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Dirk Schyvinck : « La longévité demande une approche structurelle et holistique »

Vendredi 7 Septembre 2018

 Dirk Schyvinck : « La longévité demande une approche structurelle et holistique »

Pour le dernier volet de notre série d'interviews consacrée aux 50+, nous avons rencontré Dirk Schyvinck, ancien publicitaire et marketer reconnu par ses pairs, qui s'adonne aujourd'hui à sa passion pour l'écriture et la sociologie. Il vient de publier un livre passionnant sur la nouvelle longévité, intitulé "Wat als we straks 100 worden ?" (Que ferons-nous de nos cent ans ?). Tout un programme.
 
Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir "auteur" ?
 
Cela fait longtemps que j’ai attrapé le virus de l’écriture. Avec la complicité de François-Xavier Huberlant, qui travaillait à l’époque chez LHHS (l'ancêtre de Air, ndlr.), j’avais déjà publié dans les années 1990 un supplément étoffé pour De Tijd, intitulé "Les enfants d’Ogilvy sur la publicité". J’avais aussi écrit d’innombrables chroniques pour une série de titres spécialisés. Par la suite, le virus est devenu quelque peu latent et ne s’est réveillé que dans la seconde moitié de la cinquantaine. Cette fois, en s’associant à un autre virus, celui de la sociologie.
 
Quel est le point de départ de votre livre ?
 
A deux reprises, j’ai fait personnellement l’expérience de l’émergence de la révolution numérique. Il y a d’abord eu le battage médiatique à la fin des années 1990, et ce n’est que plus tard que la révolution technologique a montré son vrai visage. C’est alors que sont apparus les "digital natives". Jamais les jeunes n’avaient semblé aussi jeunes. Et je l’ai vécu de façon très directe. En même temps, impossible de ne pas voir le vieillissement de la population. A première vue, ces deux grands mouvements, l’un technologique et l’autre démographique, semblent contradictoires. Comme ce paradoxe me taraudait depuis tout un temps, j’ai décidé d’y consacrer un livre. Au final, j’ai retenu quatre grands thèmes.
 
Le premier étant que nous sous-estimons l’évolution d’une société vieillissante et en parlons de façon très négative (comme un coût, "old is out", etc.).
 
Ensuite, le fait que le vieillissement n’est pas un phénomène transitoire qui disparaîtra avec la génération des baby-boomers. Au contraire : la majorité des enfants nés en Occident aujourd’hui vivront 100 ans ou plus. Le véritable défi ne réside pas dans le vieillissement de la population, mais dans ce qu’on appelle la longévité : le fait que l’espérance de vie continue à augmenter et, avec l’aide de la technologie, elle va le faire de façon spectaculaire, beaucoup plus que nous ne le pensons... Cette évolution peut déboucher sur deux attitudes différentes : soit on cède au pessimisme devant un tableau encore plus sombre que le vieillissement actuel, soit on essaye de relever ce défi immense en s’y attaquant dès aujourd’hui. Et il faut commencer par modifier notre discours stéréotypé sur les jeunes et moins jeunes. Mais il faut aussi mettre en œuvre un autre type d’innovation.
 
Troisième thème, l’innovation est en partie économique : alors qu’elle est aujourd’hui presque toujours associée aux "jeunes" - réalisée par et pour eux -, l’économie de la longévité offre d’énormes possibilités ; la génération actuelle des 50+, très aisée et dépensière, est à peine prise en compte par les marketers. Il faut que cela change, parce qu’on laisse beaucoup d’argent filer ainsi. Les entrepreneurs intelligents l’ont déjà compris entre-temps.
 
