Si l'on en croit Wikipedia, l'oxymoron "frenemy", parlant d'une personne qui est à la fois son ami et son ennemi, date de 1953. Le terme serait apparu pour la première fois en pleine guerre froide, dans une chronique du Nevada State Journal, à propos des Russes. Mais, comme beaucoup d'entre vous sans doute, c’est dans la bouche de Martin Sorrell que je l'ai entendu prononcer pour la première fois.
C’était il y a 10 ans déjà, et dans le contexte, "frenemy" faisait référence à Google. Au passage, en recherchant sur le moteur de recherche l'article du FT dans lequel Sorrell allait populariser le concept, j'ai souri : Sir Martin déclarait à l'époque que les velléités de rachat de Yahoo! par Microsoft étaient une opportunité pour l'industrie publicitaire…
Une décennie plus tard, alors que l'action WPP est au plus mal et que les hedge funds spéculent à la baisse contre les grands groupes de communication, le modèle construit par Sorrell et les autres géants de la pub se lézarde de toutes parts : critiquant la lourdeur et l’opacité de leur structure, leur manque de transparence (à ce propos, connaîtra-t-on un jour les véritables conclusions de l’enquête interne de WPP sur les allégations de « conduite non appropriée » de son ancien patron ?), des annonceurs comme P&G veulent réinventer ce modèle ; les consultants taillent des croupières aux agences, et quantité de start-ups grignotent leurs marges en proposant des alternatives souvent moins chères en termes de services.
Pointer du doigt la transformation numérique comme responsable de tous les maux des agences est certes un peu facile, mais force est de constater qu'en capitalisant largement sur le digital - WPP aurait dépensé
plus de $7 milliards l'an dernier chez Google et Facebook -, les holdings se sont peut-être tiré une balle dans le pied. Sorrell lui-même s'en est rendu compte, lui qui n'avait de cesse ces derniers temps d'insister sur l'importance des médias traditionnels…
Paradoxalement, le meilleur "frenemy" de Pichai et Zuckerberg tire sa révérence au moment où les gouvernements et les citoyens commencent à se rendre compte des dangers du big data, au moment où de plus en plus d'annonceurs se posent des questions quant à l'efficacité de leurs investissements pubs en ligne, leur brand safety et toutes ces choses désagréables que l'on découvre chaque jour au sujet des Gafa.
Nul doute que dans les mois qui viennent, nous entendrons encore Sir Martin évoquer tous ces sujets qu’il adore à coups de
punchlines bien senties. Mais ce sera désormais en tant que simple key note, que les organisateurs de conférence ne manqueront pas de s’arracher. A tout le moins, s’ils ont les budgets pour s’offrir ce riche retraité, bâtisseur d’un empire (voir la
timeline du groupe proposée par Adweek), qui nous aura appris la valeur de l’earn-out et qui devrait encore continuer à percevoir quelque 20 millions de livres par an pendant cinq ans de WPP.