenait un peu de son temps pour participer à des jurys de fin d'études ou à des cours (et pas seulement dans les écoles de pub), et transmettait ainsi sa passion, nous pourrions attirer beaucoup plus de jeunes talents.

 

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