Cependant, et c'est le quatrième point, nous avons aussi besoin d’innovations sociales structurelles. Si les changements technologiques rendent la vie plus rapide, l’augmentation de l’espérance de vie va la rendre plus longue. Ce qui veut dire que le changement ne sera plus l’affaire d’une ou deux générations, mais bien un processus permanent qui touche toutes les générations. Cela aura un impact énorme sur la formation, les modes de travail et les loisirs. Les jeunes de 20 ans disposeront de beaucoup plus de temps pour déployer leur projet de vie. Les trentenaires et quadragénaires devront se réinventer, et les quinquagénaires devront réfléchir aux investissements à faire dans la seconde moitié de leur existence. La longévité n’est donc pas un défi uniquement pour les personnes âgées, mais pour chaque âge et chaque génération. Aussi pour les plus jeunes.
 
Pourquoi plaidez-vous dans votre livre pour un « regard jeune sur le vieillissement » ? Par peur d’être exclu de tout ce qui fait partie de la culture des Millennials ?
 
Je plaide surtout pour une nouvelle approche de l’espérance de vie accrue. Aujourd’hui, la discussion se limite au vieillissement et donc presque exclusivement au "problème des plus âgés", alors que je suis convaincu que l’impact d’une vie de 100 ans aura aussi d’énormes conséquences pour les jeunes générations. Les baby-boomers ne sont qu’une génération intermédiaire/sandwich dans cette évolution. "You ain’t seen nothing yet".
 
Enfin, ne sommes-nous pas tous nés pour vieillir ? Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une réaction primaire et anxieuse. A l’échelle internationale, le thème de la longévité est à l’ordre du jour des grandes organisations et je peux prédire avec certitude qu’en plus de la révolution technologique que nous vivons, ce sera l’un des trois principaux enjeux au cours des 10 à 20 prochaines années. Pourquoi ne pas utiliser la technologie pour relever ce défi ?
 
Quels conseils donneriez-vous aux marketers qui souhaitent cibler les 50+ ?
 
Je voudrais surtout mettre en garde ceux qui laissent cette cible de côté. Le 12 août dernier, Mark Pritchard, Chief Brand Officer de P&G, affirmait : « Age will be the next on the agenda for advertisers to adress as the industry moves to unpick the stereotypes it has helped perpetuate »… et plus loin : « As a company, we’re now focusing not just on the millennials but boomers as well. That’s the next area. » C’est à la fois une déclaration d’intention économique - nous n’allons négliger aucun marché - et de responsabilité sociale, à savoir en matière d’inclusion et de diversité !
 
Pensez-vous que notre société est prête à faire face à l’accroissement de la population âgée ?
 
Non, nous ne sommes pas prêts aujourd’hui à relever ce défi. Rien qu’en termes financiers, d’énormes questions se posent quant à savoir qui peut payer et qui paiera la facture. Mais c’est dû à une vision étriquée du problème, axée sur le vieillissement plutôt que sur une vie de cent ans. La longévité demande une approche structurelle et holistique. Sans celle-ci, elle devient une malédiction, alors que nous pouvons aujourd’hui exploiter toutes les opportunités pour en faire une bénédiction, et ce, pour un maximum de gens !
 
Les thèmes de la longévité et de la quête de la vie éternelle sont largement traités dans l’ouvrage  "Homo Deus". Êtes-vous d’accord avec l’auteur lorsqu’il écrit que cette quête sera réservée aux classes aisées et accentuera encore les inégalités ?
 
Ce risque est bien réel. Nous constatons déjà aujourd’hui aux États-Unis que l’espérance de vie des pauvres n’augmente pas, mais diminue même dans certains cas. Toutefois, je maintiens que cela est dû en grande partie au fait que nous pensons à notre existence en partant d’un vieux modèle et que les structures sociales sont également basées sur celui-ci.
 
Nous devons changer nos schémas mentaux en associant la "gig economy" sociale, étroitement liée à la révolution numérique, et l’allongement de la vie active à l’innovation sociale et... à un nouveau contrat social entre les générations, mais aussi entre les acteurs sociaux. Sans cela, les évolutions technologiques et démographiques ne donneront pas lieu à des progrès, mais à une régression au sein de notre société... Time to act NOW !
 
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